
La finance islamique bénéfice-t-elle d’un ancrage légal et réglementaire ? Quelles sont les conditions nécessaires pour accélérer son développement ? Joint par nos soins, Nasser Hideur, directeur général d’Al Salam Bank Algérie, estime qu’un décollage efficient et performant est tributaire d’une «réelle volonté de développer cette activité au sein des nouveaux acteurs bancaires, notamment publics, qui ont initié des compartiments charia compatibles à leur niveau».
Par volonté, M. Hideur désigne l’ «investissement total» dans ce créneau avec à la clé une «consécration des moyens humains, financiers, organisationnels et techniques». Aussi, le DG d’Al Salam Bank indique que le personnel dédié à cette activité «doit être bien formé aux principes fondamentaux pour qu’il puisse communiquer avec la clientèle et commercialiser efficacement ces nouveaux produits». Le personnel, ajoute le même responsable, est appelé à être persuasif au triple plan : chariatique, commercial et opérationnel.
Sukuk privés : des amendements nécessaires au Code du commerce
Dans le même ordre d’idées, M. Hideur recommande une «structuration fluide, transparente et simplifiée», précisant que «tout rajout de complexité administrative ou bureaucratique sera un frein pour ces produits».
Ces derniers, explique notre interlocuteur, nécessitent également «une harmonisation, un alignement de traitement par rapport aux produits de la banque conventionnelle». Initiée dans la loi de finances complémentaire de 2018, cette harmonisation et facilitation sur le plan légal «nécessite une prise en charge correcte au niveau opérationnel». Le tout s’inscrit dans l’objectif d’une «compétitivité saine» qui est une condition sine qua non pour «éviter les distorsions et les pénalisations dans le choix de produits». Pour le volet portant activité du marché, M. Hideur explique que l’émission de sukuk privés nécessite un ancrage légal en insérant des dispositions dans le Code du commerce, lesquelles doivent prévoir cette variété de titres représentatifs d’un droit de propriété réelle sur des actifs sous-jacents, émis par des entités privées».
Un cadre des affaires compatible à la finance islamique
Quant au Dr. Abdelrahmi Bessaha, Docteur d’Etat en sciences économiques et conseiller spécial de plusieurs gouvernements pour les questions macroéconomiques, il préconise qu’à court terme, les banques elles-mêmes «doivent déployer leurs ressources et talents pour se tailler une part du marché». Plus particulièrement, explique l’économiste, il est important de mettre en place des «mesures d’ajustement du cadre des affaires pour le rendre compatible avec la banque islamique (droit civil, comptabilité, droit fiscal, gestion de la liquidité, les instruments financiers, etc.), et l’articuler avec les politiques macroéconomiques».
Au chapitre des urgences, le Dr. Bessaha relève la nécessité de se donner une «capacité à capter une partie de la liquidité qui est thésaurisée et finance l’économie informelle». En chiffres, il affirme que les actifs bancaires de la finance islamique «sont d’environ $ 3,4 milliards et représentent moins de 1% du crédit total». Pour les perspectives, l’économiste pense qu’elles sont favorables. Dans le contexte actuel de récession, causée par les chocs pétroliers et sanitaires de mars 2020, souligne-t-il, «la finance islamique a un rôle à jouer, en accompagnement de la finance conventionnelle, pour favoriser l’inclusion financière, développer la microfinance, soutenir la croissance, capter une partie de la liquidité thésaurisée et lutter contre le marché informel, à condition de faire face aux contraintes majeures de la finance islamique». Dans cette optique, le Dr. Bessaha relève les faiblesses de fonds de la finance islamique qui sont au nombre de quatre, entre autre, l’absence de véritables accords de participation entre emprunteurs et prêteurs qui maintiendrait les coûts de la transaction commerciale à des niveaux raisonnables et éliminerait le problème de l'aléa moral.
L’atout de la digitalisation
Enchaînant, l’économiste évoque l’absence d’instruments financiers à court terme et l’inexistence d'un marché interbancaires où les banques pourraient placer des fonds à un jour ou emprunter pour satisfaire des besoins de liquidités temporaires, ainsi que l’absence d’experts en «ingénierie financière» capables de mettre au point des instruments satisfaisant les exigences de liquidité en conformité avec les règles de la finance islamique. S’ajoutent, selon l’économiste, «l’absence de mécanisme de financement des déficits des Etats qui doivent ainsi se tourner vers la création de monnaie, et l’absence de cadre d’organisation des relations avec les banques étrangères et, plus généralement, de règles de conduite des opérations internationales». La solution, «serait de créer des instruments financiers à la fois cohérents avec les principes islamiques et acceptables pour les institutions financières basées sur les intérêts, y compris les banques étrangères». De son côté, Ezzedine Ghlamallah, directeur du cabinet de conseil en finance islamique «SAAFI», indique que la création d’un conseil de supervision chari'a centralisé et supervisé par le Haut Conseil Islamique «devrait contribuer à créer l’harmonie nécessaire à l’épanouissement du système». A ses yeux, l’adoption de la digitalisation est un autre «facteur qui devrait permettre à la finance islamique de réaliser tout son potentiel». La digitalisation, enchaîne-t-il, «a la capacité de disrupter les modèles commerciaux existants, en raison de sa capacité à transformer et renforcer l’innovation, produit la transparence, le service, la vente croisée, l’engagement et l’expérience des clients». Grâce à la digitalisation des processus de gestion et de distribution, les institutions financières islamiques «devraient améliorer l’innovation et l’expérience client tout en élargissant la portée de leurs offres par la multidistribution et garantissant une qualité de service élevée».
Fouad Irnatene