Cinéma « cilima » à ORAN : Il était une fois dans l'Ouest...

Par Fayçal Ben Medjahed

Forum en mars 2020, livre S.O.S. de Noureddine Louhal, articles de presse, courts métrages... ont conté, raconté, décrit sur tous les tons, et même dressé un scénario catastrophe de l'état des salles de cinémas du pays aux 452 cinémas, hélas ! devenues pour la plupart de simples souvenirs. Évidemment celles d'Oran, parmi les plus belles d'entre toutes, n'échappent à l’abandon des saltimbanques de bureaux et à l'usure du temps. Des 36 cinémas de la ville, ils en restent sept, sauvées par de bonnes volontés. Triste, j'ai failli ne pas traiter le sujet, puisque rien n'a changé depuis les publications de confrères, les thèses d'universitaires ou les textes d'écrivains. Mais, engagement donné au Red'Chef du journal … silence … Écrit !

Il était une fois à Oran, au hasard d'une rue, un cinéma fermé. Flash-back dans la mémoire incertaine : Le Splendide sur la place du marché central de Ain-Témouchent, ma ville natale, est aujourd'hui une salle des fêtes... tristes. A l'époque, pourtant pas si lointaine, la séance commençait souvent par un dessin animé ou un sketch de Charlot et Laurel & Hardi avant le film. Nous mâchions du chewing-gum Globo ou des bâtons de réglisse. Agaçant pour les adultes. Puis, les lumières de salle s’éteignaient progressivement au rythme du chuchotement du rideau qui s’ouvrait de nouveau. Musique qui fait peur... Sur l'écran s'affiche dans un bruit de tonnerre maléfique, « Le Comte de Dracula ».... le « mâchage » du Globo se fit plus rapide... sueurs froides garanties. Et puis, pour chasser nos trouilles juvéniles, nous allions rincer nos yeux avec « Mangala, fille des Indes », ou un Loving You en compagnie de Tahya Cariouca, Samia Gamel, Abdelhalim Hafez, Farid El Attrache, ou rire avec Ismaïl Yacine, Choukoukou, ou un péplum « Hercule et ses 12 travaux », « les dix commandements »... C'était au temps du cinéma « paradisio ».

Charlot, le cinéma des vanités et des imposteurs multiplexes
Suivi le temps des années 1970, avec l'arrivée de jeunes cinéastes talentueux, caméra au poing pour tenter de secouer l'olivier du cinéma national, à défaut de cocotier. Paradoxalement et en parallèle, les salles donnèrent déjà des signes d’essoufflement, dont l’entretient approximatif ajoutait à leurs décrépitudes. Signe-présage de la déglingue, vers la fin de la décennie 1970, dans l'obscurité des salles, aux bruissements du Globo et de la réglisse vinrent les années des crépitements de coques de cacahuètes et de Zari3a... Insupportable, et ce coup-ci pas seulement pour les adultes. Enfin, les années 1980, l'ère des « enrichissez-vous » et des imposteurs multiplexes, le cinéma s'est mis en deuil, portant ainsi parfaitement son autre nom de « Salles obscures ». Comme le cerveau d'un intégriste pas très intègre, venu ajouter sa terreur lâche douze années durant, qui a fini par mettre à terre toutes ces images, sauf celles de l'horreur qu'il sème à tout vent sur son smartphone et sur certaines chaînes télés en continue abominables. Aujourd'hui, à l'Ouest d’Éden, Oran cinéma et ses quelques îlots de survie au nombre de sept, arriverait difficilement à accueillir le centenaire du "The Kid" (21/01/1921), réalisé par Charlie Chaplin, maître de la genèse du cinéma. Charlot n'aurait pas trouvé de salle pour exprimer son «muet» à Oran et dans toutes les autres villes du pays. Le silence des salles de cinéma a été victime d'une contagion virale dont le Cluster était situé dans les coulisses de l'irresponsabilité et de la déraison criminelle de l'art en mode « Mélodie en sous-sol ».

LA couleur du caméléon sur un miroir ?
Nous vivons décidément une époque déraisonnable où tout se mélange au tout. Le Bon devient la Brute, la Brute vire au Truand et inversement ! Comment en est-on arrivé là ? De 452 salles, qui faisaient de « l'Algérie le plus grand parc ciné d’Afrique », à la perte d'une grande partie ! Les réponses recherchées, je ne les ai pas trouvées auprès des autorité locales chargées des secteurs de la culture. De rendez-vous manqués en reports, avouons-le justifiés... et 10 jours de perdus tout de même. Mais « Cheikh faham el q'cid ». Qu'importe ? Il s'agissait d'un reportage, pas d'une enquête et j'avais l'essentiel de l'information. Les archives des cinémas de la ville, les témoignages d'amis cinéastes, K. Metaïr de l'assos. Bel Horizon doté d'un ciné-club, et Ghaouti Azri, ancien directeur du théâtre d'Oran et ex. délégué à la culture de l'APC, m'ont aidé à dénouer le nœud de la pellicule. La cause déterminante des cinémas sans vie se conjugue au pluriel. D'abord, en toile de fond d'écran, les assiettes de terrains des cinémas en plein centre-ville provoquèrent de nombreuses convoitises immobilières. Cela explique pour partie le laisser-aller et l'état d'abandon de ceux qui étaient censés gérer ces monuments d'évasion. La gestion lassait à désirer. G. Azri, dans un courrier d'avril 2008 adressé au directeur de Affaires économiques de l’APC, signalait déjà la somme de 31.091.826 DA de retards cumulés des loyers de huit cinémas, entre apparemment 1991 et 2008 ! L'arrêt quasi intégral de la distribution des films vers la fin des années 1980, fut une deuxième raison du dépérissement des salles. Les publics, comme attendu, s'éloignèrent progressivement des cinémas faute de films. Le vidéo-projecteur firent la « loi » dans les salles, une aubaine pour des particuliers souvent ignorants de la chose cinématographique. « Visionner un film sur vidéo au cinéma, vaut mieux le reluquer chez soi », se dirent les spectateurs ! Tendance renforcée avec l'arrivée massive des magnétoscopes, des télés à écrans Led ou plasma, des paraboles sur les toits, telles des soucoupes volantes de la dépossession artistique nationale, des DVD piratés « s'affichant » à même le sol entre un fast-food et une échoppe de Karantita... Pour couronner le tout, une industrie cinématographique promise et jamais arrivée, le fric s’étant sans doute envolé vers des paradis fiscaux « hallal » en lingots d'or d'un vil charlatan « pour quelques dollars de plus » ! Ces personnages caméléons introduits dans l'univers du cinéma, et plus généralement de culture, ont inventé une conjugaison du verbe « réaliser » au futur du passé composé de l’inaccompli ! Savent-ils au moins quelle couleur prend « un caméléon sur un miroir ? » Côté social, la fermeture ou la disparition des salles s'est accompagnée d'une mise au chômage dramatique de professionnels aguerris : projectionnistes, caissières, ouvreur(euse)s... Des expériences et un savoir-faire dilapidés.

La sortie de crise par le haut à portée de mains
Les solutions de sortie de crise par le haut ne manquent pas. Toutes les personnes rencontrées au long de notre périple posèrent néanmoins certaines conditions : Arrêter la fumisterie des « avant-premières » sans lendemain, à quelques exceptions près qui se comptent sur les doigts d'une seule main. Et puis, sortir des querelles de prérogatives étroites. La municipalité se plaint et « dénonce le fait d'être dessaisie de ses biens par la direction de la culture », ce à quoi rétorque la Culture, « vu l'état lamentable des cinémas, de quel bien il s'agit ? » Les responsables des deux institutions ont fini par s’apercevoir que leur entente sera plus fertile pour l'ensemble à un « Règlement de compte à OK Corral » qui aggravera le désastre. K. Metaïr suggère « l'idée d'un double tutorat. » Raisonnable. Établir donc, un lien de coopération entre le ministère de la Culture et les municipalités pour gérer les salles en communs ou proposer à « des concessionnaires sérieux la gestion des salles, sur la base d'un cahier des charges drastique » et soumis à contrôle sans relâchement. Une deuxième solution, pas contradictoire avec le « double tutorat », a été mise sur le tapis par le gouvernement. Selon l'APS (agence presse service) « les salles de cinéma, inexploitées ou détournées de leur vocation initiale, pourraient être rétrocédées au domaine privé de l’État. Leur gestion devrait être confiée au ministère de la Culture, selon le texte du Projet de loi de finances (PLF 2021), publié sur le site Internet du ministère des Finances.» Reste la question de la distribution des films. ONCI (Office national de la culture et de l'information) est chargé de la tâche quasi exclusive. Une partie de cette activité, capitale pour le bon fonctionnement des cinémas, est accordée aux concessionnaires intéressés. Mais ceux-ci hésitent à se lancer dans le bain, vu les exigences jugées sévères. Primo : un visa d'exploitation « provisoire » délivré par le ministère de la Culture. Secundo : soumis au visionnage d'une commission qui décidera du sort de la distribution de tel ou tel film, et puis « on nous oblige de présenter nos films sous forme de DVD ! » De quoi refroidir les ardeurs.

Renouer avec le public, le miracle est possible
Renouer avec le public après une si longue absence, passe aussi par les relais des Ciné-Clubs. Des projets en ce sens sont relevés çà et là selon les circonstances et les hasards. Pour l'ami cinéaste, il s'agit tout bonnement « de recréer un public en misant sur une nouvelle génération à partir de séances ciné en direction des écoliers » et essayer de rattraper la main des jeunes pour une culture cinéma. Faciliter enfin aux artistes les conditions de tournage depuis de trop longues années si difficiles et si compliquées. Le miracle est possible. Il n'y a pas si longtemps, les salles de ciné nous invitaient à promener notre spleen en compagnie de « Leila et les autres » ; les autres : Omar Gatlato, Didou Zinet et leur Charbonnier, Nahla, Hassan Terro, l'Inspecteur Tahar et son apprenti... par une « Aube des damnés » dans « La Citadelle », tout au long des « Années de braise » et de « La Bataille d'Alger »... Et que dire de la grandiose cinémathèque mondialement réputée qui nous a fait aimer le cinéma ? Rien. Silence, pour éviter que le regret s'installe en nous, en espérant que « Le vent des Aurès » souffle sur la braise du renouveau de l'Algérie.

F. B. M.

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Histoire des cinémas d'Oran
TEMOIGNAGE DE JOSEPH ALFONSI

« A Oran, il y avait quatre grands propriétaires des grandes salles. Ils s'étaient appropriés les grandes firmes américaines, ne permettant pas aux plus petites salles de passer des films à grands spectacles ». J.A. 2007. Voici la répartitions des quatre mousquetaires de la « pellicule » :
1. M. ARGENCE : Mogador, Century, Idéal, Lynx. / Firme. 20th Century Fox, Les Artistes associés, Warner Bros.
2. Les frères CASTELLI : L'Empire, L'Escurial, Le Plaza, La Familia. / Firme. Métro Goldwin Mayer, La Paramount. Les Castelli s'assuraient aussi le contrôle de 3 cinémas implantés à St. Eugène : L'Olympia, L'Alcazar, L'Alhambra.
3. La famille TENOUDJI : Colisée, Rex/ Firme. Columbia principalement.
4. La chaîne SEIBERRASE : Régent, Rialto/ Firme. Rikid et autres moins prestigieuses.

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DES 36 SALLES DE CINéMA D'ORAN, 7 RESCAPEES

Certaines sources avancent le nombre de 34 ou 36. Selon une thèse d'une étudiante à ce sujet, elle releva 37 salles. Mais quel que soit le nombre, le compte est bon quant aux salles de ciné restées en vie et en survie. Elles sont sept rescapées de l'Apocalypse de l'irresponsabilité : La Cinémathèque (ex. Miramar), Le Murdjadjo (ex. Balzac), Le Maghreb (ex. Régent), Le Hoggar (ex. Century), Es Saada (ex. Colisée). En voie de rénovation : Le Marhaba (ex. Escurial) et Le Lynx.

L'ALCAZAR (HOURIA) – St. Eugène. Fermé.

L'ALHAMBRA - St. Eugène. Rénové pour on ne sait quelle activité ? LE BALZAC ( MURDJADJO). Joliment rénové par A. Mouadih, un concessionnaire aimant le cinéma et les arts. Une rareté. Il a transformé le Balzac en Multiplex Ciné Land avec 3 salles.
A : réservé au film du box office avec écran géant de 95 m2, projecteur DCP.
B : Ciné plus système 3D.
C: Ciné Arts&d'essai réservé en priorité aux productions nationales.

LE BON ACCUEIL (DOUNIAZED) – Gambetta. Rasé pour une bâtisse.

LE CAPITOLE – Boulanger. Fermé.

CENTURY (HOGGAR actuel). Rénové. Fonctionne en vidéo en Data show.

COLISEE (ES SAADA) – Rénové sous tutelle du ministère de la Culture (Transfert APC à l'ONCI). Fonctionne régulièrement avant le Covid-19. Projecteur numérique DCP.

LE CLUB – Passage Pascalin centre. Fermé et squatté.

L'EDORADO – Rue de Tlemcen, devenu hôtel.

L'EMPIRE (AFRIK) – Passage Pascalin. Fermé et squatté. Y étaient passés : Paul Anka, Sidney Bechet, Lionel Hampton, Louis Amstrong...

L'ESCURIAL (MARHABA) – Rénovation en cours engagée par l'APC d'Oran.

LA FAMILIA - Sid el Houari La Marine – Le premier cinéma de la ville. En ruine.

GEORGES V (Ex . RIO actuel SOUYAN HOUARI) – rue L. B. M'Hidi. Actuellement Salle polyvalente municipale.

L'IDEAL ( ASFOUR) – Place des Victoires – En ruine

LE PARIS – viré en grossiste de tissus en tous genres.

LE LIDO – Gambetta – fermé voué aux oubliettes.

LE LUX (SHEHRAZED) - Fermé

LE LYNX (MANSOURAH) – rue L. Ben M'hidi. Effondrement de la toiture. Rénovation par l'APC. Mais reste fermé.

LE MAGIC – St. Antoine. En parking.

LE MIRAMAR (Ex. Vox) – rue L.B. M'Hidi - Transformé en Cinémathèque. Complètement rénové . Appareil de projection numérique DCP.

LE MOGADOR – Près de la salle Marcel Cerdan. Fermé.

LE MONACO (DJURDJURA) – rue de Mostaganem. Rasé et transformé en antenne municipale.

LE MONDIAL – Choupot. Fermé .

L'OLYMPIA – St. Eugène. Fermé.

LE PARIS – Fait place à des locaux commerciaux.

LE PIGALE (EL FETH actuel). Utilisé en fonction des occasions politiques lors d'élections.

LE PLAZA (DAHRA) – Eckmulh. Détourné de sa vocation et transformé en menuiserie.

LE REGENT (MAGHREB actuel). rue L. Ben M'hidi. Sous tutelle du ministère de la Culture. Rénové, mais fonctionne épisodiquement, notamment lors du festival international du film arabe d'Oran. Appareil de projection 35 mm.

LE REGINA – St. Eugène. On a peine à distinguer son site.

LE REX (AURES) – St. Antoine. Fermé en ruine.

LE ROXY (FELAOUSSENE) – Plateau. Salle des fêtes.

LE ROYAL ex. CAMERA – Démoli et installation d'un magasin Flexy.

LES STUDIOS des jeunes ex. Bazooka – Salle des fêtes approximatives.

LE VICTORIA – St . Antoine. Transformé en café.

ELDORADO - Salle des fêtes et de meetings.

LE KID (SOUMMAM) – Cité Perret. Introuvable.

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LE SUPPORT DE PROJECTION D.C.P. , C'EST QUOI ?

Les gens du cinéma et les journalistes spécialisés en la matière le savent déjà — ce que nous ne savons pas —, le format dont il s'agit est une version numérisée du 35 mm. D.C.P. : Digital Cinema Package dans la langue Yankee. Un simple coup d’œil aux documents sur le web montrent que tous les multiplexes sont aujourd'hui dotés de ce format D.C.P. Et qu'un nombre croissant de petites salles l'adoptent. Imaginez des fichiers informatiques de films enregistrés sur disque dur dont le boîtier n’excède pas la dimension d'un paquet de cigarette ! Fini les bobines ‘‘alu’’ encombrantes. Il est dit : « L'algorithme de compression utilisé rend l'emprise plus légère sans perdre de détails visibles ». En langue qui m'est étrangère : « JPEG-2000. Relativement léger : 300 Go pour film long métrage et 100 Go pour court métrage. » Un ami cinéaste sollicité m'explique que doté d'un boîtier ne suffisait pas. « En réalité, pour la projection moderne en D.C.P., il faudrait transformer la cabine de projection et installer à la place du projecteur 35 mm, le format numérique de lecture du disque dur DCP. On pourrait aussi garder l'ancien projecteur pour l'utiliser parfois pour les films en 35 mm. » Bon à savoir.

 

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