La Nausée

25 avril 1945, le Duce est fusillé et pendu par les pieds au carrefour du Piazzale Loreto, à Milan. Hitler se suicide à Berlin cinq jours plus tard et Little Boy et Fat Man mettent fin à la Seconde Guerre mondiale. 8 mai 1945, après cinq ans et huit mois du plus meurtrier des conflits qu’aient connus l’humanité, les carillons retentissent. L’Europe danse sur toutes les places publiques. A Bełżec, Sobibór, Treblinka, Auschwitz–Birkenau ….le monde découvre l’horreur et se promet que plus jamais «une guerre de civilisation» au nom d’une race ne soit menée. …Quittons le continent européen. 8 mai 1945, les cloches des églises sonnent également dans les colonies. En Algérie, 150.000 indigènes ont pris les armes aux côtés des alliés. La joie, la liesse, l’amour…. Dans un discours radiodiffusé De Gaulle pouvait affirmer, ce 8 mai : «Tandis que les rayons de la Gloire font une fois de plus resplendir nos drapeaux, la patrie porte sa pensée et son amour d’abord vers ceux qui sont morts pour elle …» Le temps est-il venu pour des appels pacifiques à la liberté ? A Setif, Guelma, Kherrata et d’autres hameaux, la France qui avait applaudi son général pour son sens de l’expression sur l’outrage fait à Paris brisée, martyrisée mais libérée, va, hélas, assassiner, exécuter, bombarder, brûler et faire disparaître des milliers de corps dans des fosses communes pour faire taire cet appel. Armée, police, milices, coupables d’assassinats de masse, enfants, femmes, personnes âgées désarmées abattues à bout portant. Dans les villages et les villes, les forces coloniales ont regroupé des Algériens, transportés dans des camions et jetés dans des ravins, alors que d’autres sont emmenés en dehors des villes pour être exécutés. Leurs corps brûlés sont ensuite ensevelis dans des fosses communes. Des fours à chaux ont été utilisés par l’armée française pour se débarrasser des cadavres. «Du soir au matin, on empilait dans le four à chaux (le «four crématoire des minoteries Lavie», à Héliopolis, près de Guelma), les corps des fusillés… Pendant dix jours, on brûla sans discontinuer. L’odeur à la ronde était insupportable. Il suffit d’interroger les habitants de l’endroit… » . Il fallait faire disparaître les preuves. «Avec la venue de l’été, la chaleur sévissait et l’odeur de la mort se répandait fortement. A Guelma, faute de ne pas les avoir tous enterrés assez profond ou brûlés, trop de cadavres ont été jetés dans un fossé, à peine recouverts d’une pelletée de terre. Les débris humains ont été transportés par un camion avec l’aide de la gendarmerie de Guelma durant la nuit. C’est ainsi que les restes des 500 musulmans ont été amenés au lieu-dit «fontaine chaude» et brûlés dans un four à chaux avec des branches d’oliviers. » Il ne s’agit pas d’une folie meurtrière localisée dans une région mais d’un programme d’extermination validé au plus haut sommet de l’Etat. La France humiliée, disloquée en trois semaines par la Wehrmacht, marquée du sceau de l’infamie par Vichy pensait laver son affront en Algérie sur des «indigènes» désarmés, femmes et enfants qui défilèrent en brandissant, croyaient-il légitimement, le drapeau algérien. Après tout on fêtait la libération et nous, Algériens, avons participé à cette victoire. De Gaulle dès le 10 mai envoie un télégramme au gouverneur de l’Algérie : «…Veuillez affirmer publiquement la volonté de la France victorieuse de ne laisser porter aucune atteinte à la souveraineté française sur l’Algérie. Veuillez prendre toutes les mesures nécessaires pour réprimer tout agissement anti-français d’une minorité d’agitateurs… » La commission Tubert (du nom du général qui l’a présidée) chargée d’enquêter sur ces massacres reçut l’ordre de rentrer sur Alger. Son rapport jamais terminé est resté frappé du sceau de secret défense des décennies. Un siècle auparavant, En 1845, dans des grottes du massif du Dahra, à Nekmaria, (Mostaganem) le lieutenant-colonel, Aimable Pélissier, piégea les Ouled Riah, il y entassa des fagots de bois, alluma le feu et les enfuma devenant ainsi avec presqu’un siècle d’avance, l’un des pères des chambres à gaz. «Pendant des heures, on entendit, venant des grottes, des hurlements de bêtes et d’êtres humains mêlés aux craquements sourds de la roche qui éclata par endroits sous l’effet de la chaleur. Deux jours plus tard, quand les premiers soldats s’avancent en reconnaissance, il règne sur les lieux un silence de sépulcre. Le sol est jonché de plusieurs centaines de cadavres de moutons, d’ânes, de bœufs, de femmes, de vieillards, d’hommes et d’enfants. »

M. K. (in Politis-El Moudjahid, mai 2022)

Sur le même thème

Multimedia