La romancière Maissa Bey à El Moudjahid : «Écrire, c’est résister»

Présente au Festival de la littérature et du cinéma de la femme à Saïda, Maïssa Bey, figure incontournable de la scène littéraire algérienne, nous a accordé un entretien riche et sincère. Romancière engagée, mais aussi essayiste, dramaturge et infatigable animatrice culturelle, elle évoque ici avec sensibilité son parcours, son rapport à l’écriture, sa vision de la littérature féminine en Algérie.

El Moudjahid : Votre engagement dans l’Association Paroles et écritures a-t-il enrichi votre expérience d’écrivaine et votre rapport à la littérature algérienne contemporaine ?

Maissa Bey : C’est une expérience qui, malgré tout, reste douloureuse, car elle s’est terminée. Elle est finie. Nous avions monté une association de femmes et créé une bibliothèque pour la ville de Sidi Bel Abbès. Je dis bien pour la ville, car notre objectif était vraiment de contribuer à son rayonnement culturel. Nous avons tenté d’apporter un véritable plus à la culture locale, en mettant à disposition un grand nombre de livres et en organisant de nombreuses activités autour du livre. Cela a été un moment privilégié, en tout cas pour moi. Ce que cette aventure m’a apporté, avant tout, c’est le contact humain.

Pensez-vous que ce type de festival peut réellement transformer les mentalités à long terme ?

Il est très rare, voire trop rare, d’avoir des rencontres ou des événements centrés exclusivement sur une thématique féminine. C’est pour cela que ce Festival de Saïda représente une occasion exceptionnelle. Je suis vraiment heureuse et fière d’y participer. Ce qui me touche particulièrement, c’est que ce festival soit entièrement consacré à la mise en lumière des productions des femmes qu’elles soient réalisatrices, écrivaines, poétesses ou encore artistes d'autres disciplines. Offrir un espace de visibilité à ces voix souvent reléguées au second plan est, non seulement nécessaire, mais fondamental pour faire évoluer les mentalités. Je suis convaincue qu’une société ne peut pas avancer en marchant sur un seul pied. Il lui faut ses deux jambes pour progresser de manière équilibrée : l’une est féminine, l’autre est masculine. C’est dans cette complémentarité que réside la véritable richesse sociale et culturelle.

Votre œuvre est reconnue pour sa diversité. Comment choisissez-vous le genre littéraire qui correspond le mieux à chaque histoire que vous souhaitez raconter ?

En général, ce sont des romans que j’écris. Je me présente souvent comme romancière même si ce n’est pas exclusivement le cas. Il m’est arrivé d’écrire aussi des pièces de théâtre, des essais. Je viens d’ailleurs de publier un essai consacré à notre grande aînée, Assia Djebar. J’ai également travaillé sur l’œuvre d’Albert Camus. Mais je me considère avant tout comme une romancière. Ce rôle me permet d’inventer des vies, de créer des histoires, d’imaginer des décors qui n’existent que dans ma tête. C’est une expérience extraordinaire, et surtout, très enrichissante. Ce qui est tout aussi essentiel pour moi, c’est la rencontre. Écrire un livre, c’est bien, mais si ce livre ne rencontre pas un lecteur, il reste quelque chose de stérile. Au bout de l’écriture, il y a la lecture et c’est là que tout prend son sens. Je suis profondément heureuse que mes livres soient disponibles, visibles, vendus et surtout lus, notamment ici, en Algérie. Bien que je sois aussi publiée en France, le fait que mon travail ait une véritable présence en Algérie me procure un immense bonheur.

Écrire en tant que femme est-il un acte engagé en soi ? Et Comment voyez-vous l’évolution de la littérature féminine algérienne ces 20 dernières années ?

Je ne sais pas vraiment de quoi l’avenir sera fait, surtout avec l’émergence constante de nouvelles technologies. On ne sait pas comment les choses vont évoluer, et pour être honnête, tous ces changements me préoccupent. Ce sont des phénomènes qui soulèvent de nombreuses questions, parfois même des inquiétudes. Mais ce dont je suis certaine, c’est que l’écriture féminine est bien présente, et qu’elle le restera. Il me semble que nous avons atteint un point où les choses sont devenues irréversibles. Les femmes ont pris la parole, et elles ne la rendront pas. En ce qui concerne le choix des thèmes abordés dans mes romans, notamment ceux que la société considère encore comme tabous, j’en ai entendu de toutes les couleurs. J’ai été critiquée, remise en question, parfois violemment. Mais je pense que c’est inévitable. Lorsqu’une femme ose exprimer, à travers un roman, ses douleurs, ses manques, ses désirs, sa vie tout simplement… cela dérange. Pas seulement certains hommes, mais aussi des femmes. Alors que nous puissions nous exprimer librement, ne serait-ce qu’à travers la fiction, c’est fondamental. C’est une manière d’exister, de résister, de se réapproprier notre parole. Et ce qui me réjouit, c’est que la relève est assurée. Elles osent, elles affirment leur voix, et ça, c’est porteur d’espoir.

M. K.

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