
Par Boukhalfa AMAZIT
Le 9 novembre 2020, une fumée blanche s’élève du siège du géant pharmaceutique américain Pfizer, au 235 E, 42e rue, à New York «Habemus vaccini ! «Nous avons un vaccin efficace à plus de 90 pour cent !» Les concepteurs assurent que leur trouvaille sera sur le marché «fin novembre».
«Alléluia !» crépitent en consonance les médias, tous supports confondus.
Les sismographes financiers de Wall Street puis des autres places boursières de la planète flouze s’agitent et s’emballent sans même attendre plus d’informations, notamment sur les essais cliniques, comme par exemple la durée de l’immunité qu’offre cet antidote présenté comme salutaire et providentiel. Voici l’action de Pfizer qui bondit de près de 8 pour cent. Paris, Milan, Londres, Francfort réalisent leurs meilleures performances depuis mars 2020.
Gonflés d’espoir, les faiseurs du miracle, les inventeurs, initiateurs, sont les propriétaires d’une startup, BioNTech, un modeste laboratoire allemand, qui emploie néanmoins 1.500 personnes. Ils se frottent les mains. Ce sont deux chercheurs, pas totalement germaniques, enfants de deuxième génération, d’immigrants... turcs, ils sont les géniaux auteurs de la découverte du siècle, en attendant une pire pandémie, ainsi que le présagent les cassandres hypocondriaques, inquiétants paniquards qui peuplent les réseaux sociaux. Mme Ozlem Türeci (53 ans) et son époux Ugur Shahin (55 ans), puisque c’est d’eux qu’il s’agit, ont toutes les raisons du monde de se réjouir, car ainsi que le rapportent les journaux allemands, ils figurent déjà dans le landerneau des 100 plus grandes fortunes du pays de Mme Angela Merkel.
Deux oncologues - donc plutôt versés dans la recherche sur les cancers mais aussi des maladies héréditaires - qui, pour d’évidentes raisons pécuniaires, se sont associés avec le mastodonte en pharmacologie Pfizer, troisième titan mondial, dont on rappelle souvent que Bill Gates, tout-puissant boss du non moins cyclopéen Microsoft, est actionnaire. Il est définitivement clair pour tous que l’on ne finance pas une telle expédition scientifique contre le plus redoutable ennemi de l’humanité, en cassant sa tirelire, et que de tels moyens ne se trouvent pas sous les sabots d’un cheval.
Il aura fallu 1.397.176 morts et 59.219.229 cas, (au 20/11/20), pour que, 10 mois après l’identification, le 9 janvier 2020, du virus-fléau, l’humanité accablée, gagnée par les transes mortelles, presque à son étiage moral, par la grâce d’une annonce, retrouve raison d’espérer.
Pourtant, depuis octobre, le 20, pour être plus précis, le diable, vous le savez, se cachant dans les détails, l’OMS, l’Organisation mondiale de la santé, devenu le poil à gratter de M. Donald Trump, poste de secours du monde, infirmerie des pays les plus démunis, avait sur sa table 321 vaccins potentiels. Plus d’une quarantaine d’entre eux étaient même testés sur l’homme et une dizaine avait atteint la troisième et dernière phase des expérimentations cliniques.
Au début du mois de novembre, le 3, avant l’annonce de la réussite qualifiée d’ «exceptionnelle» du couple allemand, il y avait 10 projets. Un russe, le célèbre Spoutnik 5, dont la promotion a vu la participation du président Vladimir Poutine ainsi que des membres de sa famille. Quatre chinois et 5 occidentaux dont le germano-américain ; un anglo-suédois: Astrazeneca-Oxford ; Johnson et Johnson, le numéro un mondial, et enfin Novax et Moderna. Ce dernier partage avec Pfizer 56 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel, des points communs dont le principal est qu’il est comme le BioNTech, une innovation scientifique. Pour la première fois en effet, il sera mis sur le marché un vaccin basé sur l’ARN-messager. Plus platement, cela consiste à injecter dans l’organisme humain non un virus «endormi», pour l’amener à produire des anticorps, mais lui envoyer un messager qui va lui donner des instructions génétiques et ordonneront au système immunitaire de fabriquer des antitoxines, et dans ce cas un antigène susceptible de neutraliser le perfide Coronavirus.
Selon les spécialistes, « cette méthode présente, dans la course que se sont livrés et que se livrent encore les fabricants, l’avantage de permettre de produire rapidement des vaccins, parce que c’est l’organisme receveur qui assume une partie du travail qui aurait dû se réaliser en laboratoire, en adoptant la méthodologie traditionnelle». Mais...
Il y en a toujours un... Pfizer qui a revitalisé les bourses ; revivifié les marchés ; ranimé la spéculation ; sonné le branle-bas dans le monde médical, décidé d’en finir avec la calamité, voilà que son vaccin nécessite une conservation spéciale, puisqu’il lui faut une surgélation à moins 70 degrés-Celsius, d’une part, et d’une autre, il s’administre en deux doses. Ceci pour ses caractéristiques.
L’autre handicap, qui bémolise l’enthousiasme est que le groupe Pfizer n’est pas dans la plateforme Covax, institution de financement qui regroupe plus de 170 pays, pilotée par l’OMS, depuis le mois d’août dernier, qui facilite l’accès des pays pauvres au vaccin.
L’organisation mondiale espère une médication à dose unique, peu sensible à la chaleur qui éviterait les conteneurs de surgélation, mais, last but not least, à un prix abordable pour tous.
Les chefs d’Etat du G20, virtuellement réunis, lors du 15e sommet immatériel, cette fois, qui s’est déroulé théoriquement à Ryad en Arabie Saoudite, sous la présidence, incorporelle, de Mohamed ben Salmane prince héritier, formel, du Royaume wahhabite, auraient-ils entendu la prière mutique de M. Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS ?
Tout porte à croire que oui, parce que les chefs d’Etat au sommet abstrait qui s’est donc déroulé le 22 novembre ont affirmé dans leur déclaration finale qu’ils sont «déterminés à bâtir un monde plus fort, plus durable, plus équilibré et plus solidaire après la crise de la COVID-19».
Hormis le Président sortant Donald Trump, qui prend son temps pour quitter la Maison-Blanche, et qui est sorti du sommet pour aller faire une partie de golfe après avoir «tweeté» sa colère contre les résultats de l’élection du 3 novembre dont il conteste encore le déroulement, les chefs d’Etat se sont engagés dans leur déclaration finale «à soutenir l’ensemble des pays en développement et des pays les moins avancés, confrontés aux effets sanitaires, économiques et sociaux concurrents de la COVID-19, et nous sommes conscients des difficultés particulières qui pèsent sur l’Afrique et les petits États insulaires en développement».
La Chine et la Russie, également signataires du communiqué final, ont promis, pour ce qui les concerne, de mettre leurs «vaccins à la disposition des pays qui en auront besoin», sans plus de précisions.
Ceci est un dit, mais, ainsi que l’ont relevé nombre d’observateurs dans la presse mondiale, le fait est différent, en ce sens que la plupart des participants ont d’abord pensé à leur propre achalandage. Ils ont négocié avec les géants de la pharmacie, au niveau planétaire, des milliards de doses. En peu de mots, ils absorberont toute la production mondiale de l’année en cours et de l’an prochain. Que restera-t-il pour le marché ? L’OMS a besoin de 4 milliards et demi de dollars pour couvrir ses besoins pour l’acquisition de vaccins, qui les fournira ?
La Covid-19 a fait voler en éclats bien des certitudes, et surtout un ordre resté inchangé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Nous avons vu comment la pandémie s’est jouée des frontières et des murs érigés pour empêcher la misère de migrer. Au plan économique, les échanges demeurent inégalitaires et ils créent les inégalités qui ne cessent de s’approfondir et de gonfler les ventres de bile et de colère contenues.
On veut garantir la sécurité pour les uns en édifiant des murs. C’est l’insécurité de tous que l’on mondialise. Si on peut enfermer ses richesses dans des coffres inviolables, il n’en est pas de même pour la misère, la maladie, l’ignorance, la colère. Pour hauts que soient les remparts, étanches les digues, abyssaux les fossés, hermétiques les cloisons, ils n’empêcheront la peur de creuser ses chemins.
B. A.