Pr Kheloufi Benabdeli, spécialiste en management environnemental, à El Moudjahid : «Il faut maîtriser les potentialités des territoires pour tracer une feuille de route»

Propos recueillis par : Amar Fedjkhi

El Moudjahid : Quelles politiques publiques pourraient être mises en place pour inciter les jeunes à s’installer et à investir les espaces ruraux ?

Pr Kheloufi Benabdeli : Sur les 8 millions d’hectares de terres agricoles exploitables, 3 millions sont réservés à la jachère, ce qui constitue une erreur fatale. Une mauvaise occupation des terres est également un frein majeur au développement du milieu rural. Les cultures non stratégiques, qui n’emploient qu’un faible taux de main-d’œuvre, dominent l’espace agricole. Le manque de modernisation des pratiques agricoles décourage les jeunes de s’intéresser à ce territoire. À cela s’ajoute le manque de transparence dans l’emploi de la main-d’œuvre (déclaration, assurance, permanence, etc.). Le secteur de la formation professionnelle reste également en marge de ce territoire, en ce qui concerne le développement d’ouvriers spécialisés dans des domaines comme l’aridoculture et la mécanisation. Ce n’est qu’à travers une modernisation technique et sociétale que le monde rural peut attirer des jeunes et des investisseurs. Une autre action indispensable pour contrer la baisse de la population rurale consiste à mettre fin à l’exode rural en améliorant les conditions de vie à la campagne. Cela passe par la réhabilitation de la qualité de vie, en améliorant les infrastructures, l’habitat et les conditions d’une vie décente, notamment l’accès à l’eau, aux transports, aux loisirs, à l’éducation, etc.

Avec l’émergence d’une population rurale non agricole de plus en plus importante, comment repenser l’aménagement du territoire et les infrastructures économiques afin de créer un véritable tissu productif ?

La déprise territoriale découle d’une mauvaise prise en charge des territoires à travers l’aménagement du territoire, qui doit être totalement repris. La solution à cette problématique majeure, tant sur le plan économique, social qu’environnemental, réside dans une réelle politique d’aménagement du territoire axée sur la revitalisation des zones rurales. Ce n’est qu’à travers une maîtrise des potentialités des territoires, basée sur un découpage en zones homoécologiques et isopotentielles, qu’il sera possible de tracer une feuille de route. Cette feuille de route doit prendre en compte les besoins de la population locale, et induire la création de petites entreprises pour répondre à cette demande. Cette mesure simple permettrait d’inciter les jeunes à l’emploi, tant dans le domaine agricole que dans d’autres secteurs. Un investisseur ne peut s’installer que s’il dispose d’informations et de documents de base sur la zone où il souhaite s’établir. Cela manque actuellement, d’où la nécessité de créer un nouveau schéma national, régional et local d’aménagement durable des territoires. Pour dynamiser le secteur rural, donc agricole et agroalimentaire, il est nécessaire de mobiliser au moins 10 milliards de m3 d’eau annuellement pour ce secteur.

Les modèles actuels d’agriculture pluviale dans le nord du pays sont-ils encore viables à moyen et long termes ? Quelles réformes structurelles seraient nécessaires pour assurer leur adaptation au changement climatique ?

L’agriculture pluviale, qui domine à plus de 80 % l’espace agricole, n’est plus d’actualité. Les faibles rendements, les maladies, l’empoisonnement des terres et des récoltes par des produits phytosanitaires dangereux, ainsi que le réchauffement climatique, perturbent les cycles des précipitations. Ce changement conduit à une tropicalisation du climat, représentant un risque pour cette forme d’agriculture.

Que faut-il faire à court, moyen et long termes ?

À court terme, un inventaire réel des terres et de leurs véritables propriétaires, associé à un cadastre précis, s’impose pour protéger ces terres agricoles menacées par l’urbanisation. Chaque année, l’urbanisation consomme entre 5.000 et 10.000 hectares de terres agricoles. À moyen terme, il est nécessaire de créer des coopératives permettant de regrouper des superficies dépassant 1.500 hectares. Cette opération offrirait également une certaine clarté dans la maîtrise des plans de culture.
La terre appartient au peuple, tout comme l’eau, et il est temps de contrôler les usages souvent abusifs de ces ressources.

A. F.

Multimedia