
Les deux anciens Premiers ministres, Abdelmalek Sellal et Ahmed Ouyahia, ont chargé, lundi, le directeur général de l’ANDI (témoin), lors du procès de l’affaire GB Pharma, dont l’accusé principal est le défunt Moussa Benhamadi, qui bénéficie de l’extinction des poursuites judiciaires. Ils ont également rejeté toutes les accusations, affirmant qu’ils n’étaient pas en poste lors des faits.
Dans cette affaire qui concerne le Groupe GB Pharma de fabrication des implants oculaires et de lentilles de contact, Abdelmalek Sellal et Ahmed Ouyahia ainsi que l’ancien wali d’Alger, Abdelkader Zoukh, sont poursuivis pour octroi d’indus avantages à autrui en violation des dispositions légales et réglementaires, de passation de contrats en violation des dispositions législatives et réglementaires en vigueur en vue d’accorder d’indus privilèges à autrui et de dilapidation de deniers publics, selon le parquet général près la Cour suprême.
L’ancien ministre des Transports, Abdelghani Zaâlane, est poursuivi pour «financement occulte de la campagne électorale» du président Bouteflika pour un 5e mandat. Quant à l’ancien wali d’Alger, son dossier a été renvoyé devant une autre juridiction.
86 personnes sont témoins dans ce dossier parmi eux : Houda-Imène Feraoun, ancienne ministre de la Poste et des Technologies de l'information et de la communication (absente), Mohamed Hattab, ancien wali et ancien ministre des Sports et de la Jeunesse (présent), Mokhtar Hasbellaoui, ancien ministre de la Santé, Chaid Hamoud (décédé), témoin dans l’affaire du financement occulte de la campagne électorale 2019 en sa qualité de trésorier de la direction de campagne de Bouteflika, Mohamed Salah Daas, ancien chargé de communication et conseiller du PDG Saad Damma (présent).
Amar Benhamadi, placé en détention provisoire dans l’affaire Condor, est auditionné dans cette affaire comme témoin.
L’accusé principal, Moussa Benhamadi, poursuivi en sa qualité de ministre de la Poste et des Télécommunications, lors des faits est décédé en juillet dernier et bénéficie de l’extinction des poursuites judiciaires.
Sellal et Ouyahia : «Nous n’étions pas en poste au moment des faits»
A l’ouverture du procès par le pôle national financier et économique près le tribunal de Sidi M’Hamed, l’avocat de la société SPA GB Pharma, Me Zeraya a relevé des vices de procédures. «La société a été saisie sur décision du Parquet général près la Cour suprême alors qu’elle n’est pas poursuivie ni mise en cause dans cette affaire. Le défunt Moussa Benhamadi était juste actionnaire avec 10 autres personnes dans cette SPA. La décision de saisie a été prise après le décès de Moussa Benhamadi et on n’a pas été informé», plaide-t-il avant de demander la levée de main sur l’entreprise.
De son côté, l’avocate d’Ahmed Ouyahia a plaidé l’incompétence du pôle pour l’examen de cette affaire évoquant le statut de l’accusé.
Dans son intervention, le représentant du ministère public a rejeté la demande de la défense d’Ouyahia. «Tous les accusés sont égaux devant la justice. Un procès équitable est garanti», assure-t-il. Il a également demandé la jonction des demandes de la défense de GB Pharma dans le dossier et afin de les soumette au débat dans le fond.
10h 15 : Le tribunal s’est retiré pour délibération. Reprise de l’audience à 11h 22 pour annoncer la validation des décisions du parquet.
L’ancien Premier ministre, Abdelmalek Sellal, était auditionné. Il a d’emblée rejeté les accusations. «Je ne suis pas concerné par cette affaire car je n’étais pas Premier ministre lors des faits. Je n’étais pas au courant de ce dossier. J’étais informé pour la première fois par le conseiller magistrat instructeur près la Cour suprême qui m’a présenté l’expertise de l’IGF», précise-t-il.
«Pourquoi je suis poursuivi dans cette affaire alors que les décisions ont été attribuées à la société GB Pharma une année avant ma désignation au poste ? La société a bénéficié d’une assiette foncière en juin 2012 et le dossier a été examiné par le Conseil national de l’investissement en décembre 2011 alors que j’étais nommé le 4 septembre 2012», insiste Abdelmalek Sellal.
M. Sellal a souligné que le CNI est composé de 12 ministres et que les dossiers sont étudiés par l’ANDI. «Je n’ai aucune responsabilité. L’expertise de l’IGF a imputé la responsabilité à l’ANDI, la BEA aux services fiscaux et aux domaines. Le Premier ministre ne contrôle pas les décisions du CNI», note-t-il.
Il est interrompu par le juge qui lui a fait remarquer que «la nouvelle ville de Sidi Abdellah était un pôle par excellence et que le wali ne pouvait pas agir sans aviser les hautes autorités». Sellal : «Le Premier ministre n’est pas concerné par les actes de gestion. Il prend des décisions souveraines et politiques. L’ANDI est responsable du suivi des décisions et projets avec la tutelle, soit le ministère de l’Industrie. C’est le DG de l’ANDI qui présente le dossier au CNI et si un des ministres émet des réserves, le projet est annulé», déclare-t-il.
Il a également précisé que Moussa Benhamadi n’était pas ministre quand le projet a été présenté au CNI, mais président du conseil d’administration de la SPA GB Pharma. «J’ignorais qu’il avait un projet d’investissement en pharmacie», dit-il.
Selon Sellal, «la responsabilité revient au wali et à l’agence foncière». Il répondait à une question du juge sur l’attribution d’une concession foncière à la société sans cahier des charges.
L’usine de Sidi Abdellah, une couverture pour l’importation des médicaments
Le président de l’audience a relevé que «cette usine était juste une couverture pour l’importation des médicaments. Le ministère de la Santé lui avait accordé des autorisations d’importation renouvelables chaque année. Le taux d’avancement du projet n’a pas dépassé 55% alors qu’il bénéficiait des avantages depuis 2011».
La facture de l’importation des médicaments a dépassé 926 milliards de centimes selon les déclarations douanières soit le double du coût du projet estimé à 130 milliards de centimes et 480 milliards de centimes après réévaluation, relève le juge.
Sellal : «Je n’ai aucune responsabilité. D’ailleurs l’IGF a défini la responsabilité dans son expertise. La responsabilité incombe l’ANDI», insiste-t-il.
L’audition a porté également sur les crédits octroyés à GB Pharma par la BEA et le CPA. «Le montant dépasse 500 milliards de centimes alors que le coût du projet est de 488 milliards de centimes, selon les déclarations du concerné. Il faut savoir qu’il a bénéficié des crédits malgré les réserves de la commission des crédits qui a exigé la conformité du montant avec le coût du projet. Il a également bénéficié d’un autre crédit de plus de 14 millions de DA, sans rembourser l’ancien crédit avec un retard dans la réalisation du projet», relève encore le juge.
L’assiette financière du projet de l’usine a été donnée comme garantie dans le projet de l’importation des médicaments, ce qui constitue une violation de la loi. Les crédits n’ont pas été remboursés et la banque n’a pas pris de mesures, souligne le président de l’audience. Sellal répétait en réponse à chaque question : «Je ne suis pas concerné par cette affaire. Je n’étais pas en poste lors des faits.»
En réponse à une question du représentant du ministère public sur l’article 99 de la Constitution qui définit les missions et les prérogatives du Premier ministre, Sellal a répondu : «Le Premier ministre ne contrôle pas les banques. C’est du ressort du ministre des Finances. De même pour le suivi des projets est du ressort des ministères de l’Aménagement du territoire, de l’Industrie et de la Santé.»
«Le Premier ministre prend des décisions de souveraineté. Pour les autorisations d’importation, il faut voir avec le ministère de la Santé», conclut-il.
Ahmed Ouyahia est auditionné par visioconférence depuis l’établissement pénitentiaire d’Abadla à Béchar. «Je n’étais pas au courant de l’arrêt de renvoi. Je suis loin de la capitale et j’ai juste pris connaissance des conclusions de l’expertise de l’IGF. Je tiens également à vous informer que j’ai bénéficié de l’extinction des poursuites judiciaires dans les deux affaires de Mobilis et Condor», dit-il. Le juge lui a signifié qu’il s’agit du procès de GB Pharma. Ouyahia a nié toutes les accusations et a chargé le DG de l’ANDI.
Il a rejeté l’accusation de conflit d’intérêt. «Le défunt Moussa Benhamadi, ministre à l’époque, n’a pas participé à la réunion du CNI. Le ministre n’est pas membre du Conseil. Il était actionnaire. Il est devenu gérant en 2015 alors qu’il avait quitté le gouvernement», ajoute-t-il.
«J’ai quitté le gouvernement en 2011. Le suivi et le contrôle des projets relève des autorités locales», dit-il. Il est interrompu par le juge qui souligne qu’il s’agit d’un projet stratégique dans une zone industrielle lui rappelant une décision interministérielle en 2007 qui interdit toute construction dans cette zone sans autorisation du gouvernement.
Ouyahia répond : «En 2007, c’est M. Belkhadem qui était chef du gouvernement mais je vais répondre. Sidi Abdellah était un pôle scientifique et technologique et le gouvernement est composé de 23 ministres qui doivent suivre les projets de leur secteur. Chaque ministère doit assumer ses responsabilités.»
Pour les crédits non remboursés, Ouyahia rappelle la loi sur la monnaie et le crédit qui stipule que les banques sont des entités indépendantes. Auditionné sur le retard dans la réalisation du projet, Ouyahia a précisé que le contrôle est du ressort de l’ANDI qui doit élaborer une fiche de suivi chaque trimestre en coordination avec les services des douanes et des impôts. Ouyahia a insisté qu’il n’a aucun lien avec cette affaire, dont les faits se sont déroulés après son départ du gouvernement. Le président de l’audience a expliqué qu’il doit l’auditionner car «c’est une procédure de l’audience publique».
Le pôle national financier et économique a également examiné l’affaire du projet de réalisation d’un hôpital régional des grands brûlés à Flifla dans la wilaya de Skikda. Les deux anciens Premiers ministres, Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, se disent «surpris» par cette nouvelle poursuite judiciaire. «Nous n’avons jamais été auditionnés sur cette affaire dont on entend parler pour la première fois lors de ce procès», ont-ils insisté.
Le président de l’audience a enregistré leurs déclarations avant de passer au 3e dossier lié aux marchés publics entre Condor et Mobilis pour l’acquisition de téléphones portables et tablettes pour un montant de 150 milliards de centimes.
Ouyahia a rappelé qu’il a bénéficié d’extinction de poursuite judiciaire dans ce dossier mais il a déclaré que le recours au gré à gré était une nécessité. «L’Etat dépensait 15.000 milliards de DA dans les marchés publics dans son plan quinquennal», dit-il.
De son côté, Abdelmalek Sellal évoque le contexte économique difficile : «J’ai suivi la même politique que Trump. Mobilis n’est pas soumise au code des marchés publics et nous n’avons aucun pouvoir sur cette entreprise en tant que Premier ministre. Le contrôle est du ressort du ministère de la Poste. Le Trésor public n’est pas concerné car c’est une affaire commerciale.»
Il est interrompu par le juge : «Il y a un préjudice indirect de 35 milliards de centimes». Sellal a insisté qu’il a agi dans l’intérêt du pays suite à la forte chute des prix du pétrole. «J’ai opté pour la promotion de la production nationale. Le gouvernement actuel a adopté la même décision et le président de la République actuel ainsi que le Premier ministre sont sur la bonne voie. On a réduit la facture de l’importation et il faut me récompenser au lieu de me mettre en prison», se défend-il.
Sellal a été auditionné sur le financement de la campagne électorale de 2019. Il a rappelé qu’il a été condamné deux fois par le tribunal de Sidi M’Hamed et par la Cour d’Alger sur les mêmes faits. «J’ai animé quatre campagnes électorales et je n’étais pas responsable du volet financier. C’est le défunt Hamoud Chaid qui était désigné par le frère du candidat comme trésorier de la direction de la campagne», insiste-t-il.
Le procès s’est poursuivi tard dans la soirée avec l’audition de Zaâlane.
Neila Benrahal