Regards : Colonialisme et racisme, deux frères siamois

Par Ahmed Halli

Le racisme bête et méchant n'est pas l'apanage des petites gens, ni une manifestation ordinaire - comme si le racisme pouvait être ordinaire ou un réflexe de rejet dans les quartiers. Comme le poisson qui pourrit toujours par la tête, selon un proverbe chinois, le racisme vient d'en haut, du sommet de la pyramide, et l'écrivain Azouz Begag en a fait l'amère expérience en 2007. Ce "rebeu" issu des quartiers pauvres de la périphérie lyonnaise s'est fait connaître en littérature avec un roman (1) décrivant la dureté de l'existence dans un bidonville dépourvu de tout. Né en France de parents algériens, Azouz Begag entre en politique, en 2005, dans le gouvernement de Dominique de Villepin, comme ministre délégué à la Promotion de l'égalité des chances. Un titre très à la mode à l'époque, mais qui se révèlera trop long et trop lourd à porter pour l'écrivain qui se heurte de surcroit à l'hostilité de Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur. Ce dernier, devenu président de la République après Jacques Chirac, va laisser en quelque sorte le soin de s'occuper de Begag à son bras droit et ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux. Et, il le fait si bien, en y mettant du cœur, qu'il pousse Begag à claquer la porte du gouvernement.
Sa démission, en avril 2007, est motivée par le comportement ouvertement raciste de Brice Hortefeux à son égard, un comportement qu'il dénoncera d'ailleurs dans un nouveau roman (2). Plus tard, il racontera, dans un documentaire, comment tous les mercredis, en conseil des ministres, Brice Hortefeux, assis en face de lui, mimait le geste de l'égorgement, «pour rire» bien sûr. «Au conseil des ministres ! Avec le président de la République. Avec Dominique de Villepin. Voilà le geste qu'on voit au conseil des ministres, au palais de l'Élysée, en 2007, en France. Parce que je suis un bougnoule dans leurs têtes ! Parce que, eux, ils sont dans le djebel, en train de lâcher des parachutistes. On va les
égorger !». Le ministre de l'Intérieur de Sarkozy, ministre délégué au harcèlement raciste de Begag, n'hésite pas d'ailleurs à emprunter au vocabulaire injurieux de la colonisation. L'historien, Alain Ruscio, qui nous a déjà donnés un livre remarquable sur l'OAS, et ses crimes (3), s'est intéressé récemment aux racines coloniales de certaines injures racistes, Il cite le cas de l'épouvantail Hortefeux qui a réussi à faire fuir Azouz Begag, après l'avoir dégoûté à jamais de la politique, et des politiciens racistes qui encombrent les allées du pouvoir.
Il n'est pas interdit de supposer d'ailleurs que le bras droit de Sarkozy a pu être l'auteur du surnom «Sous-ministre bicot de Villepin», relevé par Alain Ruscio dans un article du journal Le Monde. «Bicot», l'insulte reine, selon l'historien, et qui apparait dès la colonisation : «Si l'on tentait de procéder à un palmarès - bien triste - des appellations racistes à l'encontre des Maghrébins dans le passé, le mot bicot serait indéniablement dans le peloton de tête, d'abord en Algérie, puis dans les protectorats du Maghreb, enfin en métropole». Il n'est pas surprenant que ce soit la police, dont Hortefeux a été le patron, en tant que ministre de l'Intérieur, qui a recours le plus souvent à ce mot et qui trouve son usage normal. Quant aux premières utilisations écrites, l'auteur les a retrouvées dans la presse colonialiste de l'époque, à l'exemple de «L'impartial» de Djidjelli : «Il est urgent de rappeler les bicots à l'ordre et de leur prouver que quoiqu'ils puissent dire, ils ne commandent pas» (9 sept 1894). Et Ruscio d'ajouter que dans le plus grand quotidien de la communauté française d'Algérie, L'Écho d'Alger, le mot était omniprésent. Quant à la littérature, de Victor Hugo à Céline, en passant par Marcel Pagnol, elle regorge de ces termes racistes, dont les auteurs de romans policiers, comme Simonin raffolent.
Le colonialisme et le racisme sont des frères siamois auxquels les nouveaux colons en Algérie, sauf rares exceptions, vouaient un culte et Jules Ferry, un colonialiste avéré, semble même le déplorer dès 1892 : «Il est difficile de faire entendre au colon européen qu'il existe d'autres droits que les siens en pays arabe et que l'indigène n'est pas une race taillable et corvéable à merci». Et pourtant !
A. H.

(1) Azouz Begag - Le Gone du Châaba. Éditions du Seuil 1986.
(2) Un Mouton dans la Baignoire - Dans les coulisses du pouvoir - Babelio, janvier 2008. Azouz Begag raconte dans ce livre son expérience de ministre dans le gouvernement de Villepin, et sa mésaventure avec Hortefeux.
(3) Nostalgérie. L'interminable histoire de l'OAS (La Découverte 2015)
(4) Alain Ruscio - Des racines coloniales du racisme à la française - Petit dictionnaire des insultes racistes.(Editions Indes savantes)
Du même auteur : - Quand les civilisateurs croquaient les indigènes : Dessins et caricatures au temps des colonies
- Le Credo de l'homme blanc : Regards coloniaux français (XIX-XX°siècles)

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