Une épopée victorieuse de l’histoire et de la mémoire gravée par des milliers de disparus : au ressourcement de la grève des 8 Jours

Affligeantes rues d’Alger en 1957 illustrées par ces scènes quotidiennes  d’arrestations massives et de disparitions forcées.
Affligeantes rues d’Alger en 1957 illustrées par ces scènes quotidiennes d’arrestations massives et de disparitions forcées.

En souvenir et à la mémoire des Disparus pour annihiler le spectre hideux de l’oubli

C’est cet événement majeur d’historicité dont la mémoire collective est gravée par ses milliers de disparus qui ne cesse indéfiniment de nous interpeller par l’ancrage d’un souvenir toujours vivace que l’auteur de ces modestes lignes, aujourd’hui octogénaire, a intensément vécu dans la précocité de son adolescence à l’âge de 13 ans à l’époque.

Une souvenance prégnante d’une étape charnière de la guerre de Libération marquée historiquement par la grève nationale des 8 jours qui a eu lieu du 28 janvier au 4 février 1957, réduisant Alger la capitale en une ville morte, sans activités aucune, population, commerçants, corporations libérales, fonctionnaires solidairement engagés et mobilisés en leurs domiciles pour le soutien de ce mouvement insurrectionnel pacifique. Ceci pour évoquer et opportunément rappeler qu’Alger et sa Casbah se sont, en cette circonstance, érigés en une citadelle de résistance, de lutte et de combat structurée et organisée par la Zone autonome d’Alger dont le quartier général était clandestinement aménagé en refuge dans la vieille ville sous la houlette du tandem «Soumamien» Yacef Saâdi en compagnie de Larbi Ben M’hidi

Une grève nationale pour l’internationalisation de la Révolution algérienne

Cette action spectaculairement novatrice et inédite dans le monde de par sa longue durée au constat de déficit d’audience internationale de la Guerre d’Algérie et en prévision conjoncturelle de l’inscription imminente de la question algérienne à une session de l’ONU a été élaborée et décidée dans l’urgence par le Comité de coordination et d’exécution (CCE) du Front de libération nationale sous l’impulsion pertinente de Abbane Ramdane à dessein de l’information et de la conscientisation de l’opinion internationale quant à la réalité de cette Guerre d’Algérie fallacieusement et bruyamment médiatisée par la France à travers l’euphémisme «d’événements d’Algérie» en prétexte mensonger de sa politique colonisatrice.
Une supercherie révélée par un revers cuisant de la spectaculaire et gigantesque démonstration populaire de très grande envergure, inconnue jusque-là et maintenue une semaine durant par une grève observée à l’unisson patriotique sur l’ensemble du territoire national.

Adoption du droit à l’autodétermination du peuple algérien par l’ONU : Un séisme politique qui ébranla la France

Ce qui engendra un véritable séisme politique qui ébranla la France après l’adoption du droit du peuple algérien à l’autodétermination par la XIe session de l’Organisation des Nations unies, le 15 février 1957, soit 11 jours après l’achèvement de la grève, et ce, en dépit des innombrables et antécédents reports de la question algérienne dont elle été l’opiniâtre instigatrice auprès de cette instance internationale au sein de laquelle elle était membre permanente et très influente en coulisses «onusiennes».

La grève des 8 jours : Un premier relais de complémentarité d’audience internationale avec la Conférence de Bandoeng

Une grève, faut-il pertinemment le rappeler, qui avec son impressionnante ampleur et son décisif impact de mobilisation et d’adhésion populaire, a ébauché le premier relais événementiel de complémentarité politique marquante avec l’historique Conférence des 29 pays afro-asiatique de Bandoeng en Indonésie qui a eu lieu du 17 au 24 avril 1955, soit 17 mois après le déclenchement de la guerre de Libération du 1er Novembre 1954, inaugurant ainsi avec solennité l’acte annonciateur de l’internationalisation de la Révolution algérienne sous la conduite du Front de libération nationale représenté en cette circonstance en qualité d’invité-observateur par sa délégation diplomatique composée de Mustapha Ferroukhi, Ahmed Francis, Hocine Aï¨st Ahmed, M’hamed Yazid et Redha Malek. Cette Conférence devenue célèbre a été l’embryon ascensionnel du futur mouvement tiers-mondiste des pays non alignés porteur d’une stratégie de décolonisation et d’émancipation des peuples asservis et opprimés dans les continents respectifs et dans le monde. Pour une rétrospective historique, il est également opportun de rappeler que l’impressionnant élan populaire de mobilisation de cette grève a constitué le levain catalyseur de spontanéité patriotique aux successives manifestations du 11 Décembre 1960.

Une démonstration massivement citoyenne hors du commun avec un plébiscite populaire au Front de libération nationale

C’est ainsi que la Bataille d’Alger, que le général Massu a impudemment prétendu avoir gagné avec sa répression génocidaire, s’est pitoyablement inversée pour lui, car ce jour-là c’est la Guerre d’Algérie qu’il venait de perdre à jamais par une unanime et pacifique mobilisation populaire d’adhésion et de résilience d’exemplarité dont l’ampleur surmédiatisée a conforté l’opinion internationale quant à la détermination et aux sacrifices consentis par le peuple algérien pour la libération de sa patrie du joug colonial français.
Ceci avec un triomphal plébiscite en faveur du Front de libération nationale, initiateur d’une grève insurrectionnelle et pacifique en un seul et exclusif représentant légitime du peuple algérien. Lequel plébiscite révélateur et essentiellement destiné à l’opinion internationale a constitué l’exergue de la Une du Bulletin de résistance algérienne, organe officiel du Front de libération national, de l’Armée de libération nationale et précurseur en jalon historique du journal El Moudjahid publié à Tunis le 4 mars 1957 dont nous reproduisons ci-dessous la copie d’un extrait A ce propos, il est primordial de rappeler que ce général Massu, odieusement de triste mémoire, a au préalable et sans fondement légal pour une République était investi de pouvoirs spéciaux de répression et de torture inconstitutionnellement votés par le Parlement français à Paris, en mars 1956, afin de maintenir militairement par la force, l’ordre colonial à Alger. Une bravade de désarroi politique qui mondialement a discrédité la France qui naguère audacieusement, durablement et paradoxalement bien que colonisatrice s’autoproclamait patrie des droits de l’Homme et de la liberté.

La grève des 8 jours : Un succès décisif de mobilisation citoyenne et le révolver de Hadj M’hamed El Anka

La finalité de cette grève s’est stratégiquement avérée en une épreuve déterminante accomplie pour avoir atteint l’objectif fondamental assigné pour l’impérieuse internationalisation de la Guerre d’Algérie, tant attendue de longues années durant et qui, enfin, a pu aboutir à la reconnaissance universelle du droit à l’autodétermination du peuple algérien.
Ce qui a suscité une immense réjouissance populaire laquelle a inspiré l’icône patrimoniale Hadj M’hamed El Anka qui a exprimé son exultation par un acte symbolique de persévérance de la lutte armée en offrant un révolver de type 11/43, très coté à l’époque, à Yacef Saâdi par l’entremise du militant indépendantiste de la première heure et moudjahid de renom, Ahmed Bouzrina dit H’didouche, dès l’annonce de l’adoption de la décision de l’ONU en faveur de l’indépendance de l’Algérie
La source de cette révélation est un témoignage oral de Yacef Saâdi, chef de la Zone autonome d’Alger qui me l’a personnellement relaté en la compagnie et présence d’un ami Rachid Rezagui au retour de l’école Debbih-Cherif à la Casbah d’Alger où une instructive rencontre a brillamment été organisée par ce dernier avec le directeur de cet établissement scolaire d’enseignement moyen.
Une aubaine où Yacef Saâdi a animé une causerie d’histoire et d’échanges à l’intention des élèves et de leurs enseignants centrés sur le parcours d’un de ses compagnons d’armes le vaillant Debbih Chérif dont l’école perpétue pour la mémoire le nom et la gloire de son souvenir

Répression, tortures, arrestations et disparitions forcées

Une épreuve de résistance férocement réprimée par des séances ininterrompues d’atroces tortures pratiquées à domicile par les parachutistes de l’armée française suivies d’arrestations massives de citoyens de tout âge, de jour et de nuit, dans toute la ville d’Alger et sa Casbah vers la multitude de camps d’internement et de détention disséminés dans la périphérie de la capitale à Beni Messous, Ben Aknoun, Tefeschoun pour ne citer que ceux-là.

Déclaration officielle de 3 024 disparitions forcées par le Secrétaire général de la Préfecture de police d’Alger

Des exactions effroyables qui ont ressurgi à l’issue d’une terrible et scandaleuse révélation du Secrétaire général de la Préfecture de police d’Alger, Paul Teigen, qui a officiellement déclaré le nombre de 3 024 disparitions forcées au cours des premiers mois de l’année 1957.
Celles-ci avérées et apparues après un rigoureux rapport de comptage établi par ses collaborateurs directs désignés pour l’investigation et le contrôle de l’ensemble des arrêtés nominatifs à résidence des arrestations opérées.
Une démarche introspectivement initiée par ses soins, supervisée et strictement vérifiée par lui-même suite à une information interceptée et inhérente au nombre des arrestations faussement consignées sur les registres d’internement de l’ensemble des Centres de détention qui, en réalité, correspondaient à des disparitions forcées.
C’est dans cette tumultueuse et dramatique conjoncture que ce haut fonctionnaire d’Etat a remis, le 24 mars 1957, sa démission à Robert Lacoste, ministre résident et gouverneur général de l’Algérie, dans laquelle il a tenu à préciser qu’avec ce qu’il venait ignoblement de découvrir à son insu, il s’insurgeait et refusait de servir dorénavant un Etat qui a cautionné les mêmes pratiques d’extermination de la Gestapo lors de la Seconde Guerre mondiale, dont il a été victime d’internement, de tortures et sévices, en tant que résistant actif contre l’occupation de la France par l’Allemagne nazie.
Un événement dont le rebondissement a provoqué une onde de choc et de stupéfaction au sein de l’opinion publique, tant en Algérie, qu’auprès de la communauté internationale à l’étranger, quant à l’énormité foudroyante du nombre de plus de 3 000 disparitions forcées, criminellement dissimulées par l’armée avec la complicité effective des autorités étatiques les plus élevées de l’administration française.

Une stèle des disparus : Pour la mémoire d’un passé toujours présent

Une interpellation de l’histoire au souvenir et à la mémoire de ces milliers de disparus, sans sépulture, torturés, assassinés et furtivement ensevelis dans des fosses communes, inconnues à ce jour, privant cruellement leurs familles et proches de faire le deuil d’êtres chers ravis inhumainement à leur affection pour que vive l’Algérie libre et souveraine dans le concert des nations en patrie reconnaissante aux aspirations de ses glorieux chouhada qui, par devoir de pensée, leur offrira une sépulture à la dimension de leurs dramatiques disparitions forcées.
Ceci en une symbolique d’un lieu et repère de mémoire où leurs familles endeuillées, nombreuses au demeurant, pourront enfin se recueillir réconfortées, soulagées et prémunies ainsi par une évocation ressuscitée contre l’oubli en un message légué et orienté en direction de la jeunesse et des générations montantes.
Un pan d’histoire tragique qui précédemment a fait l’objet d’une conférence-débat au Forum de la mémoire du journal El Moudjahid, le 28 janvier 2023.
Celle-ci centrée sous la thématique «Pour une stèle à la mémoire des disparus» a été animé par l’auteur de ce rappel, Lounis Aït Aoudia, avec la contribution de Mohamed Damerdji, moudjahid âgé de 90 ans, de l’Association des amis de la rampe Louni-Arezki, Casbah, auteur d’un ouvrage sur la guerre de Libération à la Casbah d’Alger intitulé Les Pharmacies de la résistance.
Cette lancinante et douloureuse remémoration s’avère ainsi être un véritable et poignant appel à la conscience nationale dont l’émanation est ci-après traduite en écho salutaire par l’approche explicite de cette genèse d’historicité appropriée pour l’édification d’une stèle commémorative de martyrologe consacrée aux disparus de la grève des 8 jours et de la Bataille d’Alger.

Lounis Ait Aoudia

Auteur contributeur médiatique en patrimoine culturel historique et mémoriel
Président de l’Association des amis de la rampe Louni Arezki Casbah

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