Samir Grimes, Expert en Environnement et changement climatique : «Réhabilitation du Barrage vert, une volonté de l’action environnementale»

Entretien réalisé par : Kamélia Hadji

Samir Grimes souligne l’importance du projet national de réhabilitation du barrage vert, qui, selon lui, obéit à une nouvelle vision stratégique du pays et à une volonté politique dans le domaine de l’action environnementale. 

El Moudjahid : Nous célébrons la Journée mondiale de lutte contre la désertification et la sécheresse. Comment qualifiez-vous la situation de
l’Algérie ?
Samir Grimes : La position géographique de l’Algérie avec un ensemble saharien qui occupe près de 87% du territoire algérien, caractérisé par de fortes amplitudes thermiques et l’aridité extrême de son climat et l’évolution du climat dans la région de l’Afrique du Nord et du Sahel, font du territoire algérien un des hotspots de la désertification dans le monde. Tous les scénarios climatiques réalisés pour cette région indiquent une dégradation du climat et une accentuation de la désertification. La carte nationale de sensibilité des sols à l'érosion et à la désertification réalisée par la Direction générale des forêts, avec le soutien technique du centre des techniques spatiales d’Arzew (agence spatiale algérienne), révèle une situation très critique de l'état des lieux des espaces steppiques et présahariens avec plus de trois millions d'hectares de régions steppiques comme Naâma, El-Bayadh, Djelfa, M'Sila et Tébessa, présentant une intense activité éolienne et constituent notamment des zones à haut risque. Plus de 27 autres millions dans plus de 10 wilayas sont classés «zones hautement sensibles». On peut, à la lumière de ces éléments, considérer que l’une des principales menaces pour notre pays reste la désertification et la neutralité des sols, sachant que plus de 500.000 ha de terres en zone steppique sont totalement désertifiés sans possibilité de remontée biologique, alors que les experts estiment à 6 millions d'ha les superficies très menacées par les effets de l'érosion éolienne.

Quelle est la stratégie adoptée par l’Algérie pour limiter l’impact de la désertification et la sécheresse qui frappe le pays ?

Pour répondre au défi de la désertification, l’Algérie avait, au début des années 1970, lancé le projet du barrage vert, une idée et un projet novateur et avant-gardiste dans son contexte de l’époque. Ce projet avait été porté lors de son lancement par le Haut-Commissariat au service national. Il consistait essentiellement à opérer par des plantation (boisement et reboisement) de grandes étendues comprises entre 200 et 300 mm, d’Ouest en Est sur une superficie de 3,7 millions d'hectares et avait pour objectif de freiner le processus de désertification et de rétablir l’équilibre écologique dans ces zones et celles avoisinantes. Selon les statistiques de la Direction générale des forêts, entre les périodes 1970 et 1998, près de 240.000 hectares ont été plantés sur la bande du barrage vert qui couvrait environ
1.200 km de long sur 20 km de large. Parmi toutes les wilayas traversées par le barrage vert celles de Djelfa, M’sila et Tébessa représentaient à elles seules plus de la 50% de son étendue.
Au début des années 1980, avec l’adoption du «programme steppe» et la création du Haut-Commissariat au Développement de la Steppe (HCDS), un second souffle avait été donné à travers la politique de développement intégré de la steppe, incluant la dimension socio-économique. Il y a lieu également de souligner que la transformation des modes de vie et le développement socio-économique au niveau des zones rurales, combiné à l’utilisation non durable des sols pour l’agriculture dans certaines régions, en plus de la pente fragile et l’irrigation mal maitrisée, ont induit la remontée de sels, notamment en zone saharienne et steppique (Ouargla, Oued, Adrar, Ghardaïa...) induisant des pertes importantes en surfaces agricoles par salinisation. Par ailleurs, le surpâturage des parcours a entraîné leur fragilisation et l’amplification de la désertification. L’urbanisation galopante n’a pas non plus facilité le processus.

Qu’en est-il du projet de réhabilitation du Barrage vert ? Quelle est l’importance de ce projet dans la lutte contre la désertification et les répercussions du changement climatique ?

Le barrage vert comme projet national prioritaire obéit à une nouvelle vision stratégique du pays et une volonté politique dans le domaine de l’action environnementale. En plus d’être un outil de lutte contre l’avancée du sel vers le Nord du pays, le barrage vert constitue, en soi, une mesure d’atténuation climatique, en tant que puits de carbone et d’adaptation climatique car il permet de reconfigurer le développement local au niveau des zones steppiques et près-steppiques. Le choix opéré par les pouvoirs publics avec une approche intégrée combinant le reboisement de variétés végétales adaptées au contexte bioclimatique local, la disponibilité à proximité de l’eau mais également les infrastructures et équipements publics et la présence humaine, est un choix judicieux car il met les populations locales au centre de la nouvelle approche. L’objectif pour les dix prochaines années est la réhabilitation des parcours au niveau de la zone steppique et présaharienne et l’amélioration pastorale sur deux millions d’hectares, notamment à travers la reconstitution du stock de semences dans le sol et la régénération des espèces menacées par le surpâturage. Il est question aussi de la conservation du couvert végétal et de protéger les sols contre l’érosion, la réhabilitation des terres de parcours par la plantation pastorale sur une large superficie, la fixation de dunes sur plus de 7.500 ha permettant la préservation des terres agricoles de l’ensablement ainsi que la réhabilitation et l’extension du barrage vert.

La nouvelle stratégie mise en place par l’Algérie va-t-elle freiner le phénomène de la désertification ?

Dans sa nouvelle stratégie de lutte contre la désertification, l’Algérie a mis en place une gouvernance adaptée à travers la création d’une direction de la lutte contre la désertification et le barrage vert au niveau de la DGF, chargée de l’élaboration de la stratégie nationale de lutte contre la désertification et du plan d’action de réhabilitation, d’extension et de développement du barrage vert. Il y a eu également la création, en 2020, de l’organe de coordination de la lutte contre la désertification et de la relance du barrage, portant création de l'Office de développement de l’agriculture industrielle en terres sahariennes (ODAS). Il reste maintenant à s’assurer du fonctionnement de cette organisation et la dotation de ces structures et mécanismes de moyens financiers et de compétences humaines en mesure de permettre d’atteindre les objectifs fixés par les pouvoirs publics pour ce projet structurant et considéré comme une grande priorité nationale. Dans cette dynamique, il est essentiel que le secteur expert, celui du savoir et des connaissances, se recentre sur ces priorités et développe des projets de recherche adaptés au contexte du territoire de chaque wilaya traversée par le barrage vert. La dynamique de l’innovation engagée au niveau national devrait également servir de rampe pour le lancement d’entreprises écologiques et activant dans les domaines de l’agroécologie, la foresterie, le recyclage, l’irrigation intelligente et la valorisation de ces zones en intégrant la dimension du tourisme écologique.
Cet ensemble d’actions et de mesures devrait faire de l’action nationale contre la désertification une action de territoire pour lui assurer la durabilité et la mobilisation des parties prenantes locales.

K. H.

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