
Ces massacres de la France fraîchement libérée du joug nazi ont marqué à jamais les populations de l’Est de l’Algérie. Ils constituent un acte de génocide impardonnable subi par le peuple algérien refusant toute forme d’exploitation et aspirant lui aussi à la liberté et à l’indépendance. A Kherrata, ce mardi 8 mai 1945 était un jour de marché hebdomadaire et comme de coutume, la population vaquait à ses occupations quand la nouvelle d’une répression policière contre les populations voisines de Sétif et d’Amoucha lui parvint. Dès lors une agitation suivie de panique et une forte inquiétude gagnèrent les habitants de la ville qui suivirent tous les échos provenant de la capitale des hauts plateaux. Il fallait se mobiliser et apporter un soutien aux populations réprimées suite à une simple marche pacifique organisée dans les principales artères de Sétif. Les rassemblements de la population qui se sont constitués un peu partout dans la ville de Kherrata ont créé une grande panique chez les soldats français bien armés et rassemblés dans la grande forteresse de la ferme du colon Dussy. L’administrateur colonial ordonna alors un couvre-feu, mais la population déterminée décida d’organiser un rassemblement au centre-ville. La nouvelle s’est répandue à travers tous les villages et les habitants affluèrent vers le centre de la ville. Des groupes se sont constitués au sein de la population, certains se sont dirigés vers le tribunal pour prendre les armes qui se trouvaient dans cet endroit où le juge a été tué. Un autre groupe avait bloqué la route des gorges pour retarder l’arrivée des soldats, d’autres ont grimpé sur les crêtes pour dominer l’ennemi. Mais l’armée coloniale, avec toute son armada de guerre, arriva sur les lieux et commença à tirer à bout portant sur la population tandis que les villages avoisinants furent sauvagement bombardés. Toute la population se trouvant à Kherrata a été massacrée. Une véritable barbarie et un génocide dirigé par l’ex-administrateur français de cette région le colonel Rousseau. Les gorges de Kherrata, cimetière à ciel ouvert S’ensuivi une véritable chasse à l’homme à travers les ruelles de la ville de Kherrata. Capturés les gens ont été entassés dans des camions et dirigés vers les gorges de Kherrata. Leur sort était déjà scellé. Tués à bout portant, ils furent jetés sans âmes et souvent vivants dans les ravins profonds des gorges de Kherrata sans distinction d’âge ni de genre. Femmes, hommes, jeunes, vieux, enfants et malades, personne n’a été épargné. Parmi tous ces innocents figurait Hannouz Arab, infirmier auxiliaire de la santé à Kherrata qui a refusé de signer une déclaration d’allégeance. Torturé atrocement, son corps fut trainé à travers les rues de la ville, sous le regard de la population obligée d’assister à ce spectacle macabre et enfin être balancé sans vie dans le ravin de Chaabet Lakhera. Ses trois jeunes enfants subiront le même sort sur le pont qui porte aujourd’hui son nom. Des nouvelles parvenaient aussi des localités de Melbou, Aokas et Ziama Mansouriah où les colons ont débarqué de deux bateaux de guerre. Près de 3.000 soldats armés ont pris d’assaut villages et hameaux de ces localités avant de rassembler les habitants le long des plages. En un laps de temps les bords de mer grouillaient d’hommes, de femmes, d’enfants, de bébés et de vieillards, suffoquant sous une canicule. Insatisfait de cette barbarie aveugle, le croiseur le Duguay-Triomphant qui se trouvait au large du golfe de Bejaia en route pour l’Asie fut sommé par le sous-préfet de Bejaia d’intervenir face à la révolte de la population. Les populations de Melbou, Aokas, Souk El Tenine, Ziama Mansouriah, Darguinah et les Babors furent pilonnées par les canons de ce bâtiment de guerre dont la portée pouvait atteindre les 22 kilomètres. La répression s’est intensifiée avec l’aviation qui bombarda les autres villages de Kherrata causant d’importantes pertes humaines. Ce fut l’un des plus atroces massacres de la France coloniale. Sinistre Légion étrangère Des populations sont acheminées dans des camions militaires à partir de Melbou et Darguinah et exécutées sommairement tandis que d’autres sont alignées sur les plages et tuées à bout portant. Un massacre à ciel ouvert qui s’est étalé sur plusieurs jours où les hordes coloniales ont réprimé sauvagement les populations dont le seul tort est d’avoir osé demandé à vivre dignement. Pour marquer sa participation à ce génocide, la Légion étrangère l’a gravé sur un rocher que les usagers peuvent remarquer en empruntent les gorges. Un fait qui immortalise le crime et la haine féroce des colons envers cette population qui a rejeté l’exploitation et la domination et s’est soulevée contre la barbarie et l’oppression. Tortures, emprisonnements, répression personne n’a été épargné. Plus de 2.000 Algériens sont tombés en quelques jours sous les balles assassines des colons qui tiraient sans sommation et plus d’un millier de prisonniers furent entassés dans les geôles de Bejaia et Kherrata. Soixante-dix-sept ans après, Kherrata se remémore et la plaque de la légion étrangère est toujours là pour rappeler aux générations futures le sanglant passage du colonialisme en Algérie. Des génocides restés impunis et dont l’histoire retiendra à jamais.
Mustapha Laouer