
On a souvent prétendu, ici et là, que le lointain passé de notre pays se résumait à une suite d’échecs. Que l’Algérie a toujours été colonisée, alors que contrairement aux idées reçues et contre-vérités colportées, ce ne furent bien souvent que des occupations éphémères, et de surcroît sans colonie de peuplement.
Certes, le peuple algérien fut battu, décimé, spolié par divers occupants. Dos au mur, il se réfugia d’abord dans des citadelles inviolables : sa foi, ses traditions orales et ses langues parlées. Non pas pour y cultiver la résignation, mais, comme l’a si bien dit Mostepha Lacheraf, «pour reprendre un jour, avec des moyens nouveaux, cette contre-offensive que le général en chef de l’armée algérienne n’a pas su déclencher à Sidi-Fredj, au cours de l’année 1830». Sur ces entrefaites, on retiendra que la marche de l’histoire a tout de même fini par triompher. Et le parcours national jusque-là effectué avec opiniâtreté a malgré tout révélé que de nos jours, en dépit de l’extrême jeunesse de sa population et d’une indépendance relativement récente, l’Algérie a une longue histoire inscrite dans celle du Bassin méditerranéen. Et cette histoire est même si longue qu’elle remonte à la nuit des temps. Sous cet angle donc, il est indéniable que notre pays a reçu, mais il a aussi exercé des influences. C’est cette histoire-là, en l’occurrence, qu’il nous faut justement réhabiliter et affirmer de toute urgence sous peine de revivre encore les faux problèmes d'ordre identitaire que nous avons connus récemment, de façon la plus exacerbée qui soit. Mais cela dit, il faut cesser de se méprendre : parce que l’historicité de la réalité algérienne d’aujourd’hui ne se limite pas à répéter que c’est un territoire indépendant et souverain depuis 1962, ne fallait-il pas, au lendemain de l’indépendance, aller plus loin dans le travail d’objectivisation des faits historiques enseignés, en tout cas plus loin que leur simple rappel condensé dans une laconique et froide chronologie à peine esquissée dans les manuels scolaires ?
«Les Algériens devront trouver un langage propre à leur public… »
Pourtant, aucun enseignement ne peut être vraiment déraciné, dépouillé des valeurs sur lesquelles il est censé être fondé. Or, à ces valeurs-là, sous-jacentes à une algérianité authentique, ont souvent été opposées d’autres valeurs qui, parce qu’elles ont été fortement idéologisées, se sont fréquemment trouvées en porte-à-faux avec la spécificité algérienne bien comprise. Et ce, quand bien même celle-ci a parfois suggéré des mesures plutôt conservatoires ou restrictives, mais que dans le fond il ne s’agissait jamais que de contenir l’élan vers la modernité, non de le briser irréparablement. De fait, une communication diffusée au cours du premier festival panafricain d’Alger, en 1969, se terminait par ces mots qui sonnent encore comme une réponse idoine à toutes les questions jusque-là demeurées pendantes : «Les Algériens devront trouver un langage propre à leur public et conforme à la métamorphose incessante de leur être et de leur société.» Réponse idoine, disions-nous... C’était en 1969. Autrement dit il y a de cela un peu plus d’un demi-siècle environ. C’est dire, en définitive, qu'avec de la volonté et de la persévérance, toute l’ambigüité des faux problèmes d'ordre idéologique sciemment entretenus à ce jour pourrait, tôt ou tard, être levée. Et, en définitive, ne plus faire obstacle à une authentique renaissance socioculturelle de la spécificité algérienne bien comprise.
Kamel Bouslama