
À une semaine de la célébration de la fête de l’Aïd-el-Adha, des signes avant-coureurs augurent une hausse du prix du mouton, notamment dans ce contexte actuel marqué par une flambée générale des prix des produits de large consommation. Beaucoup de questions se posent : combien coûte le mouton de l’Aïd ? Plus ou moins cher que l’année dernière ? L’État intervient-il pour instaurer un équilibre des prix ? Faut-il s’attendre à des prix exorbitants cette année encore ?
Il est de tradition en Algérie qu’à l’approche de la fête de l’Aïd el Adha, les préoccupations des citoyens se tournent vers les prix du marché du bétail ovin. Et chaque année, les conditions de l’offre évoluent en fonction de l’état du cheptel.
Interrogé par El Moudjahid, Mohamed Hadj Henni, vice-président du GRFI FILaha et conseiller expert en organisation systèmes, a souligné que le cheptel ovin algérien avoisine les 12 millions de têtes, une régression durant ces deux dernières années due au manque de fourrage, à l’abattage de brebis et au manque de soins (des vétérinaires se sont plaints d’un manque de vaccin).
Il faut rappeler que l'élevage ovin fait l'objet d'une attention particulière chez nous. Outre sa contribution à plus de 50 % de la production nationale de viandes rouges et de 10 à 15% du produit intérieur brut agricole, l’élevage ovin est au centre d'enjeux socioculturels majeurs.
D'un point de vue géographique, selon Mohamed Hadj Henni, l’élevage ovin «se pratique dans les différentes zones climatiques d’Algérie, depuis la côte méditerranéenne jusqu'aux oasis du Sahara et du Grand Sud. Cette diversité pédoclimatique offre à l’Algérie une extraordinaire diversité́ de races ovines, avec huit races adaptées à leurs milieux respectifs.
La race ouled djellal, appelée la race blanche, est considérée comme la plus importante race ovine algérienne. Avec plus de 63% de l’effectif national, son aire de distribution s’étale sur tout le nord du pays. La deuxième race importante, avec 25% de l’effectif ovin national, est la race berbère. Considérée comme la plus ancienne race algérienne, elle est élevée traditionnellement dans les massifs montagneux, dans le Nord.
La rembi, avec 11% du cheptel national, est représentative de la race ovine algérienne la plus lourde avec des poids avoisinant les 90 kg chez le bélier et 60 kg chez la brebis. Elle est localisée exclusivement dans les régions de l’Ouarsenis et des monts de Tiaret. Les races barbarine, d’man, el hamra, sidahou et tazegzawth, représentent moins de 1% du cheptel national et sont menacées de disparition, alors que leur aire de distribution ne cesse de se rétrécir.
Le déclin de ces cinq races illustre l’érosion dramatique que subit cette richesse exceptionnelle, appelant à la mise en place d’un plan national de gestion et de conservation des ressources génétiques». Donc, le secteur ovin en Algérie est confronté́ à plusieurs contraintes d’ordres sanitaire, génétique, logistique et organisationnel. La gestion des parcours steppiques n’est pas encore réglée sur le plan de l’assolement végétal et de la régénération des cultures appropriées.
D’ailleurs, sur le plan commercial, le prix de la viande de mouton, selon Mohamed Hadj Henni, a augmenté de plus de 70% ces derniers mois. Les maquignons et les éleveurs se plaignent de l’augmentation des prix des fourrages, de la main-d’œuvre et des loyers des espaces verts. Il ajoute «qu’une importante opération de recensement par puce du cheptel a eu lieu en même temps que l’élevage bovin, ce qui va permettre de comprendre sur le plan statistique et du suivi du cheptel sa progression ou sa régression et les différentes causes». L’orateur pense même qu’il ne faut pas s’inquiéter «de cette augmentation subite de la viande rouge car les pays européens, où se pratiquent de grands élevages intensifs, connaissent aussi le même sort». Pour lui, «la hausse des prix alignée sur le marché européen est plus que nécessaire pour diminuer l’abattage et surtout l’abattage des brebis».
Investir dans l'industrie de la viande
«Le ministère de l’Agriculture est conscient du phénomène et compte mettre un terme à ce gâchis qui freine la reproduction», a-t-il soutenu. Il fera savoir ensuite que «les fêtes de l’Aïd El Adha, précédemment, participaient à cet abattage grotesque et inconsidéré». Aussi, il estime que «la valorisation du cheptel ovin passe par un soutien inconditionnel de l’Etat, dès le moment que les mouvements seront dépistés. Il n’y a pas d’organisme de régulation du cheptel ovin comme il n’y a pas de structures d’abattage modernes. Tant que le secteur n’aura pas investi dans l’industrie de la viande rouge à proprement parler et que toutes ses composantes ne seront pas mises en place, la spéculation sévira davantage». Mohamed hadj Henni cite «la sagesse des anciens agriculteurs qui invitent toujours à cultiver les céréales une année sur deux, considérant qu’une année doit être réservée à la production pour l’homme et une année à l’animal d’élevage. La preuve est que cette année, les cultures fourragères comme la weisse avoine sont satisfaisantes», a-t-il informé.
Cette année, la sécheresse qui a touché presque tout le territoire national, conjuguée à la cherté des aliments de bétail, a fait grimper sensiblement les prix du mouton, le rendant presque hors de portée des bourses moyennes.
Interrogé sur ce point, Boukarabila Mohamed, éleveur et membre du bureau national de la Fédération nationale des éleveurs, dira qu’ils connaissent de nombreux problèmes liés à l’activité d’engraissement des moutons, lesquels ont été portés à la connaissance des pouvoirs publics.
La première contrainte vient des prix des aliments de bétail. Il cite l’exemple de l’orge, dont le prix officiel est de 6000 DA le quintal alors que le prix réel d’approvisionnement est de 2500 DA le quintal. Il en est de même pour le son dont le prix est taxé à 2000 DA le quintal alors que le prix payé par les éleveurs est de 4500 DA. Aussi, cet éleveur fait référence au marché informel et à l’anarchie des prix qui caractérise les aliments du bétail. La seconde contrainte a trait à la sécheresse, qui a rendu les conditions d’élevage difficiles, poussant ainsi de nombreux éleveurs à cesser leurs activités et ce, pour raison d’insuffisance dans l’accompagnement. Tout ceci a eu une influence sur l’offre de moutons sur le marché. Et ce n’est pas la veille de l’Aïd qu’on peut régler ce type de problème.
Il existe cependant des disparités d’une wilaya à une autre, en fonction de l’importance numérique des éleveurs, mais également des intermédiaires qui s’adonnent à la revente avec des marges exorbitantes.
A titre d’exemple, un éleveur cède un mouton moyen à 50.000 DA, mais sur le marché de gros, on le trouve à 120.000 DA. Il y a donc un problème de régulation du marché de bétail, notamment à l’approche des fêtes religieuses où la spéculation prend de l’ampleur. D’où la question de l’organisation des espaces de vente dédiés spécialement au cheptel bovin, ainsi qu’un contrôle vétérinaire. Il est clair que la dimension sanitaire doit être prise en charge dès maintenant.
Par ailleurs, de nombreux citoyens pratiquent l’élevage ovin comme activité accessoire et contribuent, ainsi, à améliorer le niveau de l’offre et à contrebalancer des pratiques spéculatives dans les wilayas où la demande est très forte.
Samia Boulahlib