Déclencher une guerre avec des fusils rouillés contre une puissance de l’OTAN et terminer victorieux avec un gouvernement et une armée conventionnelle portés par leur peuple, n’est-ce pas une forme accomplie d’un miracle ?
«Comment devenir colon en Algérie avec 60 centimes.» C’était le slogan d’une campagne de peuplement menée par l’administration coloniale vers 1880, quand elle placardait des affiches dans les gares de la ligne Paris-Lyon-Méditerranée. Un texte accompagnant ces affiches indiquait à quelles conditions un Français pouvait être mis en possession d’une terre de 30 à 60 hectares. Pour ce faire, une simple demande manuscrite avec un timbre de 60 centimes, adressée au Gouverneur général, où vous désignez la région d’Algérie qui a votre préférence, et le tour est joué. Au bout de quelques semaines, le solliciteur est informé qu’il est admis comme concessionnaire d’un lot gratuit. Il n’a plus qu’à faire ses malles. À Marseille, toute la famille prend passage gratuitement à bord d’un paquebot qui l’amène vers ce pays où la nature y est douce, le climat à peine plus chaud que la métropole et le ciel d’un bleu sublime. Cette contrée s’appelle l’Algérie, pays des fortunes miraculeuses, un vrai paradis sur terre.
«chef-d’œuvre» de la colonisation, mené avec zèle et une violence inouïe contre les populations locales, touchait à sa fin au début des années 1950. Le verger du labeur est mûr, il ne reste plus qu’à tendre la main et s’attribuer la moisson. Une époque bénie pour ceux qui comptaient les profits d’un pays conquis au nom du progrès. Une période faste où les affaires étaient excellentes pour les colons dont la prospérité était à son zénith. Il ne restait qu’à asseoir durablement leur puissance politique et financière sur un pays définitivement soumis, convaincus de l’éternité de leur règne.
Or, la protestation rageuse anticoloniale ne s’est jamais éteinte depuis la conquête du 5 juillet 1830. Depuis, sans interruption, chaque décade était marquée par un soulèvement mettant en scène des personnages héroïques, mais différents, avec un socle commun : «Nous ne renoncerons jamais à notre liberté et nous défendrons chaque lopin de notre terre.» En ce 1er novembre 1954, sous les cendres couvaient des braises ardentes. Six chefs révolutionnaires, jeunes et audacieux, ont décidé de faire accoucher l’histoire et de lui donner une nouvelle trajectoire. C’était le souffle incandescent de l’histoire. Ce ne sera plus comme avant !
Jeunes, disions-nous, mais ils n’étaient pas déconnectés des réalités qui agitaient l’actualité internationale de l’époque. Avant de déclencher l’insurrection du 1er novembre, les six acteurs ont eu, en effet, le génie de lire avec exactitude le sens de l’histoire. Ils ont vite compris les déboires politiques dans lesquels se débattait la France coloniale et que sa politique commençait à s’estomper. Les perspectives de paix après huit années de guerre en Indochine, les espoirs de négociation pour libérer les protectorats tunisien et marocain laissaient craindre un rassemblement du potentiel militaire français en Algérie.
L’occupant français était prêt à perdre l’ensemble de ses colonies, mais pas l’Algérie, surtout pas l’Algérie, où le lobby des colons était au summum de sa puissance. Les six chefs historiques ont bien cerné cette réalité, pour se résoudre à l’idée radicale que la seule issue possible était de passer à l’action armée. Ils l’ont fait ! C’était comme oser la conquête de l’impossible. Nous fêtons, aujourd’hui, le 71ᵉ anniversaire du déclenchement de cette révolution qui fascine toujours les chercheurs, les universitaires, les académiciens et les historiens, qui n’arrivent toujours pas à percer tous les mystères de cette épopée, rivalisant de prismes à travers lesquels il faudrait l’analyser. Une révolution miraculeuse, au vu du contexte et des conditions de son déclenchement par des jeunes, certes, politiquement formés, mais sans aura ni envergure.
Extraordinaire par son organisation qui a structuré toutes les composantes de la société, où le politique, le diplomate, l’intellectuel, le journaliste, le religieux, le commerçant, le sportif et l’artiste avaient leur place et leur rôle dans l’action révolutionnaire. Admirable par la profondeur des textes politiques qui l’ont structurée, allant de la Déclaration du 1er novembre 1954 jusqu’à la Charte de Tripoli, en passant par les résolutions du Congrès de la Soummam. Et, enfin, admirable par l’incroyable adhésion des populations qui ont été le fer de lance de la logistique de guerre.
B. T.