Dans l’ombre des fils et des motifs : Karima, une vie cousue

Dans un petit atelier discret, au cœur du chef-lieu de Bouira, Karima façonne à la main des robes kabyles comme on brode un héritage. Couturière autodidacte et passionnée, elle perpétue un savoir-faire ancestral, tout en formant la relève, loin des projecteurs, mais au plus près des traditions. Dans le quartier des 338-Logements, de la ville de Bouira, un petit atelier se cache au rez-de-chaussée d’un immeuble. Il faut connaître l’adresse ou être recommandé, pour le trouver.

Entre une cage d’escalier et unevieille antenne parabolique, une porte métallique s’ouvre sur un monde de couleurs, de motifs et de fils entrelacés. C’est là que travaille Karima, 49 ans, couturière spécialisée dans la robe kabyle. L’atelier, modeste et invisible aux passants, vibre de concentration et de minutie. Dans cette pièce exiguë, saturée de rouleaux de tissu, de boîtes de perles et de bobines multicolores, le temps semble suspendu. « Je me suis spécialisée dans la robe kabyle ces dernières années. C’est devenu une passion, autant pour moi que pour mes trois stagiaires », confie-t-elle, penchée sur une robe en velours qu’elle termine à la main — une commande pour un mariage prévu dans deux semaines. Elle ajuste les galons dorés, vérifie les coutures, corrige un pli trop rigide. Ses gestes sont précis, rodés, presque silencieux. Originaire du village d’Amen Greur, dans les hauteurs de Bouira, Karima a appris à coudre dans le salon familial, avant de se former dans un centre de formation professionnelle. Très jeune, elle comprend que ses mains savent dire ce que les mots ne disent pas. À quinze ans, elle réalise sa première robe complète. Puis viennent les voisines, les amies, les premières clientes. « Je n’ai jamais lâché, même quand c’était difficile », dit-elle. Son nom est aujourd’hui connu, même si son atelier reste discret. Son principal obstacle. « La commercialisation de nos créations, et la contrefaçon, qui dénature ce métier. Il suffit de faire un tour dans certains magasins pour le constater », a-t-elle déploré. Mais Karima veut aller plus loin. Refusant que la couture se limite à un simple geste technique, elle a repris des études en gestion et comptabilité, pour mieux structurer son activité. Après avoir terminé ses études à distance, elle décroche un diplôme en comptabilité à l’Université de formation continue (UFC), une étape qu’elle considère comme indispensable pour mieux gérer son activité artisanale. Son atelier ne désemplit pas. Les clientes viennent sur rendez-vous, apportent des modèles, des inspirations, parfois juste une idée. Karima écoute, propose des coupes, esquisse à la craie les motifs sur le tissu brut. Puis elle travaille, seule, sans assistante. “ Chaque robe demande du temps. Parfois deux à trois semaines selon la complexité” dit l’artisane. Mais elle reste flexible. « Ce n’est pas de la couture rapide, c’est de la transmission. Chaque point est un fragment de culture », insiste-t-elle. Des jeunes apprenties sont passées par son atelier dont peu ont tenu. « C’est un travail lent et tout le monde veut aller vite. Moi, je veux que la robe dure. ». Elle rêve d’un espace plus grand, d’un atelier collectif où elle pourrait former d’autres jeunes femmes et transmettre son savoir-faire.

A. F.

Multimedia