
Farid Aït Saâda
Jamais, dans l’histoire de la politique algérienne, un président de la République n’avait accordé une interview aussi franche, exhaustive et même audacieuse que celle que M. Abdelmadjid Tebboune a accordée au journal français L’Opinion. Une interview qu’il est possible de traduire dans toutes les langues, sauf dans la langue de bois. La diplomatie lisse peut se rhabiller ! Non seulement tous les points ayant trait à la politique extérieure algérienne, à commencer par les relations tendues avec la France, ont été largement évoqués, mais cela s’est fait dans un style direct, sans complaisance, avec des mots bien choisis et des expressions ciblées.
Une sémantique ciblée
La fermeté qui ressort des réponses de M. Abdelmadjid Tebboune s’exprime même dans ses tournures de phrase. On peut scinder la sémantique employée en quatre catégories. D’abord, les vérités embarrassantes. Il en est ainsi lorsqu’il rappelle au président français, Emmanuel Macron, sa qualité de «membre permanent du Conseil du sécurité, donc protecteur de la légitimité internationale, alors que le Sahara occidental est un dossier de décolonisation pour l’ONU qui n’a toujours pas été réglé» ou lorsqu’il réplique, au sujet de l’utilisation supposée de la France comme une rente mémorielle, que «la France commémore encore ses soldats et résistants (…) bien qu’il n’y ait eu que quatre ans d’occupation, et encore pas sur tout le territoire». Une autre vérité mise en avant : celle des Français qui exigent la révision des accords de 1968 alors que lesdits accords, en plus d’avoir été déjà révisés à trois reprises, étaient «favorables à la France qui avait besoin de main-d’œuvre». Le Président a aussi relevé les contradictions des pourfendeurs français, montées en épingle, comme l’affaire Boualem Sansal qui «est un problème pour ceux qui l’ont créé» puisque, comble de la mauvaise foi, Sansal «n’est français que depuis cinq mois». Il y a aussi la campagne menée contre le Recteur de la Mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz, alors que «la France officielle n’a jamais fait d’objection» à sa nomination, sans omettre l’indignation internationale sélective qui tend à «condamner l’intervention en Ukraine, mais pas l’annexion du Golan ou du Sahara occidental».
«Je n’insulterai jamais votre pays»
Ensuite, il y a la catégorie des comparaisons édifiantes. Celle entre les soutiens français et italien apportés à l’Algérie durant la décennie noire avec «une ligne de crédit de 13 milliards de dollars» ouverte par l’Italie ou celle concernant les «excellentes relations avec la droite radicale italienne», au contraire de celles avec l’extrême droite française, ne manqueront pas de faire mouche. La comparaison entre les présidents Donald Trump et Emmanuel Macron mérite aussi d’être relevée : alors que le premier avait félicité, en 2019, Abdelmadjid Tebboune «quelques heures» seulement après son élection, le second «a mis quatre jours pour prendre acte de mon élection». Cependant, la comparaison la plus marquante, car chargée de non-dits, est celle où le président de la République affirme que «(Dominique) De Villepin représente une certaine France qui avait son poids».
Une manière de dire que la France n’est plus ce qu’elle était. L’extrême droite française et assimilés ont eu droit aussi à leur lot de comparaisons. En sus de faire le parallèle entre le Rassemblement national et la tristement Organisation armée secrète (OAS) «pour laquelle il fallait tout régler par la grenade et les attentats», le président s’interroge si Marine Le Pen, une fois au pouvoir, voudrait faire «une nouvelle rafle du Vel d’Hiv», allusion aux juifs victimes d’une rafle au Vélodrome d’Hiver, commise par la France collaborationniste de Vichy, avant d’être déportés vers le camp nazi d’extermination d’Auschwitz. La comparaison entre le RN et Trump est tout aussi édifiante, le second n’ayant «pas d’arrière-pensée liée à l’immigration algérienne aux Etats-Unis» quand le premier «s’attaque systématiquement à l’islam et à l’immigration, avec comme bouc-émissaire l’Algérie». Et puis, la comparaison suprême : contrairement à Eric Ciotti, qui qualifie l’Algérie d’«Etat voyou», et à Jordan Bardella, qui parle de «régime hostile et provocateur», M. Tebboune est catégorique : «Je n’insulterai jamais votre pays.»
Après Canossa, Poujade
Cette interview vaut aussi par des références historiques loin d’être anecdotiques, telles celles relatives à l’intention de Hassan II, avant son décès, de régler la question du Sahara occidental ou aux propositions de médiation entre l’ancien président de Syrie Bachar Al Assad et l’opposition syrienne et entre Vladimir Poutine et Volodymyr Zelenski. A retenir aussi un jeu de mot croustillant, «analphabêtises», contraction astucieuse entre «analphabète» et «bêtises», pour qualifier les bêtises dignes d’un analphabète proférées par Marine Le Pen, ce qui ne manquera pas de faire pleurer dans les chaumières de l’extrême droite. Par ailleurs, et après le fameux «Je n’irai pas à Canossa» prononcé en octobre dernier, qui avait fait replonger de nombreux journalistes, politiques et observateurs français dans leurs cahiers d’histoire, une nouvelle référence historique est sortie du chapeau du président de la République : Pierre Poujade.
Nul doute que beaucoup de Français ont potassé dans les livres d’histoire pour savoir de qui il s’agit. Il suffit juste de savoir que Pierre Poujade a créé le poujadisme qui était un mouvement d’extrême-droite partisan de la violence sous couvert d’action syndicale et dont Jean-Marie Le Pen était député. Une manière de renvoyer le RN à ses origines extrémistes et violentes.
Ton offensif
Enfin, dans la sémantique employée par le président de la République, il est à noter le ton offensif pour démontrer, par les faits, que l’Algérie n’est pas un faire-valoir. Des Français jugent que l’Etat algérien est mauvais payeur ? «Nous avons pris la résolution de ne plus envoyer nos malades en France.» L’aide française au développement à l’Algérie ? «Nous venons d’effacer 1,4 milliard de dettes à douze pays africains.» Marine Le Pen menace l’Algérie ? «L’Algérie est la troisième économie et la deuxième puissance militaire africaine.» La coopération avec la DGSI française ? «Tout ce qui est de ‘’Retailleau’’ est douteux.» Boualem Sansal, vieux et malade, bénéficiera-t-il de la grâce présidentielle à titre humanitaire ? «Je ne peux présager de rien.» Contradictions, comparaisons, références historiques et vérités caustiques. La panoplie sémantique et lexicale a été large. Avec tout ça, difficile que le message ne passe pas…
F. A.
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
France, Maroc, entité sioniste
Mokrane Aït Ouarabi
Le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a clairement identifié les sources de la crise entre l’Algérie et la France, expliqué les raisons de la rupture diplomatique avec le Maroc et apporté des précisions sur la question palestinienne. Loin des discours bellicistes ambiants, le chef de l’État s’est montré conciliant, sans céder sur les principes et les fondements de la politique étrangère. S’exprimant sur les colonnes du journal français L’Opinion, le Président Tebboune est allé droit au but en désignant l’extrême droite comme le principal instigateur des tensions et des crises entre Alger et Paris.
Une extrême droite qui «a dans son ADN des restes de l’OAS pour laquelle il fallait tout régler par la grenade et les attentats». À cette extrême droite, le Président oppose une «certaine France qui avait son poids» incarnée par des figures politiques comme «Jean-Pierre Chevènement, Jean-Pierre Raffarin, Ségolène Royal et Dominique de Villepin». Une France avec laquelle l’Algérie pourrait bâtir des relations saines, apaisées et équilibrées, loin de l’arrogance et du mensonge des extrémistes, portés par les médias de Vincent Bolloré dont la mission est de «détruire l’image de l’Algérie et le reste des Français». «Personnellement, je distingue la majorité des Français de la minorité de ces forces rétrogrades et je n’insulterai jamais votre pays», a-t-il affirmé. Pour le chef de l’État, ni le chantage ni l’épreuve de force ne peuvent ébranler l’Algérie qui «est la troisième économie et la deuxième puissance militaire africaine». «Nous sommes conciliants, nous allons doucement, nous sommes prêts à dialoguer mais le recours à la force est un non-sens absolu», a-t-il précisé tout en estimant que «la balle est désormais dans le jardin de l’Elysée afin de ne pas tomber dans une séparation qui deviendrait irréparable».
S’agissant du Maroc, le président de la République a bien mis les points sur les «i» en expliquant les tenants et les aboutissants de cette relation conflictuelle qui a pris racine au lendemain de l’indépendance de l’Algérie. Il a mis en avant la nature expansionniste de la monarchie marocaine qui a cherché à porter atteinte à l’intégrité de l’Algérie neuf mois après son indépendance et qui a attendu de longues années pour reconnaître l’indépendance de la Mauritanie. Le Président a assuré que l’Algérie a toujours été dans la réaction aux provocations et à l’hostilité marocaines. La rupture des relations diplomatiques depuis quelques années s’explique surtout par l’attitude belliqueuse marocaine, qui a foulé au pied toutes les règles de bon voisinage en réalisant «des exercices militaires conjoints avec l’armée israélienne» à la frontière algérienne. Un bon voisinage que l’Algérie a pourtant toujours essayé de maintenir, a-t-il précisé. Le chef de l’État a cependant considéré que cette situation n’est pas irréversible. «Nous devrons mettre un terme à cette situation un jour», a-t-il estimé, soulignant que «le peuple marocain est un peuple frère auquel nous ne souhaitons que le meilleur». S’agissant de la non-reconnaissance d’Israël, le président de la République a précisé que la seule préoccupation de l’Algérie est celle de la création de l’État palestinien, indépendant et souverain. Une fois cette question réglée, l’Algérie n’aura aucune raison de maintenir la même position vis-à-vis d’Israël. «Cela va dans le sens de l’histoire», a-t-il soutenu.
M. A. O.
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
A ceux qui contestent le choix du média français l’Opinion :
Vous n’avez rien compris !
Quand on lui montre la lune, l’imbécile regarde le doigt. Des prétendus influenceurs, confortablement assis derrière leur écran, n’ont rien trouvé à reprocher à la prestation du chef de l’État que le fait qu’elle soit diffusée par un média français. Donnant libre cours à leurs lubies, ils ont saisi l’opportunité de cet entretien, pour s’attaquer, à nouveau, à «la gestion administrative de la presse» et les conditions de travail des journalistes, ainsi que de soulever des questions diplomatiques qui n’ont aucun lien avec le sujet. Or, la problématique, telle que posée, est un non-sens. D’abord, le sujet était de relever l’impact national et international de la prestation du président de la République. Sur cette question, pas un seul commentaire, alors que même les médias internationaux n’ont pas cessé, tout au long de la journée d’hier, de décrypter les messages forts du chef de l’État. Par ailleurs, ces mêmes influenceurs autoproclamés ont la mémoire courte pour se rappeler que notre Président est souvent invité par des médias publics et privés, toutes tendances confondues.
À noter que le choix du journal l'Opinion par les responsables de la communication officielle est une question de confiance. Il ne faut pas aller chercher plus loin. S’agissant des conditions de travail des journalistes en Algérie, qu’ils sachent que ces conditions ont nettement évolué, ces dernières années, permettant une plus grande liberté de presse. Combien de fois, des titres de la presse nationale, dont El Moudjahid, ont fait l’objet de reprise dans les médias français, la presse écrite, les plateaux de TV et les journaux online. Pour le reste, c’est une ratatouille militantiste qui ne tient pas la route.
R. N.