
Avant de regarder plus attentivement le contenu de cet ouvrage, il peut être intéressant de s’intéresser à l’auteur. À l’homme plus exactement.
Ainsi, Abdelhafid Ouadda, sans faire mystère d’un parcours jalonné de ruptures et soutenu par une quête incessante l’ayant amené à multiplier les expériences, se livre facilement dans son roman et même dans ceux qui ont été publiés précédemment.
A multiplier ses expériences, disions-nous. Expériences qui en tout cas lui fournissent très opportunément la matière de ses livres et qu’il organise autour de thèmes auxquels il a longuement réfléchi : recherche de la légende personnelle dans «Le Grand Douar», qui relate un retour au pays après une absence de dix-huit années ; irruption de l’inévitable dans une vie humaine pour « Spania », un roman sulfureux sur les harragas de l’Ouest algérien et édité par Enag Editions en 2007, etc. A noter qu’il n’a pas fallu de nombreux mois à Abdelhafid Ouadda pour écrire ces romans, puisque c’est presque chaque fois sur l’urgence qu’ils ont été «conçus». Si l’auteur se livre à cet exercice, c’est pour partager son expérience, ses convictions, ses doutes. Et, en quelque sorte, aider chacun à trouver sa «légende personnelle», autrement dit «sa voie», en surmontant vaille que vaille les épreuves inévitables, en l’occurrence, pour le jeune footballeur Sékou, cette périlleuse traversée du Sahara algérien à partir d’une banlieue déshéritée du Nord du Mali. Sans blason et sans papiers, le jeune Malien se fait repérer par Rasmussen, un agent belge qui ne peut malheureusement l’emmener dans ses bagages. Malgré tout, sûr de son étoile, Sékou décide de traverser le désert en compagnie de trafiquants, de djihadistes et de nomades, pour gagner l’Europe et ses grands stades. Notamment le club belge F.C. Lokeren au sein duquel on lui aura promis un recrutement. Durant son périple, la rencontre exceptionnelle d’un chaman l’aide à affronter les Djinns, notamment en pays touareg et, d’une manière générale, les épreuves de l’indomptable Sahara algérien.
Le désir tient une grande place dans le roman
Ses personnages ressemblent-ils à l’au- teur ? Nous sommes quelque peu tentés de le croire, bien sûr, si l’on s’en tient à son présent roman : goût de l’aventure, refus de la banalité du quotidien, capacité à rebondir et à poursuivre sa quête malgré les obstacles, recherche spirituelle tous azimuts, simplisme dans l’approche des réalités humaines et spirituelles, égocentrisme, générosité mêlée quelquefois de naïveté… Toutefois, ceux qui ont approché Sékou ne peuvent s’empêcher de sourire à la connaissance de ses conseils prodigués dans ses pérégrinations, conseils exhortant à certaines vertus comme la sérénité, la patience, l’intériorité, choses rarement disponibles si l’on tient compte des contextes difficiles, voire périlleux évoqués dans le récit de l’auteur… Si l’on s’attache donc au contenu du présent roman d’Abdelhafid Ouadda, il semble bien que nous soyons ici en présence d’une spiritualité d’inspiration plus ou moins «socioculturelle». Le style répétitif de l’auteur nous permet de dégager assez rapidement quelque leitmotiv susceptible de nous aider à mieux cerner sa conception de l’homme. La légende personnelle : chacun, en effet, se doit de la découvrir et de l’accomplir, car il s’agit là de «la seule et unique obligation». Cette légende personnelle est ainsi définie, tour à tour, comme «ce que tu as toujours désiré faire», elle s’apparente au «rêve» pour Sékou, elle est «raison de vivre», voire «destin originel» pour ce descendant de la lignée des Kesta et, pour tout dire, détentrice d’une magnificence ancestrale ; donc autant de «déterminismes positifs» qui vont «contribuer à faire de ce jeune Mansa un footballeur de génie qui parviendra à atteindre les rives du succès».
Malgré les obstacles, ce désir finit toujours par triompher
Tout compte fait, le désir, qui tient une grande place dans le roman d’Abdelhafid Ouadda, se révèle assez «narcissique» et propre à rejoindre la part d’enfance qui subsiste en tout lecteur. Il s’agit de ce désir tout-puissant qui se nourrit d’un imaginaire déconnecté du réel, de l’espace social et de ses contraintes. De fait, malgré les obstacles de la route, ce désir finit toujours par triompher, car «quand tu veux quelque chose, tout l’univers conspire à te permettre de réaliser ton désir». Autant dire que «la Terre entière» tourne autour de chacun de nous ! Le cœur : il apparaît, comme chez Sékou, la seule et unique référence : le bon combat s’avère ainsi celui qui est engagé, parce que notre cœur le demande. En essayant de creuser plus avant, il s’avère que ce cœur-là équivaut à la conscience psychologique. Que celle-ci ait sa part dans les décisions à prendre, rien de plus normal, à condition qu’elle ne soit pas fermée sur elle-même, qu’elle soit ouverte à l’apport d’autrui. Abdelhafid Ouadda serait-il donc un «reflet» de l’opinion, à même de la conforter ? Serait-il un génial manipulateur appliquant une recette millimétrée ou une victime —innocente— de lui-même et des illusions collectives ? Peut-être un peu de tout cela à la fois… Au mieux, peut-on lui faire crédit de poursuivre avec pragmatisme et talent le métier dans lequel il s’était déjà illustré, celui d’auteur et de compositeur de rengaines populaires de l’Algérie contemporaine ? Hypothèse qui expliquerait le fond et la forme de son œuvre et de son succès.
Kamel Bouslama
Le sel du succès, roman d’Abdelhafid Ouadda, ENAG Editions, Alger,
414 pages.