El Hadj Khaled Bouchama, figure emblématique de la lutte pour la liberté, partage son parcours exceptionnel, marqué par des défis et des sacrifices. Né à Tiaret en 1932, il a vécu l’éveil de la conscience nationale en France, où il s’est engagé activement aux côtés de ses compatriotes pour soutenir la Révolution. Après l’indépendance, il est élu à deux reprises à la mairie de Tiaret. Parallèlement, il a exercé en tant que pharmacien en plein cœur de la ville pendant plus de 50 ans.
EL MOUDJAHID : Pourriez-vous, tout d’abord, nous parler de vos débuts à Tiaret et de votre jeunesse ?
Khaled Bouchama : Ma jeunesse a été marquée par un profond désir d’apprendre et de servir ma communauté. J’ai grandi dans une Algérie sous domination coloniale, ce qui a naturellement éveillé en moi un sentiment d’injustice. À l’âge de 22 ans, lorsque la guerre de Libération a éclaté, j’étais en France pour mes études en pharmacie.
Comment avez-vous perçu le déclenchement de la guerre de Libération alors que vous étiez loin de votre pays ?
C’était un moment que nous avons vécu comme une délivrance. Nous avions l’impression que l’Algérie se levait enfin pour revendiquer sa liberté. À cette époque, nous étions scotchés à nos postes radio (TSF), écoutant les nouvelles du front, comme si chaque mot pouvait nous rapprocher de notre terre natale. Nous avons même célébré cette annonce entre amis algériens, malgré la distance.
Vous mentionnez le caractère secret entourant les préparatifs de la Révolution. Quel a été votre rôle à ce moment-là et quels ont été les défis?
J’avais hâte de rentrer au pays, mais je ne pouvais pas abandonner mes études. Cela ne m’a pas empêché d’agir politiquement. Avec mes compagnons algériens et d’autres défenseurs de notre cause, nous étions très actifs en France. Nous organisions des manifestations, des collectes de fonds et des campagnes de sensibilisation. Cela m’a coûté une arrestation et une incarcération d’une année, de 1957 à 1958. C’était une période difficile, mais j’ai toujours considéré cela comme un sacrifice nécessaire pour notre lutte. En prison, j’ai réfléchi à la situation de notre pays, à la souffrance de notre peuple, et cela m’a renforcé dans ma conviction que nous devions continuer à nous battre pour la liberté. Après ma sortie de prison, j’ai adhéré à la Fédération FLN. J’y ai occupé plusieurs responsabilités, jusqu’à devenir chef de région.
Vous avez mentionné être l’un des organisateurs de la grève des 8 jours à Paris et participé au 17 octobre 1961. Pouvez-vous nous en parler?
La grève des 8 jours, en 1958, a été un moment crucial. Nous avons appelé à un arrêt de travail pour protester contre la répression et les violences subies par notre peuple. C’était une démonstration de solidarité et de détermination. Ce fut un moment fort qui a mobilisé beaucoup de personnes, et qui a permis de faire entendre notre voix à l’international. Pour la marche du 17 octobre 1961, c’était un acte de défi face à l’oppression. Nous étions des milliers à défiler pour revendiquer nos droits. Malheureusement, la répression a été terrible, avec des Algériens jetés dans la Seine. C’était un moment tragique, mais il a également renforcé notre détermination à poursuivre notre lutte pour la liberté.
Vous rentrez au pays le 9 juillet 1962. Quelles ont été vos premières impressions à votre retour en Algérie ?
C’était une immense joie mêlée d’émotion. Après tant d’années de lutte, de sacrifices, et de souffrances, nous étions enfin libres. La terre que nous avions tant désirée, tant défendue, était enfin à nous. C’était le début d’une nouvelle ère, mais aussi d’énormes défis à relever pour construire notre pays.
En regardant en arrière, quel message souhaiteriez-vous transmettre aux générations actuelles ?
Il est essentiel que la commémoration du 1er Novembre ne se limite pas à un simple décompte d’années. Chaque année, nous devons réfléchir à la signification profonde de cette date, qui représente l’unité nationale. Nous devons préserver et renforcer cette unité. La proclamation du 1er Novembre est un véritable appel aux valeurs que nous défendons aujourd’hui : la liberté, l’égalité, et le respect des droits humains.
Quels sont, selon vous, les défis auxquels l’Algérie fait face aujourd’hui ?
Aujourd’hui, notre défi est de préserver l’Algérie, de renforcer notre indépendance politique par une indépendance économique. Les générations actuelles doivent comprendre que notre lutte ne s’arrête pas avec l’indépendance. Il faut resserrer les rangs et placer l’Algérie au-dessus de toute considération personnelle. L’exemple des six dirigeants historiques est édifiant : ils ont renoncé à toute idéologie et à toute appartenance pour un objectif commun : l’indépendance de l’Algérie.
Un dernier mot pour nos lecteurs ?
Je souhaite rappeler à tous les Algériens l’importance de notre histoire collective. Nous avons un devoir de mémoire envers ceux qui ont sacrifié leur vie pour notre liberté. Que leur exemple nous inspire à bâtir un avenir meilleur, ensemble, pour notre pays.
Les jeunes générations peuvent honorer la mémoire des héros en s’informant sur leur histoire, en participant aux commémorations et en créant des œuvres artistiques qui mettent en lumière leurs sacrifices. Ils peuvent également s’engager dans des actions communautaires et des projets de volontariat, transmettre ces récits au sein de leurs familles, utiliser les médias sociaux pour sensibiliser un public plus large, et visiter des sites historiques pour mieux comprendre l’impact de ces figures sur leur pays. En intégrant ces pratiques dans leur quotidien, ils préservent et transmettent l’héritage de leurs héros tout en renforçant leur propre identité.
S. M. N.