
Par Rachid Lourdjane
Dans la nuit du 15 octobre 1987, Thomas Sankara, président du CNR (Conseil national de la Révolution) du Burkina Faso, leader charismatique panafricain, tombe sous les balles de soldats de la garde présidentielle commandée par un proche du capitaine Blaise Compaoré. L’onde de choc de cet acte qui traverse encore le temps et l’espace est revenue, la semaine passée, au-devant de la scène sous un climat de fièvre dans tout le Burkina Faso. Blaise Compaoré affirmera plus tard que «c’était un accident». Rapidement, la disparition de Sankara mettra un terme au gel des rapports avec la France et la Côte d’Ivoire.
34 ans après cette tragédie qui a stoppé un raz-de-marée politique au Burkina Faso et au-delà, en Afrique de l’Ouest notamment, Compaoré est enfin rattrapé par l’histoire et la justice de son pays après 27 ans de règne absolu. Il sera chassé du pays le 31 octobre 2015 par un vaste soulèvement qui s’est soldé par 30 morts et l’incendie de plusieurs édifices publics dont le Parlement qui s’apprêtait à modifier la Constitution en faveur d’un cinquième mandat pour le dictateur. Réfugié en Côte d’Ivoire, l’ex-président et 13 co-accusés sont appelés à la barre devant le tribunal militaire de Ouagadougou pour «attentat à la sûreté de l’État, complicité d’assassinats et complicité de recel de cadavres» Blaise Compaoré sera jugé par contumace pour cause de «nationalité ivoirienne».
Mais dans cette affaire, les faits qui seront interrogés ne suffiront sans doute pas pour éclairer l’opinion sur les commanditaires du crime. Le tribunal militaire jugera l’homme, pas la main qui l’a armé. Les faits de la nuit du 15 octobre 1987 n’offrent pas la transparence voulue sur les acteurs internationaux qui ont voulu stopper l’aventure sankariste dans sa nouvelle vision du monde. Les meurtriers en voulaient à ses projets politiques et sa volonté de rupture avec le néocolonialisme. Une vision politique cohérente articulée notamment autour de la dette qui fonde, encore, les rapports de domination entre les riches, toujours plus riches, et les damnés de la terre. Aussi, il m’est difficile d’admettre que le capitaine Campaoré dont je garde le souvenir d’un timide personnage qui, juste avant sa forfaiture, me parlait à voix basse, fuyant le regard, effacé au milieu du groupe du CNR. Un personnage sans envergure, incapable d’élaborer ce projet de prise du pouvoir et l’élimination physique de tous ses camarades, bien que son CV mentionne une rébellion à la tête de ses commandos de Pô aux confins de la frontière avec le Ghana en 1983. Blaise Compaoré n’était pas seul dans la planification et l’exécution de la conjuration du 15 octobre, quand on sait que des militaires libériens ont participé directement cette nuit à l’attaque contre la présidence. Maillon faible du CNR, il a été harponné et orienté dans le sens que voulaient les entrepreneurs de la contre-révolution. Pourquoi ? Les idées de Thomas Sankara ne relevaient pas du romantisme révolutionnaire. Les journalistes du monde entier qui débarquaient à Ouagadougou avaient tous cette question en tête : «D’où est venu cet officier ? Où a-t-il pu se construire jusqu’à faire perdre son sang-froid au flegmatique François Mitterrand ?» Thomas Sankara a fortement ébranlé la quiétude des grandes institutions financières internationales sur la question de la dette. Quand Thomas Sankara a décidé de s’engager sur ce sujet brûlant, il avait conscience qu’au bout du compte c’était la victoire ou la mort. Il savait qu’en avançant seul dans le refus de payer la dette, c’est la mort qui l’attendait. Il l’a dit et l’a martelé de façon prémonitoire à la 25e Conférence au sommet de l’OUA en juillet 1989, trois mois avant sa mort : «Si le Burkina Faso tout seul refuse de payer la dette, je ne serai pas là à la prochaine conférence ! Par contre, avec le soutien de tous, nous pourrons éviter de payer. En évitant de payer, nous pourrons consacrer nos maigres ressources à notre développement.»
Seul contre tous et trop en avance sur son temps ou sur ses pairs africains, Thomas Sankara n’a pas trouvé de soutien pour négocier en force face aux institutions financières et le poids souverain de l’ancienne puissance coloniale.
Il a marqué l’histoire, au point où de très nombreux africains, y compris des jeunes qui n’ont pas vécu l’ardeur de la période sankariste, s’attachent à faire revivre les idées de cet homme qui a défrayé la chronique par la puissance de son verbe et la profondeur de sa pensée.
R. L.
Lire : Thomas Sankara
Recueil de textes introduit par Bruno Jaffré