Aigles, chacals, vautours... Les derniers souffles de la faune sauvage

Incarnant la puissance, la discrétion, la farouche liberté, mais surtout un rôle vital dans l’équilibre des écosystèmes, une partie de la faune sauvage algérienne est aujourd’hui sous forte pression. Le constat est sans appel.

Dans les steppes, les zones de montagne ou les régions semi-désertiques, de nombreuses espèces emblématiques du bassin méditerranéen — notamment en Afrique du Nord, comme l’aigle royal, le chacal doré ou encore les vautours — se raréfient. Victimes de la réduction de leur habitat, de la pollution, du braconnage et d’empoisonnements indirects, ces espèces déclinent à un rythme inquiétant. Pour de nombreux chercheurs et spécialistes de la faune, ces rapaces glissent lentement mais sûrement vers la disparition. Le silence qui gagne leurs territoires, autrefois animés de cris, de vols et de présences sauvages, devient assourdissant. Selon les statistiques récentes de la Direction générale des forêts, l’Algérie abrite plus de 400 espèces d’oiseaux et plus de 100 espèces de mammifères sauvages, dont plus de 20 figurent sur la liste rouge de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature, ndlr). Certaines espèces de ces oiseaux carnivores menacées, étaient autrefois fréquentes dans les massifs montagneux comme le Djurdjura, les Aurès ou les steppes de l’Atlas saharien. Parmi elles, l’aigle royal, mythique planeur des cimes, se fait de plus en plus rare dans ses zones «historiques».
La fragmentation des forêts, les feux à répétition et les dérangements humains dans ces sites de nidification sont autant de causes de ce recul. Dans les hauteurs du parc national de Belezma, (PNB) dans la wilaya de Batna, il ne resterait plus que deux à trois couples nicheurs, contre une dizaine dans les années 1990, selon une étude publiée en 2023.
Le constat est tout aussi alarmant pour le chacal doré. «Mal-aimé», souvent pris à tort pour un prédateur nuisible, «le chacal doré joue pourtant un rôle écologique essentiel en éliminant les carcasses et en freinant la propagation de maladies», note un biologiste. Pourtant, il est régulièrement la cible de campagnes d’abattage illégales, parfois même soutenues à l’échelle locale.

Le recul inquiétant des espèces emblématiques

Entre 2015 et 2023, le ministère de l’Agriculture avait enregistré une hausse de 37% des «incidents» impliquant la faune sauvage, sans préciser les espèces concernées. Les vautours, eux, approchent de l’effacement. Le percnoptère d’Égypte, classé «en danger» par l’UICN, a vu son aire de présence réduite de 60% en dix ans. Dans le massif montagneux du Djurdjura, il n’a plus été observé avec certitude depuis 2018, a déploré un agent forestier. Le gypaète barbu, autrefois roi des crêtes, n’a été aperçu qu’à deux reprises ces dernières années, selon les mêmes sources. Les causes sont bien identifiées. Entre l’évolution des pratiques pastorales, la prolifération de points d’impact anthropique en altitude et les effets indirects de certains traitements vétérinaires, les grands rapaces évoluent dans un contexte écologique de plus en plus complexe. À cela s’ajoutent des usages récréatifs croissants dans les zones de montagne. Ces espèces clés, véritables baromètres de l’état des écosystèmes, mériteraient un plan de conservation à la hauteur de leur rôle. «Ces espèces ne sont pas seulement belles ou symboliques. Ils sont des indicateurs écologiques. Leur présence traduit la santé des milieux naturels», explique une biologiste de l’université de Tizi Ouzou. Et d’ajouter : «Il est temps de préserver durablement les derniers refuges encore fonctionnels dans le nord du pays.»

A. F.

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 

125 espèces d’oiseaux protégées…

Pas moins de 125 espèces d’oiseaux, terrestres et aquatiques, sont officiellement protégées en vertu du décret exécutif n°12-234 du 24 mai 2012. Ce cadre légal interdit toute commercialisation d’oiseaux issus de la nature, sauf s’ils proviennent d’un élevage réglementé conforme aux normes sanitaires internationales. Pourtant, sur le terrain, la situation reste préoccupante. Chaque été, des tentatives d’exportation d’oiseaux exotiques, comme les perroquets, sont signalées, souvent sans aucun document de traçabilité. Faute de preuves sur leur origine, les services compétents bloquent ces transferts, invoquant le risque sanitaire et le non-respect de la législation en vigueur. Le cas du chardonneret, oiseau emblématique prisé pour son chant, illustre bien ce décalage. Sa capture est interdite, mais son commerce illégal perdure. L’élevage encadré est encouragé comme alternative pour freiner le braconnage. Parallèlement, une réforme législative est en cours pour aligner les textes nationaux sur les engagements pris dans le cadre de la Convention CITES. Dans ce pays carrefour des routes migratoires, un réseau national d’ornithologues assure le suivi des espèces migratrices, sédentaires et nicheuses. Les données collectées servent à identifier les espèces en déclin et orienter les actions de conservation. Des campagnes de sensibilisation sont également menées chaque année, à l’occasion des Journées mondiales des oiseaux migrateurs. La dégradation des zones humides, les sécheresses récurrentes et les pressions humaines désorganisent les cycles naturels. Certaines espèces modifient leurs itinéraires migratoires ou abandonnent carrément leurs anciens sites de nidification. Le risque d’extinction s’accroît.

A. F.

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 

Protection de la faune en Algérie :
Un cadre juridique renforcé

En Algérie, la préservation des espèces animales menacées repose désormais sur un dispositif juridique renforcé, combinant textes nationaux récents et engagements internationaux. À l’heure où la biodiversité faunique est confrontée à une pression accrue — dégradation des habitats, braconnage, exploitation illégale, les autorités multiplient les instruments réglementaires pour tenter d’inverser la tendance.
Adoptée le 5 juillet 2023, la loi n°23-08 relative aux forêts et à la richesse forestière marque une évolution notable. Elle élargit la notion de gestion forestière à la conservation de la biodiversité, en particulier dans les zones steppiques et montagneuses. La loi souligne l’importance de préserver les espèces rares, menacées ou endémiques et prévoit des plans de gestion durable intégrant la régénération des équilibres écologiques et la lutte contre l’exploitation illicite de la faune sauvage. Ce texte s’inscrit dans un arsenal juridique plus large, structuré notamment autour du décret exécutif n°12-235 du 24 mai 2012. Ce dernier établit une liste de 229 espèces animales non domestiques protégées à l’échelle nationale, incluant 53 mammifères, 124 oiseaux, 46 reptiles et 6 amphibiens. Il encadre les interdictions et précise les modalités de contrôle et de sanction, facilitant le travail des services compétents sur le terrain. Plus ancien, mais toujours en vigueur, l’ordonnance n°06-05 du 15 juillet 2006 interdit strictement la chasse, la capture, la détention, la commercialisation ou tout acte de perturbation des espèces animales classées comme menacées d’extinction. Les dérogations, rares, ne sont accordées qu’à des fins scientifiques ou pour des programmes de reproduction contrôlés. Sur le plan international, l’Algérie est partie prenante depuis 1982 à la Convention CITES, qui régit le commerce des espèces menacées. Cet accord impose un encadrement rigoureux des importations et exportations d’animaux et de plantes figurant dans ses annexes, permettant au pays d’agir contre le trafic transfrontalier illégal tout en harmonisant ses efforts de conservation avec les normes mondiales.

A. F.

Multimedia