
Mohamed Zerbout fait partie du groupe d’artistes ayant brillé peu et bien au début du XXe siècle, et qui, hélas, sont peu connus, méconnus et souvent inconnus. Né en 1936 à Zoudj Ayoune, dans la basse Casbah d’Alger, fief du chaâbi, dans une époque d’avant-guerre où cette musique citadine était à l’apogée de sa gloire, le parcours artistique de Mohamed Zerbout, aussi court soit-il et intense, a été marqué par des fractures, d’exil, des chutes et de grands silences.
Après une enfance et une adolescence caractérisées par une grande passion pour la musique chaâbie, son talent et sa détermination le conduisent à attirer l'attention de Khelifa Belkacem qui l'intègre dans son orchestre comme percussionniste (drabki). À la disparition de ce dernier, en 1951, Zerbout se lance corps et âme dans la maîtrise du mandole, l'instrument de prestige dans l'orchestration chaâbie qu’il maîtrise. À 25 ans, il intègre l’orchestre du cardinal, El Hadj M’hamed El Anka, signant ainsi le début de sa fulgurante ascension. Toutes les maisons d'édition le sollicitent. l’artiste enregistre des classiques, comme «El Meknassia» mais aussi des textes de Haddad el Djilali et Lahbib Hachelaf. En 1958, il réussit une échappée artistique qui le propulse aux étoiles de la notoriété à travers «Chilet laâyani», titre d’anthologie écrit par le poète cherchellois Abdelhakil Gharami, son plus grand succès ainsi que sa principale malédiction. Il faut rappeler que ce tube, toujours d’actualité dans les fêtes nuptiales algériennes, a été une chanson sentimentale phare de la guerre de libération nationale et un nouveau souffle du style chaâbi pour atteindre un public non algérois. Le succès de cette chanson a été mondialisé à travers «Quizas-Quizas-Quizas» du Cubain Osvaldo Farres ou encore par la grande actrice et chanteuse américaine Doris Day à travers«Perhaps-perhaps-perhaps». En 1958, ce chef-d'œuvre musical, dont la pochette du disque 45 T a été réalisée par Rabah Driassa, qui se lançait dans la miniature, a été exposé dans la vitrine du centre culturel français de l'ex-rue Dumont-d'urville, actuellement Ali-Boumendjel. Les Algérois ne comprennent pas les dessous de cette promotion à une époque où la Casbah vivait les pires moments de son histoire. La rumeur, véritable arme de guerre coloniale, a causé des interprétations de collaboration de Mohamed Zerbout avec les autorités coloniales. Il s'éclipse de la vie artistique avant d'être interrogé et relâché après l’indépendance, mais cette accusation le traumatise, le pousse à s'exiler, pour revenir qu'en 1970 espérant une réintégration. Il retourne à Paris auprès de son ami Dahmane el Harrachi comme drabki, pour une deuxième phase d'exil qui va durer de longues années. À son retour en 1981, il trouve refuge chez sa mère à Bab El Oued et quitte ce monde dans l'indifférence à l'âge de 47 ans.
K. B.