Sortie avec un détachement des garde-côtes : Les gardiens de la mer

ph. A. Asselah
ph. A. Asselah

Reportage réalisé par : Neila Benrahal

Chaque jour, les garde-côtes de la station maritime d’Alger effectuent pendant plusieurs heures des opérations de surveillance et de reconnaissance du littoral et la sécurisation des frontières maritimes. De jour comme de nuit, été comme hiver, ils surveillent les navires de commerce, bateaux de pêche et traquent les zodiacs «des traversées de la mort». Objectif : lutter contre la criminalité en mer sous toutes ses formes.

Mardi, 9h. Station maritime d’Alger. La mer est calme. La météo avait prévu la veille une journée printanière. Une fenêtre d'accalmie, après le mauvais temps qui a marqué les semaines précédentes, pour organiser une sortie en mer avec un détachement des gardes-côtes de la wilaya d’Alger à bord d’une vedette TP3. Le chef d’État-major du groupement territorial des garde-côtes d’Alger, le commandant Mohamed Amine Bourriche, a précisé que des patrouilles de contrôle sont menées quotidiennement en mer, pour la surveillance maritime et la sécurisation de l’espace maritime national «par tous les temps et quelles que soient les conditions météorologiques».

Du «high tech» dans le contrôle maritime

Le navire est équipé d’un matériel de contrôle «high Tech» dont une caméra infrarouge, afin de détecter tout mouvement suspect ou éventuel menace. «Quand la visibilité est réduite, on a recourt à la caméra infrarouge», explique le sous-lieutenant Amir Boutadjine, l’un des membres de l’équipage. Le navire est également connecté à la station météo, pour parer à tout imprévu. La nuit est la période privilégiée pour les harraga et les narcotrafiquants. «Nous avons repéré des colis de drogue jetés en mer et des embarcations d’émigrants clandestins qui prennent le départ la nuit ou très tôt le matin, pour fuir le contrôle des garde-côtes. On peut également détecter tout objet suspect en mer, grâce à ce matériel de contrôle», assure l’officier. Le navire est doté d’un système de surveillance électronique qui permet la localisation, la définition et le contrôle à distance, précise-t-il. Il s’agit du système «Acronyme anglais d’Electronique Charts Display Information System», un système électronique capable de visualiser la position d'un point mobile sur la représentation d'une carte à l'écran. En effet, le navire dispose d’une carte électronique sur écran ECDIS, de haute technologie. Ce système ECDIS est une norme de l'Organisation maritime internationale (résolution OMI A817 (19). Certifié et équipé de systèmes de sauvegarde, il peut être considéré comme l'équivalent de la carte papier. «C’est une technique essentielle pour la navigation», souligne le sous-lieutenant Boutadjine. De même pour les radars de navigations qui permettent de détecter tous les objets en mer, ainsi que la présence des navires. «Ces radars détectent tout, y compris les mouettes», assure souriant et confiant l’officier. La caméra du navire est équipée d’un système d’enregistrement. Tout est enregistré dans des disques, notamment sur les opérations de sauvetage et de secours. Le Haut commandement de l’ANP accorde une priorité majeure au respect des droits humains et de la dignité des migrants. «En cas d’infraction ou d’attitude suspecte, des vidéos et des photos sont prises et qui peuvent servir de preuves», assure-t-il. Sur le tableau de bord, plusieurs écrans installés et liés à l’unité centrale. Les salles des machines sont également équipées de caméras de surveillance, «afin d’assurer une surveillance interne et externe», affirme l’officier. Notre sortie maritime avait pour objectif, une meilleure connaissance du dispositif des forces navales, à l’effet de lutte contre le phénomène des harraga. Dans le ciel, des mouettes guettaient le moindre clapotis à la surface de l'eau pour foncer sur leur proie. Lors de cette patrouille, le chef de mission, le commandant Amine Benameur, a la vigilance permanente, suit et surveille tout sur les écrans et tous les mouvements. Il repère aussitôt le navire CORSICA à quelques nautiques. Le commandant s’est tout de suite dépêché au poste de contrôle pour demander des informations sur la présence de ce navire dans la zone de mouillage et demande des informations sur la marchandise à bord. «Nous sommes très vigilants quand il s’agit du transport de produits dangereux, notamment», insiste-t-il. «Les navires de commerce demandent des ponts de mouillage et ils sont soumis ainsi à des autorisations de passage. Tout est soumis au contrôle, le bateau, l’équipage et la marchandise», précise-t-il. Au moyen de sa radio, le commandant contacte le responsable du navire. Dans la langue de Shakespeare, il demande des informations sur la présence de ce cargo dans les eaux territoriales. En même temps, les membres du détachement procèdent au contrôle de l’équipage et à la vérification des documents et sur la provenance, la destination et l’immatriculation, ainsi que l’effectif et le nombre de l’équipage. «Le contrôle permet de déjouer toute tentative d’infiltration douteuse d’individus ou de marchandises prohibées en territoire national», explique l’officier. Après vérification, tout est en règle. Le navire poursuit son chemin. Le commandant Amine Benameur a précisé que le travail des garde-côtes consiste en deux missions. «Nous avons une mission de défense comme tous les éléments de l’ANP. On veille à la sécurité des frontières maritimes à travers la lutte contre le crime organisé sous toutes ses formes et une mission de service public telle que l'humanitaire (sauvetage, assistance et secours.) Nous sommes également chargés d’une autre mission liée à la protection de l’environnement, comme la lutte contre la pollution maritime», détaille-t-il.

Les zones de pêche contrôlées

Sardiniers et chalutiers avaient déjà pris le large. «Aujourd’hui, la mer est calme», lance un pêcheur à l’équipage. Les sardiniers et les chalutiers sont également identifiés et contrôlés, précise, pour sa part, le chef d’état-major, le commandant Bourriche. Toutes les embarcations sont équipées de GPS (système de positionnement global) pour une traçabilité, mais aussi pour une intervention efficace et rapide en cas d’incident en mer. L’officier a également fait savoir que des visites annuelles des sardiniers sont effectuées par les garde-côtes. Rien ne passe. Des pêcheurs à bord de sardiniers sont interpellés par le commandant Benameur. L’officier leur rappelle l’obligation de la présence de deux personnes à bord à chaque sortie en mer, conformément à la loi. «C’est noté, hadaret !» lance le raïs à l’officier qui tente de le sensibiliser. Les pêcheurs sont également soumis au contrôle. «Nous disposons d’un fichier de tous ceux qui activent en mer», assure l’officier. Les pêcheurs constituent également une source d’informations dans plusieurs cas. «Il y a une prise de conscience et une collaboration avec les services de sécurité. Ils signalent la présence de colis jetés en mer ou une présence douteuse d’un chalutier ou bateau de plaisance», se félicite l’officier. L’ensemble de la flottille, qu’elle soit de commerce, de pêche ou de plaisance est inspecté à l’entrée, en pleine mer ou en rade, précise le commandant Benameur. Les membres de l’équipage suivent tout mouvement avant de se tourner vers les points de départs des harraga qui sont soumis à un contrôle permanent. «La surveillance ne se limite pas aux patrouilles mobiles. Des postes d’observation sont présents au sommet des côtes, équipés de radars très sophistiqués, pour repérer tout mouvement avant d’alerter la salle des opérations et d’engager les unités flottantes. Cette surveillance s’inscrit principalement dans le cadre de la prévention et l’anticipation», précise le commandant Bourriche. Les points de départ des harraga sont hautement surveillés et en permanence. Avec des jumelles, l’équipage cible «Hajrat Boultah» à l’est de la capitale, un des points principaux des départs des harraga. Les plages de la Pérouse, Raïs Hamidou, Sidi Fredj, les Sablettes sont également mises sous haute surveillance. «Il s’agit également de la surveillance des pêcheurs et des bateaux qui évitent les ports contrôlés», assure le commandant Benameur. En effet, dans les interventions liées à la lutte contre l’émigration clandestine, il a été procédé à la mise en place d’un dispositif sécuritaire d’intervention appuyé par des moyens aériens.

Un hélicoptère pour le secours des naufragés et des harraga

De son côté, le chef d’état-major a précisé que dans le but d’assurer une surveillance efficace, des brigades d’intervention côtières (BIC) ont été créées et sont déjà opérationnelles, afin de renforcer le dispositif pour une couverture optimale, tout en précisant que cinq brigades maritimes sont opérationnelles rien qu'au niveau de la capitale. L’officier a rappelé que l’hélicoptère (SAR) est entré en action, pour appuyer les secours en mer. «Plusieurs opérations de sauvetage aérien ont été menées, notamment pour le secours de ressortissants étrangers naufragés», assure-t-il. Il a cité, en ce sens, le sauvetage de deux Espagnols qui se trouvaient à bord d’un bateau de plaisance en dérive dans une mer démontée avec des vents de force 9. Leur embarcation a été remorquée par la vedette des garde-côtes jusqu’au port de Ghazaouet. Fin de mission. RAS (rien à signaler). Aucun incident n’a été enregistré et aucune tentative d’émigration clandestine repérée. Le commandant de bord, ayant supervisé plusieurs interventions dans le cadre de la lutte contre l’émigration clandestine, évoque plutôt «des opérations de sauvetage». Les garde-côtes font face à l’émergence des fameux go-fast, des embarcations connues aussi sous l’appellation «Sari’». Des barons de drogue, des membres présumés des organisations terroristes «RACHAD» et «MAK», ainsi que des individus objets de mandat d’arrêt international ont été interceptés à bord d’embarcations parmi les harraga. Le commandant Amine Benamer raconte : «On arrive à sauver des harraga et à les ramener sains et saufs au quai où une prise en charge médicale leur est assurée sur place. Nous avons également repêché des cadavres d’enfants et de bébés… c'est triste. Notre souci majeur est le sauvetage des candidats à l’émigration clandestine, en dépit des difficultés durant nos interventions.» «Quand nous sommes alertés de la présence d’une embarcation en mer, on déploie tous les moyens humains et matériels pour le sauvetage, surtout quand quelqu’un appelle et déclare une panne du moteur avec des enfants et des femmes à bord. D’autres ne savent pas nager», déplore-t-il. «Aussitôt alertés, les éléments des garde-côtes interviennent par des appels d’arrêt à travers un mégaphone. Face à quoi, le passeur, dans sa fuite effrénée effectue des manœuvres dangereuses et met en péril la vie des passagers, ce qui provoque un mouvement de panique et complique l'intervention», précise-t-il. Tout cela pour de l'argent. Un trafic juteux où des sommes d'argents astronomiques sont en jeu gérées par des réseaux criminels. Les harraga sont violents et parfois en possession d’armes blanches. «Certains sont arrêtés sous l’effet de psychotropes. De temps en autre, des agressions sont perpétrées à l’arme blanche en mer ou près des côtes», dit-il. Les garde-côtes font aussi face à des cris, des pleurs, la peur de se noyer à des corps sans âme à la surface de l'eau et au gré des courants marins. Les femmes et les enfants sont évacués en priorité. Selon leur état, ils reçoivent assistance sur place ou sont carrément évacués à l’hôpital par l’hélicoptère des garde-côtes. Le chef d’état-major a mis l’accent sur la formation des unités d’intervention afin d’assurer une intervention efficace et rapide avec maitrise et sang-froid. «Les garde-côtes disposent aujourd’hui de moyens et d’un matériel adéquat. Le Haut Commandement de l’ANP a acquis des équipements afin d’assurer le sauvetage des vies humaines», insiste-t-il. Les opérations d’interventions en mer peuvent durer plusieurs heures, mais aussi plusieurs jours, notamment lors des recherches. Par tous les temps, les gardiens de la mer veillent au grain.

N. B.

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