
Par Boukhalfa Amazit
Glaciale, impersonnelle, comme ne peut l'être qu'une dépêche d'agence, la nouvelle de l'incendie qui a causé la mort de 82 personnes et ravagé, dimanche 25 avril, l'unité de soins intensifs pour les malades atteints de la Covid-19 de l'hôpital Ibn Al-Khatib, au sud-est de Bagdad, n'a pas alarmé, outre mesure, les chefs de desks des services internationaux dans les rédactions. Une explosion de plus à Bagdad, quoi de plus naturel dans cette capitale de tous les tourments, meurtrie par tant et tant de déflagrations, conflagrations, crépitations et que sais-je encore comme violences sonores et meurtrières. On n’en est plus aux décibels dans ce chaudron où bouillent colère et résignation depuis bientôt une quarantaine d'années. Ils font payer à l'Irak et son peuple leurs rêves de développement. «Ils», ce sont les prêtres et les gardiens de l'Ordre qui ont résolu de redessiner la carte du Moyen-Orient en fonction de leurs intérêts économiques et des ambitions de puissance de leur allié israélien.
Un incendie dans une structure hospitalière, parti d'un accident dans le lieu de stockage de bouteilles d'oxygène, sans «respect des conditions de sécurité», rien que de banal, dans une ville qui en a enregistré quelque 7.000 depuis le début de l'année. Selon la défense civile, cet hôpital était non seulement dépourvu de dispositif de lutte anti-incendie, mais même les matériaux ayant servi à sa construction n'étaient pas ignifugés. Ils ont favorisé l'expansion du feu qui a gagné des produits hautement inflammables. Voilà tout ! ajouterait-on cyniquement.
Le porte-parole de la Haute Commission irakienne pour les droits de l'homme (IHCHR) a indiqué que «la plupart des victimes, qui étaient atteintes de forme sévère de la Covid-19, sont mortes d’avoir été privées de ventilation lors de leur transfèrement, tandis que d'autres ont succombé après avoir inhalé des fumées toxiques». Tout comme le Premier ministre, M. Mustapha al-Khadimi, le responsable du l'IHCHR, organisation para-gouvernementale, qui a demandé le limogeage du ministre de la Santé, a qualifié cette négligence de «criminelle».
De tous les secteurs, celui de la santé a été littéralement déglingué par les conflits successifs depuis le 22 septembre 1980, date de départ de la guerre contre l'Iran, suivie, en 1990, de la première intervention américaine et le 20 mars 2003 de l'agression d'une coalition de 35 pays, menés par les Etats-Unis de M. «Debeulyou» Bush, suite à l'épisode dramatiquement burlesque de la petite fiole d'anthrax exhibée par M. Colin Powell, le Secrétaire d'Etat, devant le Conseil de sécurité. Il déclarait en jurant et se signant, après une homélie de 80 minutes qui a fait date : «Il ne peut faire aucun doute que Saddam Hussein a des armes biologiques... susceptibles de tuer des centaines de milliers de personnes. «Il reconnaîtra deux ans après, en septembre 2005, que son intervention devant les Nations unies était une «tache» dans son dossier (sic). Oui, vous avez bien lu «une tache dans son dossier»... «Bien sûr, se mordait-il la langue, c'est une tache. J'étais celui qui l'a présentée au monde entier, et (cela) fera toujours partie de mon dossier. Cela a été pénible. Et c'est toujours pénible», a-t-il dévotieusement confessé, après la destruction de tout un pays et le dynamitage de toute une nation, sans autre forme de regrets. Une simple tache dans un dossier, voilà le coût de la vie explosée de millions d'Irakiens qui payent encore les dépens d'un des plus grands bluffs diplomatiques de tous les temps et de la plus terrible intervention militaire de ce début du XXIe siècle. L'ancien chef de la diplomatie US a épaissi l'assaisonnement en ajoutant qu'il n'avait «jamais établi de lien entre l'Irak et les attentats du 11 septembre 2001».
Rien que ça.
«C'est la corruption qui est cause de ce désastre», accusent les journaux qui oublient que ce pays avait le meilleur système médical de tout le Monde arabe. Un pays réduit au tourisme sanitaire. Les autorités iraniennes ont révélé que 374.000 Irakiens se sont rendus en Iran pour des raisons de santé, alors que 50.000 visas médicaux ont été délivrés à des ressortissants irakiens par les services consulaires indiens. Des sources irakiennes citées par la presse spécialisée précisent qu'ils y ont claqué la bagatelle de 500 millions de dollars en soins de santé dans ce pays voisin.
Du fait indirect, d'une occupation qui ne dit pas son nom, l'Irak est aujourd'hui le pays arabe du Moyen- Orient qui a enregistré le plus grand nombre de contaminations. Les autorités avancent un chiffre d'environ un million de personnes atteintes pour 40 millions d'âmes, depuis l'apparition de l'épidémie en février 2020. On y dénombre une quinzaine de milliers de morts, un chiffre jugé par les spécialistes comme relativement peu élevé en raison, expliquent-ils, de sa population qui est une des plus jeunes du monde. L'Irak, qui a acquis jusqu'à présent environ 700.000 doses, a vacciné près de 350.000 personnes.
Ainsi, ce pays qui tutoie l'histoire de l'Humanité, dont le peuple se souvient de la genèse et de l'aurore des civilisations parmi les plus anciennes et les plus créatrices du monde connu, en est réduit à voir ses enfants mourir dans un accident d'hôpital. Un Etat dépecé dans des déchirements ethno-religieux interminables ; dans des attentats quotidiens montés par des organisations terroristes qui naissent dans des officines d'ambassades transformées en arrière-boutiques obscures et humides où se coudoient des cabaleurs ; des sicaires pour le compte d'Etats qui s'époussettent les mains avant même l'exécution des commandes. L'Irak paye d'avoir cherché comme Jonathan le Goéland qui ne se contentait pas de voler pour se nourrir mais pour l'amour du vol et du ciel afin de se dépasser dans sa quête d'absolu. En agissant ainsi, l'Irak a outrepassé les limites balisées par les Etats-Unis dans cette partie de la planète Terre, pour les peuples qui y vivent. Il leur est interdit de voler trop haut.
Depuis la première intervention en Somalie en 1992, au nom du «droit international d'ingérence humanitaire», pompeusement baptisée «Restore hope», jusqu'à la Syrie en passant par la Libye, le Soudan, par l'Afghanistan et les pays du Sahel africain, c'est la même logique. La même stratégie, les mêmes odeurs de pétrole, de gaz, d'uranium, de terres rares, de métalloïdes, comme hier le plomb pour fabriquer les balles. Des Etats qui les convoitent, ces richesses, s'érigent immanquablement en «sponsors de la liberté» pour se pointer au petit matin au nom du droit du plus fort, empêcher «l'agneau de se désaltérer dans le courant d'une onde pure».
La patrie d'Abraham, de Hammourabi, ancienne Babylone aux jardins suspendus, Bagdad, la flamboyante capitale des Abbassides, se mire aujourd'hui dans les larmes de Shéhérazade.
B. A.