Un jour, un livre : Laadi Flici, La passion humaine

Par Aomar Khennouf

Je me suis longtemps interrogé sur la Passion Humaine. Je n’avais qu’une citation de Saint Augustin qui ne répond que partiellement à ma préoccupation : «Celui qui se perd dans sa passion, perd moins que celui qui perd sa passion.» Sûrement parce que je me sens plus circoncellion qu’évêque. J’ai cherché ensuite chez les «Passionnés» une autre définition à même de m’expliquer cet état d’âme qui, s’il vous apporte une certaine sérénité, ne vous épargne pas des déboires. C’est auprès du plus grand mystique de tous les temps que je l’ai trouvé. Je cite Hussein Mansour El-Halladj. Voici son poème qui est on ne peut plus illustratif du cheminement de la passion dans le cœur des hommes : «Car qu’est-ce que la passion sinon une inclination suivie d’un regard Lequel propage une flamme parmi les consciences ? Si le Vrai vient habiter la conscience, trois états y redoublent aux regards des clairvoyants : Un état qui anéantit la conscience dans l’essence de sa passion, puis la rend par la passion en état de perplexité Et un état où toutes les forces de la conscience se nouent.» Et puis il y eut la passion selon le défunt Laadi Flici, mon frère. Une poésie tout aussi illustrative : «Mon âme incendiée par la volupté grisée par l’amour dans le sang cherche vainement sa vocation, comme dans le jardin des djinns son parfum est mon essence.» Sans la passion pour la lecture, je ne me serais peut-être jamais rendu chez les libraires chaque fin de mois, à partir de novembre 1977, pour acquérir les premiers trophées de ma bibliothèque. Je dédiais une part de ma modeste bourse d’étudiant à l’entretien de cette flamme. Mon regard inclinait vers les recueils de poésie en premier lieu et ensuite vers la littérature de nos belles et talentueuses plumes qui parlaient d’amour et de combat. Ne pouvant les citer tous, car trop nombreux, je me limite aux premiers qui m’ont entrainé dans cette voie initiatique. Malek Haddad a été mon premier coup de cœur et des échos du «Quai aux fleurs ne répond plus» continuent de nous parvenir. Ensuite Kateb Yacine avec «Nedjma» que je ne cesse de relire. Mohamed Dib et sa merveilleuse trilogie portée à l’écran. Aragon, «le fou d’Elsa». Nazim Hikmet et ses «paysages humains» que j’explorais dans mes insomnies. Hô Chi Minh et son «carnet de prison». Nouredine Aba et sa «Gazelle». Et Laadi Flici auquel je veux rendre hommage avec cette modeste chronique. Il avait l’Algérie chevillée au corps comme ne peuvent l’avoir que les dignes fils de ce pays à qui il a tout consacré, jusqu’au sacrifice suprême. Le défunt est de cette race d’hommes qui, avec un crayon et un stéthoscope, introduisait le bonheur dans nos cœurs sous «les feux de la rampe», la tête haute et la passion régénérée. Il nous a ouvert grandes les portes pour pénétrer dans «L’envers des Tribunes». Il a secoué notre mémoire pour se souvenir de «Marguerite». Il a été à nos côtés, pour nous redonner espoir lorsque «La Houle» voulait nous engloutir dans le «Clair Obscur» qui a vu les surgir les démons dans «La démesure et le Royaume». Dans ce royaume, «Les Mercenaires», en sicaires barbares de la plus vile besogne, se sont acharnés sur les meilleurs d’entre nous : les porteurs d’espoir. Je ressentais, et je ressens toujours, un attachement fraternel pour mon ainé et envers l’homme et ses œuvres que je couve avec une infinie délicatesse. S’il faut entretenir une passion, ses chroniques le faisaient à travers les colonnes de notre bon vieux quotidien El Moudjahid qui a bercé notre jeunesse et qui nous accompagne, aujourd’hui, dans notre vieillesse. Vous comprendrez aisément la fierté que j’éprouve lorsque, chaque jour de ce mois béni, je relis mes billets, ma contribution dans ces mêmes colonnes où Laadi Flici titrait, le 17 avril 1982, une de ses plus belles chroniques : LE LIVRE EST UNE AVENTURE FANTASTIQUE. L’aventure doit continuer. Lire est le plus bel hommage que nous pouvons lui rendre. Je ne remercierai jamais assez son adorable fille qui m’a offert trois pépites, dont «La Passion humaine». Un recueil de poésie aux pages jaunies certes, mais qui, rien qu’au toucher, déchaine un torrent de sentiments passionnels. Je vous dédie cet autre extrait du très beau poème qui est sa façon, ma façon aussi, de vous souhaiter une bonne fête :
«Fidèles, je suis l’Aid-el-Seghir, Avec moi, finit le Ramadhan, Ami des personnes enivrées.»

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