Le documentaire «Algérie, Section armes spéciales» : Un bout de L’horreur coloniale enfin dévoilé aux Français

Initialement prévu pour le 16 mars, puis déprogrammé sans explication convaincante, le documentaire « Algérie, section armes spéciales » a finalement été diffusé hier soir sur France 5, trois mois après sa première sur la chaîne suisse RTS. Malgré cette attente prolongée qui en dit long sur la gêne profonde que ce documentaire suscite dans certains cercles de pouvoir, les Français ont fini par découvrir de nouveaux faits sombres de leur histoire coloniale. Il faut reconnaître que le tollé provoqué par sa non-diffusion à la date initiale a fortement contribué à sa reprogrammation en dépit de la poursuite des pressions des glorificateurs de la colonisation qui voulaient empêcher sa diffusion ou tout au moins la repousser le plus loin possible. Ce film documentaire explosif, que certains auraient donc préféré enterrer à jamais, jette la lumière sur une vérité historique longtemps occultée, à savoir l’utilisation massive d’armes chimiques par l’armée française durant la guerre de Libération nationale. Réalisé par Claire Billet avec Olivier Jobard, ce documentaire de 53 minutes apporte des éléments inédits sur des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis par le colonisateur français en Algérie durant la longue nuit coloniale. Cette autre page noire de la colonisation est restée des décennies durant confinée aux marges de l’Histoire officielle, étouffée à la fois par les silences d’Etat et les compromissions politiques dues à la forte pression des nostalgiques de l’Algérie française. Réalisé sur la base des travaux rigoureux de l’historien Christophe Lafaye, qui enquête sur le sujet depuis 2011, ce documentaire démontre que la France a mené au moins 450 opérations militaires, impliquant des substances chimiques toxiques, dans des zones montagneuses au centre et à l’est du pays, et ce, dans le but de venir à bout de la lutte armée des Algériens pour libérer leur pays du joug colonial. Ces révélations s’appuient sur des documents partiellement accessibles, les plus compromettants dont des journaux de marche et des rapports d’opération étant toujours classés Secret Défense. « Un certain nombre de documents sont accessibles, mais pas les comptes rendus d’opération, les journaux de marche et opérations, soit le journal de bord de l’unité », a affirmé M. Lafaye dans un entretien au journal L’Humanité. Pour l’historien, l’accès à tous les documents permettrait de faire une cartographie exhaustive des sites où ces armes ont été utilisées et des lieux exposés aux retombées. Mais les preuves déjà réunies sont suffisantes pour attester qu’à partir de 1956, des centaines d’unités spéciales, activées sous la houlette du ministre Maurice Bourgès-Maunoury, ont mené une guerre chimique en toute impunité, avec l’aval successif de la IVe et de la Ve République. « C’est le ministre Maurice Bourgès-Maunoury, donc, qui a signé l’autorisation d’utilisation des armes chimiques. La IVe République puis la Ve République ont totalement assumé, ordonné et organisé la conduite d'une guerre chimique en Algérie », a affirmé Lafaye. Ces crimes coloniaux demeurent encore largement méconnus en France. Ce documentaire est ainsi loin d’être seulement une enquête historique mais un acte de vérité et un outil de déconstruction du narratif véhiculé par les nostalgiques de l’Algérie française. Un narratif selon lequel la colonisation aurait été « une entreprise civilisatrice ». En effet, « Algérie, section armes spéciales » a révélé que la République française, loin d’avoir mené une guerre « propre » comme certains veulent le faire croire, a bel et bien autorisé l’usage de moyens inhumains pour maintenir sa domination coloniale. C’est parce qu’il contient des vérités qui dérangent notamment ceux qui refusent que la France regarde son passé en face, qu’on a tenté de le censurer. Ainsi, pour ceux qui doutent encore que des Oradour-sur-Glane ont été commis en Algérie, ce documentaire leur fournit des preuves implacables et tangibles. Plus que jamais, la France est appelée à regarder dans les yeux cette part honteuse de son histoire en reconnaissant, tout au moins, que la colonisation a été, non pas une œuvre civilisatrice mais plutôt une véritable entreprise génocidaire.

M. A. O.

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