Regards : Jacques Charby, le porteur d’espoirs

Par Ahmed Halli

Lorsque sort Une si jeune paix, le premier long métrage de fiction algérien, en 1964, et qu'il est présenté au festival de Cannes, puis à celui de Moscou (1), l'année suivante, on ignore tout de l'auteur. On sait juste que c'est un certain Jacques Charby, un de ces cinéastes français qui a rejoint la Révolution algérienne, à l'instar de René Vautier, et qui a choisi, comme d'autres, d'y rester. De son itinéraire d'avant l'indépendance, on savait plus ou moins qu'il avait travaillé avec Frantz Fanon sur un projet de création de structures d'accueil pour les orphelins de guerre (2). Ce travail en collaboration avec Fanon, ainsi que sur d'autres projets d'avenir, se faisait au sein du GPRA, à Tunis, qu'il avait rejoint après son évasion d'un hôpital psychiatrique.
Arrêté en février 1960, en même temps que d'autres membres du réseau Jeanson, et incarcéré à la tristement célèbre prison de Fresnes, Jacques Charby simule la folie, en acteur consommé. Ses geôliers avaient oublié qu'avant de se mettre au service de la Révolution algérienne, et d'être arrêté, le détenu avait déjà derrière lui une carrière flatteuse, de comédien et réalisateur. Ceux qui ont suivi la saga Jeanson, lors du procès mémorable des membres du réseau arrêtés auront découvert que nombre de ces militants avaient été hébergés par des acteurs connus.
L'action clandestine étant aussi une école d'abnégation et d'humilité, Jacques charby a mis beaucoup de temps à revenir sur cette période, sur son propre itinéraire, mais sans se mettre en avant. Ce ne fût pas un succès de librairie, un best-seller comme on dit, mais il représentait dix ans d'un travail de mémoire extraordinaire sur une des pages les moins connues de notre histoire. C'est en 2004 que Jacques Charby avait publié une soixantaine de témoignages d'anciens membres du réseau, fondé par Francis Jeanson, en soutien au combat pour l'indépendance de l'Algérie.
Lui-même ancien membre du réseau Jeanson, il avait appelé son livre Les porteurs d'espoirs, comme pour opposer ce titre aux Porteurs de valises, paru un quart de siècle plus tôt.
Ce réseau avait dans ses rangs des militants, Français en majorité, mais aussi Belges et Suisses, issus de milieux sociaux divers, et ses membres étaient juste sortis de l'anonymat pour témoigner. Jacques Charby se joint au réseau Jeanson, comme on entre en résistance, tout comme sont entrés en résistance contre l'Allemagne nazie, son père et sa mère, qui se suicide en 1941, pour échapper à la Gestapo. Jacques avait 12 ans, lorsque sa mère est morte, et c'est à cet âge précoce qu'il franchit la ligne de démarcation, en compagnie de son petit frère, pour tenter de retrouver leur père.
Ce dernier était typographe et militant anarcho-syndicaliste, disent de lui les notices biographiques, ce qui correspond grosso modo à l'image idéologique de gauche accolée à ce métier. Bon sang ne saurait mentir, Jacques Charby se laissera prendre au syndicalisme après avoir embrassé la carrière de comédien au théâtre, puis au cinéma, où il va trouver nombre de ses recrues (3).
Kateb Yacine, le déclencheur
Selon ceux qui ont suivi la genèse des Porteurs d'espoir, Jacques Charby aurait été assez réticent à inclure son propre témoignage dans ce livre, et il y explique son engagement . "Comment, en 1958, me suis-je retrouvé dans un réseau de soutien au Front de libération nationale algérien, et ma vie a-t-elle basculé ? Bien sûr, les raisons sont multiples, mais je pense que le premier "responsable" fut Kateb Yacine que j'avais lu et rencontré. Il m'a ouvert les yeux sur les méfaits du colonialisme français en Algérie, et singulièrement sur la répression du 8 mai 1945, qui l'avait marqué à vie". Jacques Charby, condamné à dix ans par contumace, a été amnistié en 1966, et il est rentré en France où il a repris sa vie d'acteur et de réalisateur, sans rien renier de ce qu'il a été. Il est décédé le 1er janvier 2006 à Paris.
A. H.

1) En 1965, c'était déjà miraculeux qu'un film algérien figure dans la sélection du Festival de Cannes, d'autant plus que son réalisateur était toujours sous le coup d'une condamnation à 10 ans de prison. Il remporte toutefois le prix du jeune cinéma, au Festival de Moscou.
2) C'est un de ces orphelins de guerre, Mustapha, qui a été torturé et mutilé à l'âge de 8 ans par des soldats français, que Charby a adopté, et qui joue son propre rôle dans Une si jeune paix.
3) Dans la liste des acteurs célèbres recrutés par Charby, on retrouve notamment Serge Reggiani, Marina Vlady et Paul Crauchet.

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