Zone Rouge : Quand des fripouilles profanent l’école

Par Boukhalfa Amazit

La violence est condamnable à tous points de vue. Rien, absolument ne peut la justifier et encore moins l'excuser. Même si elle est parfois explicable, elle demeure intolérable dans une société organisée. A Bordj Badji Mokhtar, des femmes vivant ensemble, par nécessité professionnelle, dans la résidence d'un bloc scolaire, ont été sauvagement agressées à deux heures trente, dans la nuit du 17 au 18 mai, par un ramassis de délinquants composé de neuf individus. Deux heures durant, leurs malheureuses victimes ont enduré les pires humiliations qu'un être supposé humain, puisse faire subir à un autre. Un truisme, pis encore, cela l'est devenu dans notre société, que de dire que les enseignantes de Bordj Badji Mokhtar ont enduré le calvaire qui a été le leur, parce que justement ce sont des femmes. Parce que ce sont des femmes qui travaillent, parce que ce sont des femmes qui travaillent et qui vivent seules, parce que ce sont des femmes qui travaillent, qui vivent seules et sont loin de leurs familles.
Ce sont des femmes qui bataillent dans des conditions climatiques extrêmes. Elles exercent un métier difficile, qui requiert des nerfs d'aciers et la patience d'un pénitent. Elles sont venues donner de l'instruction à des élèves de Bordj Badji Mokhtar, comme elles auraient pu aller à Skikda, Naâma, Ouled Djellal, Nedroma, In Amguel, Béjaïa ou n'importe quelle autre ville, n'importe quel village, de ce vaste pays.
Ici, dans cette wilaya nouvelle, où toutes promesses sont possibles, nos neuf amies, comme autant de personnages d'un roman d'Assia Djebar, ont accosté et ont résolu de poser leurs valises. Provisoirement ? Peut-être. Qui sait ? Ici ou ailleurs. Mais, il n'y a pas que les poètes qui savent que là où il y a des enfants, là où se trouve une école, des bancs et des pupitres, il se présentera toujours un cœur d'instit pour y jeter l'ancre. Parce qu'ici, il y a un combat à mener pour ces serviteurs de la science. Ces cultivateurs de l'esprit. Ces paladins du savoir.
L'enchantement devrait-il s'arrêter ici ? Dans l'enceinte de l'école numéro 10, au centre de BBM, l'ancien Bordj Le Prieur à l'époque coloniale. Cette oasis, ville frontière qui vient comme une délivrance au bout de la piste en tôle ondulée qui va se fourvoyer dans le Tanezrouft quand vous quittez Reggane au sud d'Adrar. Le Tanezrouft, un reg de plus de 600 kilomètres du nord au sud considéré comme un désert parmi les plus inhospitaliers du monde. Pourtant, aux kilomètres 200 et 400, les routiers, caravaniers des temps modernes, vous diront que des esprits pionniers ont créé de la vie et donné à cette nature si sévère, de la générosité. C'est après avoir été jusqu'au bout de ces décors, décrits et si souvent arpentés, par le naturaliste et humaniste Théodore Monod, qui a traversé à pied ce désert absolu dans les années 1930, que ces neuf institutrices venues d'horizons différents, avaient dressé leur bivouac. Faudrait-il, pour elles aujourd'hui, qu'elles perdent brutalement, leurs illusions, comme une baudruche qui éclate, laissant s'échapper les rêves comme s'écroulent les mirages sous le coup tempétueux d'un sirocco étésien.
Un air de déjà-vu, plus au nord, à quelque 1.300 km à vol d'oiseau. A Hassi Messaoud, chez les pétroliers. Le quartier, ou plus précisément le bidonville d'Al-Haïcha... Comment oublier la nuit du 13 au 14 juillet 2001 ? Une expédition punitive forte de 300... mâles, armés de gourdins, de haches, de couteaux, sabre au clair, la tête pleine des prêches médiévaux d'un sermonnaire exalté, s'en sont allés faire payer à des femmes le crime d'être femmes. Femmes travailleuses de surcroît. Un pogrom sexiste. Un geste vil. Une suffocante indignation. Une estafilade profonde dans la mémoire collective. Le pire est qu'il s'en était trouvé, et il s'en trouvera toujours, de ces spectateurs accommodants pour faire grief aux suppliciées et leur jeter une pierre, encore une, comme l'ultime coup de pied de l'âne, juste pour les improuver sinon les blâmer d'avoir été au mauvais endroit au mauvais moment, invoquant quelque tartuferie sous la forme d'un verset mal appris, une pensée religieuse qu'ils ignorent.
Plus encore que les coupables, ils sont plus condamnables car ils veulent ériger leur impéritie imbécile, en commandement divin.
La question qui s'impose en effet dans ce cas d'espèce consiste à savoir pourquoi ces actes ont lieu pendant la période des compositions et des examens blancs. Ce qui s'est passé à Bordj Badji Mokhtar, est un crime d'une bande de crapules et l'enquête diligentée par les services de sécurité en déterminera les tenants et aboutissants et les commanditaires supposés ou réels. Une fois encore, l'indignation générale et la solidarité avec les enseignantes ciblées ont riposté. Syndicats et autorités se sont escrimés dans le but commun de trouver une solution pas seulement durable mais définitive. Aucun citoyen, femme ou homme, ne peut imposer ou interdire à un autre un choix de vie ni le lieu sur le territoire de la République où il, ou elle, désire la mener à sa guise.
C'est toute l'Ecole algérienne qui a fait l'objet d'une profanation. Mais alors, d'une reculade l'autre ? Faut-il céder aux menaces, aux injonctions des gibiers de potence ? Toute société produit ses gredins et ses fripouilles, mais je n'en connais pas qui fasse machine arrière devant la canaille.
Gageons que les frayeurs une fois passées, les enfants de l'école numéro 10 retrouveront leurs profs. Car si elles ont eu le courage et la détermination, car il en faut pour affronter les éléments dans ces régions du pays, elles trouveront la ressource de poursuivre leur sacerdoce.
B. A.

kalafamazit@gmail.com

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