Un jour, un livre : Saad Khiari, le fils du caïd

Par Aomar Khennouf

Il existe à El Biar, deux librairies à proximité de la place Kennedy. Enfin de ce qu’il en reste. Ayant oublié mes compagnons de route lors d’un séjour chez ma mère, j’ai rendu visite à ces deux libraires qui font dans la résistance par les temps qui courent. J’avais en tête quelques titres que je voulais acquérir pour étoffer mes lectures. J’ai trouvé ce que je cherchais et en sortant, mon regard est accroché par la caricature de Slim, le père de Bouzid et Zina, qui illustre la couverture du roman de Saad Khiari. Un auteur dont je n’avais rien lu auparavant. J’étais curieux de le connaître et d’en savoir plus sur ce Weld El Gaid d’autant plus que son éditeur nous prévient : ‘‘L’auteur nous met en garde, déjà, contre cette collision dévastatrice et nous alerte de façon étonnamment prémonitoire sur l’imminence d’un soulèvement populaire. Ce sera le 22 février 2019’’. Le roman a été imprimé en octobre 2019 soit dix mois après l’étincelle qui a fait sortir dans la rue un raz-de-marée humain pour dire halte à la prétention au cinquième mandat d’un mort vivant et à la déliquescence généralisée de l’Etat. L’usage des termes ‘‘Déjà’’ et ‘‘Prémonitoire’’ subodore que ce roman a été écrit bien avant le 22 février 2019. Il ne s’agit donc pas d’un récit sur les événements post-22 février, qu’il soit chronologique ou romancé. C’est une fiction ‘‘qui s’inspire de la réalité pour nous livrer un thriller’’. Une approche objective de la genèse des événements successifs qui remontent à très loin, et qui ont conduit à ce soulèvement populaire. Sur une toile de fond tissé à la base par les connexions entre les ‘‘héros’’ et les ‘‘héroïnes’’ aux profils différents, opposés et contradictoires, Le fils du caïd nous plonge dans les arcanes du système de gouvernance de notre pays et de ses satellites. Le casting de Saad Khiari est on ne peut plus représentatif des acteurs qui ont joué des rôles de premier plan dans les récents chapitres de notre roman national et sur les dérives institutionnalisées. Voyons ce casting de plus près qui met en scène dans une intrigue savamment concoctée, née durant la guerre de Libération et prolongée jusqu’à nos jours, des anciens maquisards et leurs progénitures, aux destins différents et aux antipodes les uns des autres. Il y a en premier lieu Yacine, qui considère que sa participation à la guerre de Libération est ‘‘une affaire personnelle’’, qui ‘‘parle très rarement de ses années passées au maquis sauf avec ses compagnons d’armes dont il moque amicalement l’esprit «ancien combattant», quand il les entend ressasser des faits d’armes qu’avec le temps, la mémoire enjolive inévitablement’’. Ensuite, Malek, qui est ministre de l’eau, la denrée vitale qui manque assez souvent. Entre en scène un libraire, ex-officier de l’ALN, ainsi qu’un autre officier supérieur, mais très supérieur je dirais, de l’ANP. Arrive Hicham, le fils du caïd qui est convaincu que son père n’a pas été exécuté sur ordre du FLN durant la guerre de Libération mais qu’il a été victime d’un crime perpétré dans un esprit de vengeance par l’un des premiers acteurs du roman. Hicham devenu un magnat des affaires bâties sur la rente providentielle, la fameuse bahbouha évaporée, veut, à son tour, venger la mémoire de son père. Débarquent en plein milieu de cette histoire, Fouad, le fils d’un ancien moudjahid, Tahar le rouge, la fierté de sa ville. Le fils, en associé du fils du caïd, a suivi une trajectoire bien différente de celle de son père. On peut dire que le patriotisme n’est pas génétiquement transmissible comme veut le faire croire une certaine famille. C’est une affaire de reconnaissance et de respect envers la mémoire de ceux qui sont tombés au champ d’honneur et des vivants qui considèrent qu’ils n’ont accompli que leur devoir. Malheureusement ses vertus sont souvent exploitées par des extravertis qui usent et abusent de ce statut à des fins plus mercantiles que patriotiques. Le roman n’aurait pas eu la bonne saveur qu’il a, sans les femmes, deux sont emblématiques dans le récit. La mère de Malek, une digne représentante de la vieille bourgeoisie citadine. L’intrigue de Saad Khiari réside en grande partie dans le secret qu’il nous dévoile au fur et à mesure de manière inattendue. Enfin, il y a l’épouse de Hicham. Une parfaite représentante de la classe des parvenus devenus rapidement et immensément riches par la cupidité et la rapine. L’auteur plante les décors de son roman à Club des Pins, d’abord. ‘‘Ce lieu de séjour, de refuge et de villégiature de la Nomenklatura, placé sous haute protection et figurant la plus belle trahison des promesses de la Révolution de Novembre. C’est là, à l’abri du peuple, que se protègent du peuple ceux qui se réclament du peuple…’’. Ensuite les acteurs sont transposés là où ‘‘les échanges de politesse et les variantes de salamalecs sont une spécialité de Constantine avec en filigrane, la broderie sur velours, la cuisine juive, la baklawa aux noix, et le malouf’’. Les ingrédients de ce roman sont vraiment détonants et ‘‘donnent une idée précise sur le rapport de force entre la puissance d’une véritable baronnie et l’autorité de l’Etat’’.

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