
Propos recueillis par : Yazid Yahiaoui
Le 1er Novembre 1954, j’étais chez moi, à Tissemsilt. À l’époque, j’avais 19 ans et j’étais en deuxième année de licence en droit et l’université ne devait commencer que le 12 novembre. Il est important de noter qu’au cours de l'été précédent, une atmosphère très particulière régnait. En tant qu'étudiants, nous étions très conscients du fait colonial français et nous sentions qu’un événement majeur était imminent.
Il faut rappeler que durant l’été 1954, les choses bougeaient beaucoup chez nos voisins, la Tunisie et le Maroc. Nous, jeunes Algériens, nous disions : «Et nous, c’est pour quand ?». Les Algériens instruits se posaient la question de savoir pourquoi cela ne nous arrivait pas à nous aussi. Nous ressentions une impatience croissante en nous disant : «Et nous, c’est pour quand ?».
Il faut rappeler que personne n’était au courant des préparatifs pour le déclenchement de la Révolution le 1er Novembre 1954, mis à part un cercle très restreint que vous connaissez. Le génie de ces jeunes qui ont déclenché la révolution résidait dans leur choix de la date et leur capacité extraordinaire à percevoir l'attente du peuple sans qu'elle ne s'exprime par une quelconque action dans la rue. De plus, le 1er Novembre coïncidait avec les fêtes de la Toussaint, un moment où l'armée et la police françaises baissaient leur vigilance. C'était donc le moment idéal pour agir.
Personnellement, j'ai appris la nouvelle vers 10 heures du matin grâce au journal qui venait d'Alger jusqu'à notre petit village de Tissemsilt. Mon frère Abdelkader (Ndlr : Abdelkader Drif, ancien président du MC Alger, Allah yerrahmou), qui était au lycée à Alger et était avec nous pour la fête de la Toussaint, attendait chaque matin l'arrivée des journaux depuis Alger. Ce jour-là, vers 10 heures, il frappa à la porte avec une telle force qu'on aurait cru qu'il était poursuivi. Lorsque nous avons ouvert, il est entré en brandissant les journaux et en criant : «Felgouha ! Felgouha !» (Ils l’ont déclenchée ! Ils l’ont déclenchée !). À ce moment-là, j’ai tout de suite compris.
Y. Y.