
Il faut observer que tout ridicule n’est pas risible. Il y a un ridicule qui nous ennuie, qui est maussade ; c’est le ridicule grossier : il y en a un qui nous cause du dépit, parce qu’il tient à un défaut qui prend sur notre amour propre : tel est le sot orgueil. Celui qui se montre sur la scène comique est toujours agréable, délicat, et ne nous cause aucune inquiétude secrète. Il y a quelques semaines un reportage sur la chaîne israélienne Kan, documentant le transport d'ânes ghazaouis vers la France, a fait le buzz sur les réseaux sociaux. Plus de 600 spécimens ont fait l’objet d’évacuation depuis le début du conflit, incluant des ânes de Ghaza, de Cisjordanie et du sud des territoires occupés. Des militaires sionistes se relayaient fusils d’assaut en bandoulière et smartphones en main pour immortaliser par des selfies cet instant où la morale se transforme en outrage, voire en insulte à la face de l’humanité. Le comique, ce que les latins appellent vis comica, est donc le ridicule vrai, mais chargé, selon que le comique est plus ou moins délicat. Il y a un point exquis en-deçà duquel on ne rit point, et au-delà duquel on ne rit plus. Le goût fin devient amertume qui nous happe vers le grotesque. Celui-ci marque le surgissement de la vie, qui surprend par l’inconscience, le sans-raison, l’immoral. C’est un symbole de l’être humain rescapé d’un traumatisme, cherchant des raisons de vivre, de s’animer, les trouvant dans de petites choses insensées. Le vrai rescapé cherche à rentrer dans la vie, dans ses réseaux bizarres, avec beaucoup de maladresse… déflorant même les frontières de la provocation ultime. La distinction entre le bien et le mal s’efface devant l’absurde, l’irrationnel. A Ghaza, les ambulanciers et les secouristes grossissent les charniers qui jonchent se territoire meurtri et les véhicules d’évacuation ont tous été détruits par les drones. Seuls nos amis à quatre pattes servent de moyens de locomotion à des milliers de victimes des bombardements de l’armée sioniste d’autant que les cuves de carburant sont à sec. Priver la population ghazaouie de ce moyen c’est boucler la boucle de toutes les formes de génocide. Des ruines de Khan Younès, de Djablia, de Rafah… aux espaces et plaines des Pyrénées orientales, les ânes de Ghaza ne humeront certes plus l’air rempli de sang séché et de lambeaux de chair humaine mais feront face à cette hypocrisie humaine enrobée dans des sentiments sordides. Et leur dernier refuge ressemblera étrangement aux camps de la mort car rien ne remplacera l’air de Ghaza.
El Moudjahid