Zone rouge : la culture aussi se cultive

Lors du Conseil des ministres qui s’est déroulé lundi 19 avril dernier, le Président de la République a invité les membres du gouvernement à, je cite, «réunir toutes les conditions favorables à la réussite du projet de création du baccalauréat des arts, visant à former une nouvelle génération de professionnels de l’art dans les différentes disciplines de ce domaine prometteur». Le baccalauréat, ou le Bac, étant un examen, mais aussi un diplôme, qui sanctionne la fin des études du cycle secondaire, les chefs des départements concernés ont été enjoints à réfléchir autour de la perspective «de renforcer l’éducation artistique dans le milieu éducatif en vue d’en faire une pépinière de talents, tout en la développant au niveau national, dans les différentes spécialités, pour parvenir à une véritable industrie artistique», relève le document du palais d’El Mouradia, délivré mardi par la presse. L’aiguillage vers telle ou telle autre branche d’activité sera fonction des talents et des prédispositions de l’élève, dès la première année de lycée, indique encore le communiqué. Ce projet structurant est appelé à solliciter plusieurs départements de l’Exécutif, donc au premier chef, ceux de l’Education nationale et de l’Enseignement supérieur. Par ailleurs, et en toute logique, seront impliqués ceux de la Formation professionnelle ainsi que celui de la Culture et des Arts, qui seront naturellement requis pour apporter leur concours multiforme. Des connexions hautement opérantes et dynamiques verront le jour pour permettre la mise en mouvement ajustée et cohérente de cette machinerie nouvelle, car elle est effectivement innovante et jusque-là étrangère au système éducatif algérien. Il s’agit d’une véritable révolution douce. C’est la première fois dans l’histoire de notre pays que la culture investit concrètement l’univers sacro-saint de l’Education nationale autrement que par des mesures timides qui consistaient en l’insertion, notamment dans le cycle primaire, de matières comme le dessin et la musique, dont le cours était généralement annulé, dès que le temps était réquisitionné par les mathématiques, la langue, les sciences physiques ou autres, dont le coefficient est plus balèze, pour lester avantageusement la moyenne trimestrielle. Des matières moins accessoires, donc traditionnellement jugées «plus sérieuses», j’allais dire convenables. Le projet, pour important et révolutionnaire soit-il, demande, pour assurer son succès, puisque c’est un investissement à terme indéfini dans le temps, un travail de réflexion de mise en place de structures hardiment créatrices et novatrices. En introduisant les Arts dans le cursus scolaire, le Président Tebboune précise et affine son projet de promouvoir la culture comme agrégat à part entière dans l’économie nationale. Que ce soient les arts appliqués, les arts plastiques, les arts scéniques ou spectacles vivants, et toute forme de création, leur insertion dans l’enseignement va peu à peu réduire jusqu’à sa disparition la «formation sur le tas», qui a longtemps privilégié la méthode empirique, quand il fallait parer au plus pressé. Une démarche qui, force est de reconnaître, a donné des techniciens au savoir-faire incontestable. Mais cela ne suffit pas. Le savoir-faire porté par le Savoir ouvre des perspectives plus vastes. Depuis toujours considéré comme un secteur budgétivore, voué au divertissement et à la récréation, les arts et spectacles et la production de culture en général ont, de tout temps et sous tous les gouvernements, tendu leur sébile pour être portés à bout de bras par l’Etat. La normalité des choses se résumait dans cette équation embarrassante, parce que déductive : «Si la culture coûte cher, l’ignorance l’est encore plus.» Mais il n’est dit nulle part que la culture de la Culture est une culture stérile. Et il n’est pas nécessaire d’avaler une pilule d’intelligence, chaque matin au réveil, pour savoir que la Culture aussi se cultive. Interrogé lors de sa dernière rencontre avec la presse, le 5 avril passé, sur la raison de la suppression du Secrétariat d’Etat chargé de l’Industrie cinématographique, le président de la République, tout en soulignant qu’il regrettait la lenteur dans «la concrétisation des objectifs qu’il attendait», avait imagé son désenchantement en disant : « Je ne blâme personne, mais je n’ai pas trouvé qui fera parvenir la flamme sous la chaudronnée». «Si tu veux surmonter un obstacle fait appel à la raison», disait Sénèque. Les philosophes, les politiques, les bâtisseurs, les architectes des plus ambitieux et tous les routiers de la vie, vous le diront, la raison est en amont de tous les grands desseins. Ce qui a toujours manqué à la Culture en Algérie, c’est une politique de la Culture qui garantit la liberté de création et qui est capable de générer une économie de la Culture. En empruntant le chemin de l’Ecole, c’est le moyen le plus sûr, pour aller le plus loin.

B. A.
kalafamazit@gmail.com

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