
Un regard croisé sur la violence à l’encontre des femmes, «Untold», ou «ce qui n’est pas dit», est un tandem
de photographies signées Sonia Merabet et Abdo Shanan. Ces deux artistes ont exprimé, chacun avec son émotion, les douleurs psychologiques des cruautés faites aux femmes.
Des violences on sait qu’il y en a, mais personne n’en parle. C’est grave, on vit comme si c’était normal. Alors que non ! L’exposition «Untold», dont les commissaires sont Myriam Amroun et Walid Aidoud, ouverte jusqu’au 8 du mois prochain, étale des photographies de femmes qui ont été maltraitées, violentées par leurs pères, leurs conjoints ou même un voisin. Cette exposition conjointe, dont le vernissage a eu lieu lundi dernier, à l’espace artistique Rhizome, 82, rue Didouche-Mourad (2e étage, porte de droite), est une approche significative des violences subies et que continuent d’endurer les femmes en Algérie... et ailleurs. Une exposition qui a touché ses visiteurs, provoqué des discussions et déclenché des émotions. Elle vise à dénoncer toutes ces formes de violences et d’injustices en s’appuyant sur les témoignages forts de ces femmes. Les photos ne doivent pas être séparées du texte pour que leurs histoires servent d’aveu, de contestation envers cette tragique part de l’humanité. Deux séries photographiques ont été réalisées par ces deux artistes photographes. En exposant ces photos à la société, les artistes ont réussi à faire paraître l’esprit et la mentalité des personnes. Ensuite, les photos nous parlent. Toutes ces femmes sont belles. Par les photos, elles nous montrent qu’elles sont courageuses, qu’elles ont réussi à avancer malgré leur passé. Les témoignages font comme si elles nous parlaient directement. Elles commencent à se présenter, ensuite elles racontent ce qui leur est arrivé et elles terminent par nous dire ce qu’est devenue leur vie aujourd’hui. C’est structuré. Il n’y a rien à redire, c’est excellent. Baptisée «Séquelles bleues», la collection de Sonia Merabet exprime la douleur sous-jacente que témoignent ces photos remplies de mélancolie et de souffrance sourde. Subtile fusion entre le chatoyant et l’obscur qui sert à débusquer, à chaque recoin d’une image, cette fêlure intérieure; représentant le plus souvent une femme esseulée, adossée à un balcon, dans une cuisine ou en distinguant par fragments, ici et là, des bras tendus ou des mains lacérant le drap d’un lit. La sélection nommée «La mémoire», signée Abdo Shanan, photographe et ingénieur, est inspirée du «livre blanc» du réseau Wassila, un recueil de témoignages de femmes victimes de violences. Abdo Shanan fait parler ses 95 images par quelques fragments évanescents de flashs anecdotiques, «récurrents et irréguliers». Il emporte les visiteurs dans un voyage à travers une chambre sombre où il projette ses photos faites de flashs d’histoires de famille, de femmes abattues, violées, étouffées... jamais avouées. Ces histoires et douleurs sont ici révélées en faisant resurgir cette amertume. «A travers ces images, j’invite les visiteurs à interroger la nature de la mémoire de la violence ou comment une mémoire elle-même peut faire revenir des sentiments traumatiques chez une personne qui a enduré de la violence dans sa vie», nous dira Abdo. Il explique : «imaginez que ces souvenirs puissent être déclenchés par des événements de la vie quotidienne, des objets banals ou des choses que nous considérons comme heureuses, imaginez à quel point la mémoire elle-même pourrait devenir violente.» Franchement, cette exposition mérite le détour, pour que tout le monde ouvre les yeux sur cette brutalité dont énormément de femmes souffrent et pour que le monde sache qu’il n’y a pas que la violence physique, mais aussi morale et psychique. Elles subissaient des violences de la part de leur famille, et les femmes touchées étaient des mères, des sœurs, des femmes, des épouses mais cette violence pouvait aussi toucher des enfants. Cette exposition mérite le détour aussi pour que ces femmes puissent faire part de leurs témoignages. Elles ne cherchent pas à se plaindre, mais à dénoncer cette maltraitance. Ces photographies nous démontrent que malgré la laideur qu’elles ont vécue, elles sont quand même «belles». L’exposition a redonné à ces dames une parole qu’on leur avait «Untold», une parole qui leur était interdite, «étouffée» et qui n’était pas entendue, qui était même «trahie». Ces photos ont mis en valeur ces femmes et leurs corps pour montrer qu’elles les assument en les mettant en clair. Et par ce fond noir, on en déduit que leur passé est derrière elles... elles ont pris un nouveau départ... la résilience.
Sihem Oubraham