Rupture des relations avec l'ambassade d'Allemagne à Rabat : «Réaction émotive de la diplomatie marocaine»

La correspondance du ministre marocain des Affaires étrangères, Nacer Bourita, concernant «la rupture des relations» avec l'ambassade allemande à Rabat, trahit une réaction émotive de la diplomatie marocaine qui va dans le sens de la rupture avec Berlin, a indiqué le professeur spécialisé en matière de résolution des conflits, Mohamed Cherkaoui. «Le ton justificatif utilisé par Bourita dénote d'une émotivité qui prône la rupture avec l'Allemagne», a estimé l'académicien marocain dans deux contributions sur Facebook. L'ancien membre du Comité d'experts des Nations unies a étayé ses propos, en indiquant que Bourita avait entamé sa correspondance aux membres du Gouvernement marocain en usant de l'expression «malentendus profonds» avec l'Allemagne concernant ce qu'il estime comme «des questions vitales pour le Maroc», relevant que l'écrit du MAE marocain «n'a pas laissé de voie à un règlement diplomatique ou en coulisse de ces différends», ce que des médias marocains avaient diffusé, lundi soir. Selon Mohamed Cherkaoui, l'écrit de Bourita «intervient en protestation contre la levée de l'emblème de la République sahraouie devant l'édifice de la municipalité allemande de Brême», rappelant le commentaire du vice-président de la cette municipalité qui appartient au Parti social-démocrate d'Allemagne (SPD), Antje Grotheer qui a écrit «Liberté pour la dernière colonie en Afrique». «Un site d'information pro-Bourita a tenté de justifier ou plutôt faire accroire que la démarche du Maroc vient en réponse au refus du gouvernement allemand d'extrader Mohamed Hajib, condamné pour des faits de terrorisme», a ajouté M. Cherkaoui, pour qui cette version des faits relève de l'irrationnel, en ce sens que le cas d'un seul accusé ne saurait donner lieu à une telle dégradation des relations germano-marocaines.
Brossant l'historique de cette affaire, l'académicien marocain a rappelé la position de l'Allemagne vis-à-vis de l'annonce de Trump concernant la cause sahraouie. «Le 21 décembre passé, l'ambassadeur d'Allemagne à l'ONU, Christoph Heusgen, avait appelé à la tenue d'une réunion au Conseil de sécurité, suite aux événements d'El-Guerguerat et à l'annonce de Trump concernant la cause sahraouie».
M. Heusgen avait alors déclaré : «Pour nous, résoudre les conflits pacifiquement, c'est suivre les règles, mettre en œuvre les résolutions de l'ONU et appliquer le droit international». «La correspondance de Bourita pourrait pousser Berlin à revoir ses calculs dans un contexte régional et international souple, et ce en fonction des rapports de force en Méditerranée», a écrit M. Cherkaoui.
La réaction marocaine s'explique aussi, selon des analystes, par la mise à l'écart du Maroc des négociations sur la Libye, Rabat n'ayant pas été convié à prendre part à la Conférence internationale sur la Libye, tenue à Berlin en janvier 2020. «Le ministère des Affaires étrangères ne pouvait-il pas convoquer l'ambassadeur allemand et adresser cet avertissement directement à Berlin?», s'interroge M. Cherkaoui.
Il a relevé, dans ce sens, que l'ambassadrice du Maroc à Berlin, Zouhour Alaoui, a été convoquée mardi au ministère des Affaires étrangères allemand pour une «réunion urgente» en vue de donner des explications sur la décision du MAE marocain. Pour M. Cherkaoui, «le ministère de Bourita tend à élargir la liste des Etats avec lesquels Rabat n'a pas de relations positives stables, à l'instar de l'Espagne, la Belgique, la Hollande et des pays scandinaves qui ne soutiennent pas les positions du Maroc», soulignant que cette démarche pourrait mettre le Maroc à l'écart sur le plan régional.
Berlin mise sur le processus onusien
L'Allemagne «mise, comme dans le passé, sur le processus onusien pour la résolution du conflit au Sahara occidental, en dépit des difficultés auxquelles se heurte ce processus», a indiqué mercredi le président de la Sous-Commission des Nations unies, des Organisations non gouvernementales (ONG) et de la mondialisation, Ulrich Lechte. Dans une entrevue accordée à la Télévision allemande, le responsable au Parti libéral-démocrate au Parlement allemand a précisé que «le régime marocain souhaite que l'Union européenne et l'Allemagne reconnaissent la déclaration de Donald Trump sur le Sahara occidental».
Néanmoins, nous misons, comme dans le passé, sur le processus onusien, en dépit des difficultés auxquelles il se heurte, sans pour autant enregistrer aucun progrès depuis des décennies», a-t-il rappelé. Il a en outre affirmé que «la position de l'Allemagne est particulière», d'autant que le dernier envoyé spécial du SG de l'ONU au Sahara occidental était l'ancien président allemand, Horst Köhler qui «a démissionné pour des raisons de santé», ajoutant qu'il «y a une volonté depuis des décennies pour que le peuple sahraoui exerce son droit à l'autodétermination». Il a par ailleurs rappelé l'arrêt de la Cour de justice de l’UE (CJUE) concernant la pêche au Sahara occidental, qui stipule que l'accord de pêche entre l'UE et le Maroc n'inclut pas les eaux territoriales du Sahara Occidental.
Après la décision unilatérale de Donald Trump reconnaissant la prétendue souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, l'Allemagne a appelé à la tenue d'une session du Conseil de sécurité consacrée à la question du Sahara Occidental, ce qui «ne sert pas les intérêts du Maroc», a-t-il ajouté. Dans un communiqué laconique, l'ambassade d'Allemagne à Rabat a précisé mercredi qu' «en raison de la situation pandémique au Maroc, nous vous informons de la suspension de la réception des demandes de visas Schengen jusqu'à nouvel ordre».
La mesure prise par les services de l'ambassade allemande ne serait nullement liée, selon des analystes, à la situation pandémique au Maroc, mais s'apparenterait à une «réaction» à la décision du Royaume du Maroc de «suspendre tout contact» avec l'ambassade d'Allemagne à Rabat. L'Allemagne, acteur important au sein de l'UE, souligne l'impératif de régler pacifiquement les conflits à travers le respect des règles et la mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité.

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