Forum de la mémoire d’El Moudjahid - Hommage à Frantz Fanon, Médecin, penseur et militant anticolonialiste convaincu : Le psychiatre de l’idéologie coloniale

Ph. : B.B
Ph. : B.B

Frantz Fanon, médecin psychiatre, militant de la Révolution algérienne, auteur des célèbres Peau noire, masques blancs et les Damnés de la terre, livres de référence sur les processus de décolonisation, anticolonialiste convaincu, a consacré sa vie à combattre l’idéologie coloniale, à la dénoncer et à insister sur son élimination.

Commentateur politique de talent, doté d’un solide bagage intellectuel, rompu aux règles de l’argumentation, d’un sens de l’analyse critique très aiguisé, son apport fut indéniable sur le terrain de l’affrontement des idées, des débats et la conquête de l’opinion publique.
Ces dimensions multiples et d’autres aspects de son engagement patriotique ont été mis en relief, hier, au Forum de la mémoire d’El Moudjahid, organisé par notre journal et l’association Machaâl Echahid.
Mohamed Koursi, PDG d’El Moudjahid, a fait le lien entre l’histoire et la compréhension des défis et des transformations géopolitiques terrifiantes partout dans le monde. Des mutations dont il est indispensable d’en saisir le sens et la portée.
L’histoire n’est pas une simple narration des faits ni une évocation récurrente d’évènements sans prisme avec une contemporanéité brûlante par son actualité et ses enjeux. C’est un élément structurant des relations internationales, un outil précieux pour prendre l’entière mesure de ce qui se passe en ce début du XXIe siècle. Il a justifié l’utilité de puiser dans l’histoire par le fait qu’elle pourrait nous éclairer et nous informer. La connaissance historique est une ressource importante pour la compréhension de ce qui se déroule sous nos yeux.
Frantz Fanon, avec son statut de martiniquais colonisé, né dans une famille bourgeoise assez aisée, s’est engagé dans l’armée française pour libérer la France du nazisme. Il découvrit des choses qui l’ont bouleversé. Le racisme à son égard, le poussa à déclarer que cette guerre n’était pas la sienne. Il adopta alors une vision différente, convaincu qu’il y avait un phénomène plus dangereux que le nazisme : la relation qui existe entre la force coloniale et les indigènes de seconde zone.

Au secours des malades algériens

Très vite après son arrivée en Algérie, en tant que psychiatre, il dénonce le racisme de l’École psychiatrique d’Alger, menée par Antoine Porot, le chef de file de l'École algérienne de psychiatrie, pour qui les indigènes sont des «primitifs». «Hâbleur, menteur, voleur et fainéant, le Nord-Africain musulman se définit comme un débile hystérique, sujet, de surcroît, à des impulsions homicides imprévisibles», voilà ce qu'écrivait cet éminent représentant de la psychiatrie française.
Fanon refuse le biologisme et l’essentialisme, et du coup il est amené à inventer, en parallèle à d’autres à la même époque, l’ethnopsychiatrie moderne. Il démissionne et rejoint les combattants de la liberté. Journaliste à El Moudjahid historique, médecin et diplomate, il décède en Algérie, libre.
Mohamed Rebah, chercheur en histoire, s’est appuyé sur des témoignages émanant de son assistante Alice Cherqui, de ses oncles Makhlouf et Ali Longo, de l’artiste Abderrahmane Aziz, ainsi que des écrits sur Fanon dans un numéro de la revue Révolution Africaine, paru en 1987. Charles Géronimi, neurologue, estime que Fanon était avant tout psychiatre. Sa profession est vivante, tout au long de ses travaux.
Makhlouf Longo révèle que Fanon, à l’hôpital psychiatrique de Blida, s’était indigné du traitement infligé aux malades algériens. Il a introduit les méthodes de social-thérapie : les soignants et les malades sont amenés à reconstruire ensemble un tissu social. Rebah a rendu hommage à l’apport d’Abderrahmane Aziz et à Georges Counillon, le premier médecin à monter au maquis. L’assistant de Frantz Fanon a soigné les blessés de l’ALN.

M. B.

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Sionisme et racisme, le couple maléfique

La conscience aigue de Frantz Fanon et ses prises de position offrent, par delà le temps, une grille de lecture de notre monde actuel. C’est pourquoi certaines situations nous rappellent la trajectoire et l’engagement de Fanon.
Il a subi le racisme quand il pensait s’engager en tant que Français parmi les Français pour lutter contre le nazisme. Il écrit à sa famille : «Je doute de tout, même de moi. Je me suis trompé ! Rien ici, rien qui justifie cette subite décision de me faire le défenseur des intérêts du fermier quand lui-même s’en fout. »
Ce racisme et cet apartheid (il ne pouvait pas s’asseoir à la même table que les autres soldats) ont été dénoncés par Amnesty international dans son rapport du 1er février 2022, qui déclare qu’'Israël pratique un régime d'apartheid contre les Palestiniens. On retrouve ce même racisme chez le ministre israélien de la Défense, Yoav Galant (plutôt ministre de l’extermination pour reprendre l’expression de Mohamed Koursi), qui déclare en octobre 2023 : «Nous imposons un siège total contre la ville de Ghaza. Il n'y a pas d'électricité, pas de nourriture, pas d'eau, pas de carburant. Tout est fermé. Nous combattons les animaux humains et nous agissons en conséquence».
Si on ne parvient pas à appréhender le militantisme de Frantz Fanon, son œuvre en ce qu’elle recèle comme analyse, dénonciation et lutte intransigeante contre le fait colonial, on peut alors dire qu’il nous manque une clé de compréhension au sujet de ce qui se passe à Ghaza. «Le régime colonial est un régime instauré par la violence. C’est toujours par la force que le régime colonial s’est implanté. C’est contre la volonté des peuples que d’autres peuples plus avancés dans les techniques de destruction ou numériquement plus puissants se sont imposés. Violence dans le comportement quotidien, violence à l’égard du passé qui est vidé de toute substance, violence vis-vis de l’avenir», écrit Fanon dans L'An V de la révolution algérienne (1959).
C’est l’étape nécessaire à l’appropriation par la force de l’identité nationale, de la terre, de la culture et de soi-même pour reprendre les mots de Fanon qui tonnent dans les Damnés de la terre.
Un mètre soixante-cinq, Frantz Fanon était une boule de colère et de détermination, un modèle d’engagement. Défenseur de l’opprimé, du méprisé, du colonisé, il prônait la violence révolutionnaire comme unique recours pour briser les chaînes de la servitude. Excessif, cassant, intransigeant, peu porté sur la diplomatie, il avait le courage de ses idées qu’il exprimait avec une agressivité et une rage contenues. Homme des ruptures définitives avec tout ce qui ne correspondait pas, ou plus, à sa vision du monde, disait de lui un intellectuel africain.

M. B.

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Ghania Sid Athman :
«Un combat dans la souffrance»

Mme Ghania Sid Athman, journaliste et scénariste à la télévision algérienne a indiqué qu’Omar Ibrahim, né le 25 juillet 1925 à Fort-de-France en Martinique, et décédé prématurément le 6 décembre 1961 en terre algérienne, n’aura pas connu l’Algérie indépendante, pour laquelle il s’est battu et où il a choisi de mourir. Mme Sid Athman a mis en valeur le film documentaire réalisé par l’ENTV, un véritable travail de fourmi, rappelant que la chaîne dédiée à la mémoire est un lien entre l’histoire et la nouvelle génération.
L’intervenante a mis en relief les différentes œuvres telles que les Damnés de la terre, où Fanon rend compte de toute cette verve étincelante et cet élan fougueux avec une plume intarissable, pointée comme un défi à la face d’un Occident infatué, dans ce creuset de souffrance où se manifeste l’intolérable manichéisme du monde, dans sa double expression de mal et de bien, de l’indigène et du colon. Dans le même contexte, elle a souligné que lorsqu’on relit encore l’œuvre de Fanon, on ne trouve nulle trace de complaisance envers les coteries littéraires et les aréopages intellectuels.
Ce révolutionnaire, militant et penseur a dépassé le conformisme scolaire et évité de suivre aveuglément les brisés des philosophies existentialistes de son époque et des sociologies emmurées dans les limites de l’impérialisme de la pensée. Mal compris, il demeure l’enfant terrible par son engagement intellectuel, refusant l’embrigadement de l’orthodoxie universitaire cachée derrière les écrans des méthodologies savantes.
Il refuse de soumettre ses analyses à l’étroitesse des règles, dont les cadres préétablis auraient servi de repères exclusifs, où sa pensée devait fatalement se cantonner, manifestant ainsi une défiance patente à l’égard des exposés doctrinaux issus des laboratoires d’idées préfabriquées. Le 6 décembre 1961, Omar Fanon atteint d’une maladie du sang, s’éteint à Washington. Rapatrié en Tunisie et plus tard inhumé en Algérie selon ses propres vœux, il repose parmi ses frères.
L’héritage d’Omar Frantz Fanon, inscrit au panthéon des œuvres majeures, demeure une résonance pure et renouvelée parce qu’elle échappe au conformisme de la pensée académique et aux compromissions lâches des servitudes volontaires.

Zine Eddine Gharbi

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Saliha Khelifi :
«La révolution Algérienne a inspiré ce théoricien de la décolonisation»

Saliha Khelifi, auteur littéraire et artistique et membre de l’ONDA, a souligné qu’Omar Ibrahim, connu sous le nom de Frantz Fanon, est un intellectuel du tiers-monde, médecin et militant, dont la pensée testamentaire inspire aujourd’hui les recherches en histoire et en anthropologie, postulant une réévaluation des rapports souvent conflictuels qui opposent encore les vieux empires coloniaux à leurs anciens sujets. Indiquant que l’actualité politique et intellectuelle française s’est gardée jusque-là, par un travers d’esprit ethnocentrique, de toute prise en compte des thèses de ce théoricien de la décolonisation, c’est parce que la France a encore quelque mal à reconsidérer ses rapports historiques avec ses colonies et à participer à une vision alternative, débarrassée des paradigmes de supériorité et des scories d’une époque révolue, ajoutant que le psychiatre devient moudjahid et Frantz Fanon devient Omar.
De Tunis à Accra, en passant par le désert malien, les dernières années de sa vie sont une traversée du monde colonial en révolution.
Dans les rangs du FLN, il œuvre désormais directement pour la révolution algérienne en tant que théoricien et toujours en tant que psychiatre. Dans le même sillage, Mme Khelifi a fait savoir que Fanon louvoie entre sa liberté de pensée et les contraintes d’appareil politique. «Lui qui n’a jamais été encarté, fait désormais partie du gouvernement provisoire de la guerre de Libération algérienne».

Z. Gharbi

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