Forum de la mémoire d’El Moudjahid - Les explosions nucléaires au sahara Algérien : Crime d’État contre l’humanité

Ph. Wafa
Ph. Wafa

Dans le cadre du 60e anniversaire du recouvrement de la souveraineté nationale, et en commémoration des explosions nucléaires de Reggane, le journal El Moudjahid, en association avec Machaâl Echahid, a organisé un Forum de la mémoire, sous le thème «Les explosions nucléaires de Reggane, crime d’État contre l’humanité», animé par Fatma-Zohra Benbraham et Amar Mansouri, en présence de parlementaires.

Fatima Benbraham, juriste, a indiqué que ce crime est désormais connu de tous les Algériens. «Nous menons une bataille depuis une vingtaine d’années sur les plans scientifique et juridique. Il nous manquait, à l’époque, les documents nécessaires pour pouvoir baser les recherches sur le plan scientifique autour des explosions nucléaires et non des essais nucléaires. 
Ce dont nous sommes sûrs, c’est que cette affaire algérienne prit une tournure internationale à partir de 2014, quand le Sénat français a organisé le premier colloque international intitulé «Impact humanitaire des armes nucléaires», durant lequel ont été révélées l’étendue et l’ampleur du drame algérien. 
Nous avons consigné 14 points pour lesquels nous avons émis le souhait qu’ils soient pris en considération par la France. Ils ont été intégralement repris durant la conférence internationale organisée par le Parlement européen. Nous avons inscrit l’Algérie comme étant un pays lourdement affecté par ces explosions nucléaires et relevé la nécessité d’introduire cela dans le lexique politique ; que la France a perpétré un crime dont elle doit assumer la pleine responsabilité à l’égard du droit international en tant que pollueur-payeur et aussi du point de vue des sanctions légales prévues dans le Traité de Rome qui nous a fourni un soutien fort, dans la mesure où nous sommes les victimes de ces explosions. Par conséquent, la France endosse la responsabilité pénale, tenant compte du fait qu’elle a commis un crime imprescriptible et qu’elle s’abrite encore derrière l’argument du secret militaire, non seulement à notre égard mais également à l’adresse des militaires français qui ont accompli ces explosions nucléaires.
 
Une grande victoire
 
La reconnaissance politique a été faite par le président François Hollande qui a déclaré qu’effectivement, ce qui s’est passé en Algérie, ce n’était pas des expériences atomiques mais de véritables explosions atomiques. Cette reconnaissance représente pour nous une grande victoire. Et depuis cette date, les Français ne parlent plus d’essais nucléaires, mais d’explosions atomiques. 
Nous avançons à petits pas, avec la Polynésie et son ancien président, M. Tumaru et avec les membres de l’association des vétérans des essais nucléaires qui nous ont communiqué des documents.
Malheureusement, nous n’avons pas encore des associations qui peuvent nous aider, a souligné la conférencière.
Nous avons besoin d’une grande association nationale conduite par les gens de la région, pour progresser ensemble dans le traitement de cette question.
L’apport des victimes françaises, polynésiennes, nous aidera à défendre la cause des victimes algériennes.» La véritable question, selon Benbraham, «réside dans la détermination exacte du site des explosions atomiques en Algérie. Il s’agit de cartes qui doivent nous être restituées. De plus, les autorités françaises sont au courant du nombre de morts et sont en possession de l’état civil. 
Un motif de satisfaction. La Cour pénale internationale est obligée d’accepter notre plainte et, dans quelques années, nous parviendrons à obtenir un résultat. Cela dit, je demande au président de la République, de nous prêter main-forte dans la bataille d’archives que nous menons, sur le plan international, au nom de toute l’Algérie, en nous aidant à créer un laboratoire de recherches qui nous permettra de les affronter.
 
Mohamed B.
 
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Ils ont dit
 
Amar Mansouri, chercheur : «Macabre genèse»
 
Amar Mansouri, chercheur, a retracé avec détail, le processus d’intégration de la France dans le club des nations détentrices de l’arme nucléaire.
 Il a évoqué le bilan des 60 explosions et expériences nucléaires sur trois sites : Hammoudia à Reggane, Taourirt, Tan Afella- In Ekker, Tan Ataran.  De Gaulle était à la tête des «pères» de la bombe atomique française. 
Le conférencier a mis l’accent sur la coordination qui existait entre la France, Israël et les USA, dans le crime d’Etat qui allait être perpétré au Sahara algérien. Armée, scientifiques, politiciens sont tous responsables de ce qui s’était produit. De Gaulle, d’un ton jubilatoire, envoie un message à Pierre Guillaumat : «Hourra pour la France, depuis ce matin, elle est forte et fière, du fond du cœur. Merci à vous et à ceux qui ont, pour elle, remporté ce magnifique succès.» 
S’agissant des conséquences environnementales, Amar Mansouri a déclaré que la pollution a touché presque 26 Etats africains. Toutes les études et tous les experts s’accordent à reconnaître le fait que les explosions et essais nucléaires sont à l’origine de plusieurs maladies cancéreuses, de déformations congénitales.
Concernant l’Algérie, elle a fait les frais de la politique du deux poids, deux mesures. Et pour cause.
Il n’y a pas encore de reconnaissance de ce crime nucléaire, des déchets radioactifs à l’air libre, ou enfouis sous terre, cobayes humains disparus, des déclarations mensongères, des commissions sans fin et toujours pas d’indemnisation.
 
M. B.
 
Amar Ayadi, témoin et victime : «Faire la lumière sur ce qui s’était passé»
 
«En 1997, s’est tenue la première rencontre nationale, à Tamanrasset, où a été soulevée la question des explosions nucléaires. Je me suis rendu à In Ekker et je me suis introduit dans les tunnels où se sont produites les essais nucléaires. J’ai vécu pendant cinq ans où ont été organisées plusieurs rencontres nationales. 
Aujourd’hui, je laisse le soin aux spécialistes de faire le constat de ma maladie. Il y a de nombreuses victimes et c’est pour cela, qu’il faut parvenir à faire la lumière sur la réalité de ce qui s’est passé.»
 
M. B.
 
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Une catastrophe nucléaire nommée Béryl
 
La France du général de Gaulle a procédé, le 1er mai 1962 en Algérie, au cœur du Sahara dans le massif montagneux du Hoggar, au nord des sommets de l'Atakor, à deux pas de l'ermitage du père de Foucauld, à son second essai nucléaire souterrain. Il avait pour nom de code «Béryl» et pour parrains d'éminents représentants de l'État français en la personne de Pierre Messmer, ministre de la Défense, et Gaston Palewski, ministre de la Recherche scientifique. La publicité de ce tir expérimental n'eut pas l'écho retentissant de celui du premier tir aérien de Reggane, deux ans plus tôt, salué par le cocorico enthousiaste du président de la République.
À cela au moins une bonne raison, le tir Béryl s'était transformé en catastrophe nucléaire.
La montagne, sous laquelle avait été placée la bombe dans son labyrinthe de galeries en profondeur, s’était ouverte sous l’effet de l’explosion et un nuage très radioactif s’en était échappé enveloppant sous sa chape de particules irradiantes les centaines de militaires et civils présents sur les lieux face à la montagne tragique du Tan-Affela.
Tous sans exception, à des degrés divers, furent touchés par les fuites de produits radioactifs. Les changements brutaux du régime des vents autour de ce massif montagneux ont fait en sorte qu’aucune direction géographique ne fût épargnée, même si dans l’heure qui a suivi le tir, le nuage le plus dangereux a pris la direction plein sud de la base-vie des installations militaires, atteignant ensuite les centres de culture des populations locales jusqu’à Tamanrasset et au-delà.
Tout cela sans compter les groupes isolés de Touaregs nomadisant dans ces territoires et à leur tour touchés par les retombées du nuage radioactif. Nous sommes encore quelques-uns, une poignée du contingent dont des scientifiques, à pouvoir témoigner sur l’ampleur de la catastrophe du tir Béryl dont les conséquences tant humaines qu’environnementales ont été ignorées par les responsables de l’Etat français jusqu’à la promulgation de la loi Morin en 2010, mais sans apporter, comme escomptée par les victimes, la réponse qui s’imposait à leurs souffrances.
La République a un devoir de mémoire et de reconnaissance à l’égard de ces hommes appelés en service commandé ou civils engagés dans l’aventure du nucléaire français, qui ont exposé vies et santé en participant à cette campagne d’essais dont le point d’orgue fut la montagne éclatée du tir Béryl.
La dimension de ce désastre écologique se mesure au no man’s land que la France a laissé dans son ancienne colonie, l’Algérie, autour de la montagne du Tan-Affela. Nous, qui avions à peine plus de 20 ans à cette époque, savions avant même d’y être envoyés quelle était la beauté extraordinaire et incomparable de ces horizons sahariens célébrés par l’ermite de l’Assekrem.
Mais c’est bien au-delà du Hoggar que le sol algérien a été contaminé par les fuites radioactives de Béryl, car nous pouvons témoigner de nos missions à Djanet près de la frontière libyenne, voire pour certains d’entre nous jusqu’au Niger, afin d’en expertiser la radioactivité après Béryl.
Quel sort a été celui des populations sahariennes ainsi exposées à la radioactivité, et qui s’en est soucié en France ? Monsieur le Président, au terme de nos vies, nous voulons dire que notre pays ne peut continuer à se soustraire à son devoir de mémoire et de réparation face aux conséquences de ces campagnes de tirs nucléaires, et nous en sommes encore les témoins pour dénoncer sa passivité. L’Histoire, nous en sommes convaincus, rattrapera la France pour ce déni de justice.
 
Par Louis Bulidon, ingénieur chimiste, et Raymond Séné, physicien nucléaire

In Politis-El Moudjahid (mai 2022)

 

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