
Invité au colloque national sur les massacre du 8 Mai 1945 à Kherrata, organisé hier à la salle de cinéma de la ville, l'historien et professeur Mohammed El Korso, ancien président de la Fondation du 8-Mai-1945 et ancien sénateur, révèle dans cet entretien la chronologie des faits qui ont marqué cette journée sanglante longtemps occultée par l'administration coloniale. Pourquoi cette occultation ? «En fait, c'est le visage hideux de la France des libertés. Parallèlement il fallait également dénoncer avec vigueur la lâcheté des Anglo-Américains qui avaient fait croire aux Algériens engagés dans une guerre qui ne les regardait pas qu'une fois la paix retrouvée ils bénéficieraient, comme les autres peuples d'Europe, du droit à disposer d'eux-mêmes. Non seulement les Anglo-Américains ont failli à leur parole, mais ils ont aussi armé la France revancharde en mettant à sa disposition tout le matériel de guerre ayant servi au débarquement en Afrique du Nord. Les blindés, les avions, les canons ont largement contribué à l'extermination des populations civiles de Sétif, Kherrata et Guelma, et par la suite, entre 1954 et 1962, grâce à l'appui de l'Otan, ces mêmes armes, plus sophistiquées, ont permis de prolonger la guerre de libération de plusieurs années. Comment la France a-t-elle commis ces crimes alors que les manifestants étaient pacifiques.» Sétif, Kherrata et Guelma sont les témoins vivants d'un moment capital de l'histoire de ce pays pour l'avoir bien compris. Le général Duval, l'un des bouchers de ce mois de mai, avait mis en garde les autorités politiques que si rien ne changeait tout redeviendrait comme avant dans un délai de 10 ans. Ce délai fut bien respecté, puisque neuf ans plus tard, les énergies libératrices étaient mises en place. Il y a donc un lien direct et indiscutable que certains de nos politiques, pour des raisons partisanes, ont voulu occulter au lendemain de l'indépendance. A cela l'historien dira : «Les bases de la Guerre de libération nationale ont été jetées ce jour-là. Ce jour-là, durant tout ce mois et le mois de juin, puis durant les sept années de la Guerre de libération, les manifestants pacifiques et les moudjahidine n'ont fait la guerre ni à la religion chrétienne ni aux Chrétiens, mais à la hogra, à l'exploitation coloniale, à la mal-vie, à l'injustice, à l'ignorance, à la marginalisation, à l'humiliation, au Code de l'indigénat, au non-droit dont ils étaient l'objet. Cet aspect fondamental, inscrit dès 1926 dans les tablettes de l'Etoile nord-africaine puis du PPA, du MTLD et par extension de la culture politique nationale, doit être mis en exergue.» «Le colonialisme est dans sa naissance raciste» Les massacres du 8 Mai 1945 constituent un acte de génocide impardonnable et prémédité par la France. Pour Mohammed El Korso, «il est important de souligner que lors de cette journée du 8 mai 1945, les Algériens voulaient partager avec l'Europe victorieuse du totalitarisme, avec la France en particulier qu'ils ont contribué à libérer, la joie et le plaisir de la paix retrouvée. Ils étaient partie prenante de cette victoire qui, dans leur esprit, était la leur également, sauf que le nouvel homme fort de la France, le général de Gaulle avait une autre conception de la liberté. En août 1944, il instruisait le chef du 19e corps d'Armée, le général Martin, de prendre toutes les dispositions pour étouffer dans l'œuf, selon sa propre expression, «toutes velléités d'insurrection» (mémoires de guerre tome 3). Pour rétablir les faits tels qu'ils ont été rapportés par nos aînés professeurs, tels que rapportés aussi par les archives militaires et celles de la police entreposées au service historique de l'armée à Vincennes, il n’y a pas de traces d'insurrection armée au départ de la manifestation pacifique du 8 mai. La réaction violente a été à l'origine des directives pour une insurrection générale, sauf que face à l'ampleur de la répression qui a pris un aspect de génocide, contre-ordre a été donné de surseoir aux directives. Une autre précision de taille est à apporter à ce dossier: aucune arme de guerre, hormis des fusils de chasse rudimentaires et des armes blanches, n'a été trouvée sur les manifestants, ni lors des perquisitions. Cette répression a été préméditée pour attester de la mise en garde adressée par les autorités coloniales, notamment à Ferhat Abbas. En 1944, des manœuvres militaires eurent lieu en Kabylie, les 4 et 5 mai puis les jours suivants autour de Béjaïa ainsi que la délimitation des régions sensibles, telles que Batna, Constantine, Alger et Tlemcen (fin 1944 et début 1945). Il y a là de quoi remettre en question le rôle provocateur entre guillemet du PPA. Les autorités coloniales mirent à profit les émeutes qui résulteront de la manifestation pacifique du 8 mai pour décapiter le mouvement politique. Mais c'était peine perdue puisque la détermination des Algériens à vouloir se réapproprier leur pays était plus forte que les armes engagées contre eux». L'historien précise qu’ «à l' origine, le colonialisme est dans sa naissance raciste, cet aveuglement sera la cause de sa défaite en Algérie».
Propos recueillis par M. Laouer