
«Tu es plus libre que tes geôliers» est la pittoresque saga colorée de trois familles algériennes de Tlemcen dont les destins croisés s’entremêlent pour conter leur quotidien dans une Algérie en pleine tourmente de la guerre. L’écrivaine Jamila Rahal intègre la grande Histoire en la fondant dans la petite histoire de petites gens dans un contexte mondial délétère. Cette fresque historique et politique qui pourrait être un long-métrage historique à couper le souffle nous introduit d’emblée à la fin du 19 è siècle à Tlemcen et Nedroma pour aller vers Paris, Alger et Oran et s’ achever à Maghnia aux prémices de Novembre 1954 . Ces trois familles, les El hassar, les Lassaci et les Senhadji évoluent au gré des événements tragiques de la première et la seconde guerre mondiale , vivant au rythme des soubresauts de la guerre de libération avec son lot de sujétion, d’oppression et d’injustice. La terre source cardinale par excellence de tout paysan est réquisitionnée au nom de lois d’expropriation décrétées par la soldatesque coloniale, provoquant ainsi la famine et la pauvreté des Algériens plongés dans le dénuement , ce qui engendra des révoltes matées dans le sang mais les graines de la révolution avaient germé depuis longtemps.. L’auteure narre l’histoire de cette colonisation en osmose avec l’éveil du mouvement national à travers l’Etoile Nord africaine, le PPA , le MTLD, l’AEMNA et les toutes les autres structures politiques ainsi que l’engagement politique de certains personnages de ces trois familles. Elle met l’accent sur les manifestations du 8 mai 45 au sortir de la seconde guerre mondiale avec la défaite de l’Allemagne nazie et le désarroi des Algériens qui avaient servi de chair à canon pour la libération de la France. A travers son captivant récit, Jamila évoque de nombreux faits dramatiques et sanglants dont la patrie des Droits de l’homme doit être peu fière. C’est donc toute l’histoire du mouvement national qui est relatée jusqu’à l’explosion de Novembre. A l’évidence, la narratrice porte un regard synoptique sur cette société algérienne exsangue dans un contexte colonial dont le substrat identitaire et culturel est de plus en plus perceptible. Elle évoque avec moult détails cette prise de conscience à travers tout le pays et la montée crescendo de l’esprit militant et du patriotisme au sein de la population. C’est un remarquable roman doux-amer qui rappelle une belle page d’histoire glorieuse de notre pays et la solidarité d’un peuple voulant s’affranchir du joug colonial. «Tu es plus libre que tes geôliers» emprunte les codes du roman historique mais distille une atmosphère agréable, douce et conviviale à travers la brillante saga de ces trois familles soudées par des liens consanguins. Ce roman flirte avec la réalité où l’écriture relève de la haute voltige. Totalement réussi cet intéressant récit gagnerait à être porté à l’écran. Des mots justes, une histoire d’une incroyable force avec à la clé la découverte d’une écrivaine majeure.
K. Attouche