
Jusqu’à mi-novembre, le collectif Féminicides Algérie a répertorié 33 féminicides à travers le territoire national contre 62 cas en 2021. Le nombre exact de ces femmes assassinées par un proche ou une connaissance est difficile à obtenir à cause des traditions et des tabous qui empêchent les familles de s’exprimer.
Face à cette situation, le Collectif des associations féminines (CAF) plaide pour «la mise en place d’un guichet unique multisectoriel et pluridisciplinaire de prise en charge des femmes victimes de violence», qui coordonne entre les institutions publiques et le mouvement associatif, avec désignation de sa composante, ses attributions ainsi que la mise en place d’un système intégré harmonisé d’observation, de recueil et de collecte de données (fiche déclarative obligatoire des violences, grilles d’indicateurs pertinents, suivi de l’auteur...).
Selon un mémorandum adressé aux pouvoirs publics, il n’existe pas de données nationales unifiées et d’indicateurs pertinents récents, à même de rendre compte du phénomène de la violence faite aux femmes et aux filles. «On sait qu’en 2006, une femme sur dix a subi des violences physiques et deux sur dix, des violences verbales répétées. En 2022, 6% des femmes interrogées disent avoir été frappées au moins une fois au point d’avoir mal, ceci au cours des 12 mois qui ont précédé l’enquête, ce qui correspond à près de 900.000 femmes violentées en une année. Or, la même année, les services de police ont enregistré́ 5.792 plaintes de femmes victimes de sévices», détaille le document signé par 15 associations féminines et des spécialistes.
Il s’agit de l’association SOS femmes en détresse, l’association Tharwa N’Fadhma N’Soummer, l’association nationale Femmes en communication, l’association des Femmes Algériennes Revendiquant leurs Droits (FARD), l’association Graine de Paix, l’Association nationale des élues locales, l’association des Femmes Rurales AFUD BéjaÏa,
Djazairouna, la Fédération Algérienne des Personnes Handicapées (FAPH), la Ligue de prévention et de sauvegarde de la jeunesse et de l’enfance à Tizi-Ouzou, la Fondation Mère enfant à Alger, la Fondation pour l’égalité /Ciddef, Sarp, ChérifaBouatta, psychologue clinicienne, et Nadia Ait-Zai, avocate.
Un observatoire pour la collecte des données
Le mémorandum propose la création d’un observatoire sur les violences qui pourrait aider à la collecte des données et recommande la mise en place d’un fonds national de soutien aux femmes victimes de violence, de discrimination et d’exclusion ainsi que les ordonnances de protection (éloignement et bracelet électronique).
Pour revenir à l’appel de la création d’un guichet unique, le Collectif des associations des femmes motive cette demande par le fait que les violences subies par les femmes et les filles constituent l’une des violations des droits humains «les plus répandues dans le monde». Tout en mettant en avant les efforts des pouvoirs publics pour la protection des femmes, il déplore l’exacerbation, d’année en année, du phénomène de la violence à l’égard des femmes et le dispositif existant n’est plus à même d’y faire face dans son fonctionnement actuel. «La volonté politique s’est exprimée par la mise en place d’une stratégie nationale de lutte contre les violences faites aux femmes, d’un numéro vert, de l’ouverture de deux centres d’accueil à Mostaganem et Annaba, la formation des policiers à la prise en charge des victimes et l’accueil humanisé des services de médecine légale», relève le mémorandum. Il soulignera, en ce sens, que les associations mènent des actions d’écoute, d’accueil, d’accompagnement et d’hébergement.
S’agissant des chiffres réels, le CAF souligne que l’écart entre le nombre de femmes violentées et celles qui parviennent au bout du parcours judiciaire reste «énorme». «L’analyse de la situation a fait émerger, en priorité, l’urgence de la création d’un guichet unique pour fédérer et coordonner tous les efforts existants.»
Chiffre noir
La porte-parole du Collectif, également présidente de la fondation pour l’égalité «Ciddef», confie que les organisations de la société civile, partant de leur vocation de force de proposition, ont engagé une réflexion collective pour une «approche intégrale et globale» de l’accueil à la réinsertion des femmes victimes de violence.
«Ainsi, une quinzaine d’associations ont constitué une coalition qui a œuvré, une année durant, à l’élaboration d’un plaidoyer configuré dans un mémorandum pour la mise en place d’un guichet unique destiné aux femmes victimes de violence. Il s’inscrit dans le cadre juridique institutionnel existant. Sa vocation est de mettre en synergie les dispositifs et moyens disponibles tant au niveau institutionnel qu’au niveau associatif, son but est de rationaliser et optimiser l’efficience et l’efficacité de la prise en charge des femmes victimes de violence», précise Me Nadia Ait-Zaï.
Après sa validation par ses initiateurs, le mémorandum a fait l’objet d’une remise aux différentes parties prenantes, dont la présidence de la République, le ministère de la Justice, le ministère de la Solidarité, le ministère de la Santé, le ministère de l’Emploi, du Travail et de la Sécurité sociale, le CNDH, la DGSN et l’observatoire de la société civile. Il précise que l’objectif est de recueillir leur soutien, leur adhésion et leur appropriation d’une action qui s’inscrit dans le processus de réparation d’une violation extrême d’un droit fondamentale. Cette première étape réalisée, la suivante consistera à élaborer le contenu du guichet unique, à savoir sa composante et ses attributions, déterminer son implantation la plus indiquée et identifier les intervenants à former.
Neila Benrahal