Ici Alger (3) : Le spectre d’Ahmed, Henri et Hocine

Ce troisième segment des pérégrinations algéroises s’ébranle du début du boulevard Krim-Belkacem, dans un décor de carte postale. La rive nord boisée abrite le parc de la Liberté, dessiné par le maire colon d’Alger, de Galland, en 1915, avec son école primaire et ses deux musées, celui des Antiquités et celui des Arts islamiques.
Sur le côté sud, le verdoyant parc Ziryab, l’écrin qui protège l’Ecole nationale des Beaux-Arts. Avant d’avancer vers le palais du Peuple et son jardin monumental qui gagnerait à rouvrir ses larges portes aux aficionados d’histoire et même aux badauds, le souvenir d’Ahmed Asselah, un homme de grande culture, ravi à l’Algérie par la folie meurtrière… Plus bas, l’un des fleurons de nos musées, le Bardo. Nous lui réserverons une prochaine chronique. Le virage en épingle à cheveux passe par l’ancien terminus des tramways qui sillonnaient jadis la ville. Ce tronçon avait gardé ses pavés et ses caténaires centenaires jusque dans les années 90. On passe sous le vieux stade de la RSTA pour entamer l’avenue Ahmed-Ghermoul, son école, son complexe sportif (Groupes laïques) et son caoutchouc géant planté vers la fin du XIXe siècle. L’école, l’institution Saint Bonaventure, était tenue par les Pères Blancs. Des milliers d’élèves de la génération post-indépendance gardent le poignant souvenir du frère Henri Vergès, un personnage affable qui avait voué sa vie aux écoliers algériens. Il a été assassiné dans sa petite bibliothèque de la Haute Casbah où il dispensait aide et savoir... Nous laissons à notre droite la salle Harcha, les quartiers de Chaâba et la cité Mahieddine pour s’inviter dans la rue Belouizdad. La mythique Belcourt change de visage sur sa première partie. De hauts immeubles remplacent les vieux docks d’antan. Puis le carrefour du cinéma Le Musset et sa boulangerie Madame Ferrat que tout Algérois connaissait pour sa mémorable garantita, que l’on venait goûter de loin. Là aussi, c’est le souvenir du regretté Hocine Dehimi (Yamaha) qui remonte, ainsi que celui des immenses processions irisées qui naissaient aux abords du cercle du CRB et du monoprix lors des matchs du Chabab local pour rallier, à pied, le majestueux stade 5-Juillet.  En pressant le pas, on aperçoit l’Aâquiba (Souiqa, comme l’évoquait Moufdi Zakaria dans son Illyada) et le cimetière de Sidi M’hamed Bouqabrine, ce Soufi venu de Boghni et qui devint l’un des saints patrons d’El Mahroussa. Nous attend le stade du 20-Août et sa mythique piste de course cycliste, juste avant d’apercevoir le bel édifice de la nouvelle Bibliothèque nationale et ses aménagements modernes. Retour au passé dès qu’on atteint le Jardin d’Essais et la fontaine qui coule depuis des lustres sur le trottoir d’en face. Nous reviendrons flâner dans ces allées, admirer la riche flore exotique acclimatée il y a plus d’un siècle. Nous bifurquons au sud pour affronter la rue Cervantès (du nom de l’écrivain espagnol qui fut captif dans ce quartier au XVIe siècle, selon Haedo) qui monte et serpente à travers la dense forêt de la colline aux Sangliers, où se cachent les baraquements de l’Institut Pasteur, la villa Abdelatif et le musée national des Beaux-Arts, autre perle du patrimoine. Au sommet, la stèle du Maqam couve la flamme du Martyr. Accoudé au Belvédère, l’amphithéâtre de la baie dévoile sa beauté légendaire. Une scène qui a vu tant d’épopées. Si on se laisse aller à quelques rêvasseries, se dessine le triangle formé par le Penon, le cap de Tamentfoust et l’embouchure de Oued Kniss, le tableau de la débâcle de Charles Quint en 1541 sous le vent d’ouest. Une immense armada en déroute qui vient s’échouer aux abords de l’oued El Harrach. Extirpé de cette douce torpeur méditerranéenne, on saute dans un taxi pour replonger dans les méandres de la vieille ville.

K. M.

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