Note de lecture / La volonté de construire un état fort et pérenne, de Salah Mebroukine, chez HIBR : Les jalons d’une nation

Après l’Éveil à la conscience nationale, Salah Mebroukine a confié son deuxième tome, intitulé la Volonté de construire un État fort et pérenne, aux éditions Hibr.

Un précieux témoignage qui vient, d’une part, éclairer l’opinion sur des épisodes entiers de la guerre d’Algérie et les premiers pas dans l’ère de l’indépendance, et d’autre part, alimenter les chercheurs en témoignages si importants à l’écriture de l’histoire. Comme l’indique l’auteur, ce deuxième livre-témoignage aborde «la volonté des responsables algériens à l’indépendance de bâtir un Etat fort, doté d’institutions crédibles capables de prendre en charge les nombreux défis après cent trente années de déshérence et de misère». Truffé de faits historiques, ce livre exhorte la classe politique à engager de sérieuses et solides réformes, six décennies après l’indépendance, et qui seraient portées par une vision globale et une stratégie de long terme. Selon Mebroukine, seule une révision en profondeur des modes de pensées et d’action permettrait de «tirer tous les enseignements de nos échecs et ils furent nombreux, et (…) nous projeter vers l’avenir en mobilisant nos atouts et nos potentialités notamment auprès d’une jeunesse impatiente et exigeante». De la naissance du mouvement nationaliste jusqu’à aujourd’hui, en passant par les accords d’Evian et la période Boumédiène, l’histoire de l’Algérie contemporaine défile dans une chronologie claire au fil des chapitres. Salah Mebroukine, acteur dans la guerre de Libération et l’édification du pays, dévoile dans son livre des faits historiques de grande importance, vécus en première loge. Dans ses «prolégomènes», l’auteur revient sur les raisons qui l’ont motivé à faire cette autobiographie. Il écrira en substance : «Je fais partie de cette génération d'Algériens nés au lendemain de la Première Guerre mondiale. Comme l'a écrit Charles-Robert Ageron, la France coloniale avait manqué l'occasion de hisser l'ensemble des musulmans algériens au même statut que celui de la minorité européenne, dès la fin d'un conflit dans lequel mes compatriotes avaient versé leur sang pour que la France put vaincre l'Allemagne et sauvegarder son intégrité territoriale. Dès l'instant où cette opportunité avait été gâchée, les conséquences d'une présence française en Algérie reposant sur la négation totale des droits les plus élémentaires des Algériens devenaient pénibles pour l'ensemble des historiens et des observateurs politiques avertis.» Mebroukine évoque aussi le racisme colonial : «Aussi loin que je puisse remonter dans le temps, l'opinion coloniale a toujours été confrontée à l'opinion indigène, dans la mesure où le lobby colonial n'a eu de cesse d'exprimer sa volonté de dominer, d'exploiter, de modeler ce pays qu'il avait toujours considéré comme faisant partie de sa propriété. Louis Bertrand, cité par Ferhat Abbas dans La nuit coloniale déclarait : «Nous, Français, sommes chez nous en Algérie. Nous nous sommes rendus maîtres du pays par la force. Nous avons pu organiser le pays et cette organisation affirme encore l'idée de supériorité du vainqueur sur le vaincu, du civilisé sur l'homme inférieur. Nous sommes les légitimes propriétaires du pays.» Le racisme colonial a rejeté les Algériens dans une infra-humanité (…). » L’auteur a vécu dans les années 1930-40 l’angoisse et la profonde inquiétude des colons devant l’accroissement de la population indigène (relaté dans le tome 1 de ses mémoires paru aux éditions Hibr en 2018). On apprend que les «Algériens commençaient à acheter à des prix élevés les terres agricoles, jadis confisquées à leurs pères et à leurs grands-pères par la colonisation. Cette peur du nombre, du raz-de-marée indigène, je l'ai ressentie profondément chez le colon et elle a inspiré jusqu'au déclenchement de la guerre de Libération nationale la psychologie coloniale.» Les colons ont toujours contesté les réformes émanant de la France métropolitaine. Dès 1919, les velléités d'aménagement de l'ordre colonial entreprises par Clémenceau sont annulées cependant que l'activisme nationaliste de l'Emir Khaled est étouffé dans l'œuf, écrit l’auteur. Il a tenu à décrire la puissance du lobby colonial qui a toujours soumis les responsables politiques de la Métropole. Voici donc un instantané de l’histoire de l’Algérie pris de l’intérieur et qui renseigne sur la genèse du déclenchement de la lutte armée et les tenants et aboutissants des tentatives de construction d’un Etat indépendant. Edifiant.

K. Morsli La volonté de construire un État fort et pérenne, de Salah Mebroukine, aux éditions Hibr, 253 pages, 850 DA.

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