Biyouna tire sa révérence : du talent et de la constance

Le monde de la culture algérienne est en deuil. Biyouna nous quitte à l’âge de 73 ans. Durant toute sa vie de comédienne, elle a brillé de mille feux sur le petit et grand écran, avec son talent d’actrice et de chanteuse, mais aussi avec sa spontanéité, son humour et ses indéniables qualités artistiques.

Biyouna, c’est un nom qui brille de mille feux, il est évoqué avec enthousiasme et c’est toujours avec ravissement que le grand public cite pêle-mêle ses performances de comédienne racée et adulée, depuis l’inoubliable feuilleton El Harik de Mustapha Badie, adapté de la trilogie de l’immense Mohamed Dib (La Grande Maison, l’Incendie et Le métier à tisser), car quelque part, ancrée dans la mémoire des Algériens qui en parle toujours avec fierté et enthousiasme. Depuis, celle qui a campé le personnage de la truculente, savoureuse et inénarrable Fatma dans ce feuilleton a tracé sa vie artistique.

C’est une icône qui nous fait rire aux éclats, une étoile qui scintille au firmament du ciel artistique algérien. Son talent est indéniable et sa popularité a dépassé nos frontières pour conquérir d’autres fans ailleurs est surtout en France. Elle a de la présence, de la prestance, du talent et ses performances à l’écran, sur les planches et dans la chanson sont vouées par les spécialistes et ses admiratrices et admirateurs qui se comptent en millions. Tout ce qu’elle touche devient or. Elle a la grâce de ceux qui ont des atouts innés. Un don de Dieu. Bref rien ne pouvait la détourner des chemins sinueux de la gloire et du succès !

La grâce de ceux qui ont du talent

Née au début des années 50 à Belcourt au sein d’une famille modeste mais pas du tout réfractaire au milieu artistique, la jeune Baya Bouzar sera encouragée par sa maman dès qu’elle a manifesté son désir de faire ses premiers pas dans la chanson et la danse. Sa demi-sœur aînée Faïza El Djazairia est une chanteuse connue et célèbre.

A 17 ans, elle avait commencé à chanter dans les mariages. Biyouna avait déjà un nom dans le milieu de la nuit algéroise et a été célèbre comme danseuse de cabaret où elle avait sa réputation notamment à Copacabana. Elle intégrera l’orchestre féminin de l’icône de la musique algérienne Fadhela Dziria comme danseuse mais aussi en tant que percussionniste et assurera la partie théâtrale des mariages en jouant des sketches. Quelque part sa destinée était tracée pour cette jeune fille pleine de vie et ivre de liberté et d’envie de vivre pleinement sa vie sans fard, ni hypocrisie.

C’est une femme racée qui affrontera un environnement hostile comme l’avaient fait avant elles d’autres célébrités du monde artistique algérien, les H’nifa, Seloua, Na Cherifa, Keltoum pour ne citer que celles-là. Durant la décennie rouge, malgré la menace, elle a résisté et n’a pas quitté le pays. Ce n’est que vers 1999 qu’elle a rejoint la capitale française avec son capital artistique comme bagage.

Une destinée tracée

La vague de l’islamisme avait déteint sur nombre d’artistes, certaines ont mis le hidjab et ont pour une bonne période cessé toutes activités, d’autres ont fait repentance devant les caméras de télévision en affirmant regretter leur ancien statut d’artiste. Biyouna, elle, est restée constante, voire intransigeante et ne cédera à aucune menace. Son attitude et surtout ses réponses à son interrogatoire dans une émission de télévision est édifiante à ce propos. L’interviewer lui demande de parler de ses débuts, elle cite la chanson. Non satisfait, il lui rappelle qu’elle a été danseuse dans les cabarets. Et pour lui clouer le bec, on retrouve la Biyouna dans toute sa splendeur qui lui rétorque avec assurance : «Oui je passais mes soirées dans les cabarets, je le fais jusqu’à présent et je ne vois pas où est le problème». Loin de s’arrêter à mi-chemin, il poursuit son attaque avec une voix de rédempteur agréé. «Si tu pouvais revenir en arrière, le referais-tu ?» Sans hésitation aucune Biyouna lui assène le coup de masse : «Je ferais plus que cela et ainsi, je bouclerais la bouche à tous ceux qui le pensent». C’est la Biyouna rebelle et fière de sa chère liberté. C’est une fahla aurait dit son ami acteur Rachid Farès qui la trouvais très généreuse avec ses amis !

Dar sbitar a façonné sa carrière

Nous sommes au tout début des années 70 et ce personnage va façonner la comédienne en devenir. C’est la naissance de Biyouna en tant que comédienne car depuis, son personnage dans El Harik, lui colle à la peau, un peu dans la lignée du célébrissime Rouiched qui depuis son personnage de Hassan Terro et devenu Hassan dans de nombreuses productions cinématographique. Alors quand Biyouna entre dans les plans d’un réalisateur qui veut la distribuer dans un film, il semble s’inspirer fatalement de Fatma de Badie. Pour elle comme pour Rouiched et de grands noms du cinéma, les réalisateurs font avec eux du cousu main, des personnages sur mesure avec évidement des nuances qu’exigent les scénarii. Il est souvent difficile d’imaginer l’absence de collaboration entre un réalisateur et Biyouna avant le début de tout tournage tant sans son jeu, sa gestuelle, sa présence dans le champ, ses répliques, la modulation de sa voix semblent presque les mêmes bien qu’elles soient différentes.

C’est en quelque sorte la marque de fabrique des stars de cinéma. Sa première rencontre avec le cinéma, elle le fera avec un cinéaste dans la filmographie évoque le combat des femmes et la lutte pour ses droits et c’est donc presque naturellement que nous retrouvons Biyouna dans Leila et les autres en 1978 dans la peau de Malika, une ouvrière syndicaliste. Un petit rôle certes mais elle ne pouvait passer inaperçu pour ses prises de position à l’usine et son jeu toujours aussi truculent ! 2002, Biyouna a enfin le premier rôle dans La Voisine du chevronné Ghaouti Bendedouche où elle retrouve west dar et l’ambiance de La Casbah et de ses terrasses ainsi que la vie avec les voisines. On la retrouve dans ce film presque dans le même personnage que dans El harik sauf qu’elle a pris depuis de l’âge et qu’elle soit mariée et mère d’une jeune fille. Elle a toujours son mot à dire sur tout et sur rien, critiquant l’une de ses voisines dès que l’une d’elles a le dos tourné.

Un personnage haut en couleurs. Mais c’est sans doute avec le cinéaste Nadir Moknache qu’elle va crever l’écran. Il la consacrera comme son actrice fétiche et lui confiera les premiers rôles, la canalisant. Avec son expérience et sa maturité, Biyouna excellera et décrochera d’autres rôles dans des films tournés en France. Dans Viva Laldjerie, elle nous offre un moment d’anthologie de ses talents de comédienne et de chanteuse lorsque dans une longue séquence elle interprète avec une aisance déconcertante Waalech delaghder, célèbre composition du prestigieux Mahboub Bati.

Une fois en France, l’opportunité lui sera offerte pour éditer deux albums de chanson et de faire des tournées avec succès. Raid zone en 2001 et surtout, Blonde dans la Casbah en 2007 qui a reçu un bon accueil critique. Sur sa lancée, elle monte Biyouna en 2010 puis Dans mon cabaret, en 2016. Merci pour tout le bien que vous nous donniez dans vos spectacles, séries et films. Bravo pour votre très riche et prestigieuse carrière. Chapeau bas !

Abdelkrim Tazaroute (*)

(*) Journaliste et écrivain

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