Décès de l’artiste Baya Bouzar : Biyouna, une bougie s’éteint

Le monde de la culture est en deuil. L’artiste Baya Bouzar, plus connue sous son nom de scène Biyouna, est décédée, hier matin, à l'hôpital de Beni Messous, à l'âge de 73 ans.

Pour les Algériens âgés de 50 ans et plus, il est difficile, voire impensable, de parler de Biyouna au passé. De son vrai nom Baya Bouzar, celle qui a été surnommée Biyouna dès ses premiers pas, adolescente, dans le chant et la danse, a accompagné leur quotidien sur le petit écran au gré des années, soit en se délectant de ses nouvelles apparitions, soit en revoyant sans jamais s’en lasser ses œuvres passées, toutes indémodables.

Même si elle a débuté dans le chant andalou, aux côtés de Fadhéla Dziria, c’est au cinéma et, surtout, à la télévision que Biyouna, née le 13 septembre 1952 à Belcourt (actuellement Belouizdad), à Alger, a conquis le cœur des Algériens. Révélée dans le feuilleton El-Hariq (l’Incendie), réalisé en 1974 par Mustapha Badie et inspiré de la trilogie de Mohamed Dib, la Grande maison, l’Incendie et le Métier à tisser, son personnage de Fatima, la commère de Dar Sbitar, grande maison collective du temps du colonialisme, a marqué les esprits.

Par sa spontanéité et sa faconde, elle avait crevé l’écran, ravissant même la vedette aux deux personnages principaux du feuilleton, Nna Aïni (personnage joué par Chafia Boudraâ) et l’enfant Omar (interprété par Omar Abderrahmane). À une époque où seule la chaîne de télévision nationale était accessible et regardée en Algérie, ils étaient des millions d’Algériens à découvrir – et à adopter – Biyouna. Ce feuilleton avait dressé les contours des caractéristiques récurrentes de ses interprétations futures : la femme volubile, volontaire, teigneuse qui ne se laisse pas faire, mais au cœur toujours tendre. Même les textes qu’elle disait étaient teintés d’une dose d’improvisation, mettant à l’honneur des formules et adages populaires propres au parler algérois. Bien entendu – et c’est ce qui avait fait la réputation de Biyouna - l’humour n’était jamais absent dans ses propos ou dans ses mimiques. Un réalisateur avait su particulièrement tirer le meilleur de ses qualités de comédienne : Djaffar Gacem.

Quand un réalisateur créatif bénéficie du talent d’une actrice talentueuse, le résultat ne peut être que détonnant. C’est ce qui est arrivé dans la série humoristique Nass Mlah City, diffusée pendant trois saisons entre 2002 et 2004, où Biyouna a incarné avec autant d’aisance et de succès des personnages aussi divers que loufoques : une mendiante chevronnée, une voyante moderne, une organisatrice de fêtes à la carte, une superhéroïne à l’insu de son mari, une mère de famille qui se rend à la piscine pour laver son linge, une voisine médisante ou encore une conteuse des mille et une nuits. Autant de personnages qui ont fait rire et aussi – et surtout – réfléchir les téléspectateurs avertis sur les mutations de la société. Elle a participé à d’autres séries ou feuilletons télévisés, dont Dar El-Bahdja (toujours sous la direction de Djaffar Gacem), et Nsibti Laâzia, ainsi que dans la série de téléfilms Aïcha, de la réalisatrice Yamina Benguigui. Loin de se limiter à un seul créneau, Biyouna a fait beaucoup de cinéma.

Plus d’une vingtaine de films, de production algérienne, étrangère ou en coproduction, ont émaillé sa longue carrière, dont les plus marquants sont Leïla et les autres, de Sid-Ali Mazif, la Voisine, de Ghaouti Bendedouche, le Harem de madame Osmane, de Nadir Moknèche, Viva Laldjérie, du même réalisateur, Beur Blanc Rouge, de Mahmoud Zemmouri, Cheba Louisa, de Françoise Charpiat, Amour sur place ou à emporter, d’Amelle Chahbi, Neuilly sa mère, sa mère ! De Gabriel Julien La ferrière, et le Flic de Belleville, de Rachid Bouchareb. Tous ceux qui ont connu Biyouna lui reconnaissent une qualité : elle avait le même comportement à la ville comme à la scène. Spontanéité, bonté et humilité font partie de son quotidien, que ce soit avec ses proches, ses amis, ses voisins ou même des anonymes. Même lorsqu’elle adressait des propos cinglants, ses interlocuteurs ne s’en offusquaient jamais, car sachant pertinemment que Biyouna était comme ça. Et puis, une réflexion dite crument ne valait-elle pas mieux qu’un compliment hypocrite ?

La défunte était également accessible au commun des citoyens, n’hésitant jamais à répondre favorablement aux sollicitations de ses fans pour une photo, un autographe ou un simple échange verbal sympa. Les proches de Biyouna témoignent qu’elle a été très touchée des sollicitations incessantes du public, ces derniers temps, pour qu’elle revienne à l’écran. En fait, elle a été autant touchée que frustrée, car les caméras et le jeu de scène lui manquaient terriblement durant sa maladie. Incontestablement, Biyouna a été et restera l’une des icônes de la comédie algérienne. D’aucuns n’hésitent pas à affirmer que son talent est tel qu’elle aurait pu prétendre à une grande carrière internationale si elle parlait l’anglais, langue internationale du cinéma. Ce qui est sûr, c’est qu’elle a été reine dans son pays avec des prestations inoubliable. Allah yerhamha.

Spontanéité, bonté et humilité font partie de son quotidien, que ce soit avec ses proches, ses amis, ses voisins ou même des anonymes.

F. A.

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