
Dans cet entretien, Karim Khelouiati, expert en cyber-sécurité, affirme que «l’objectif des attaques cybernétiques est de générer une forme de dégoût et de rejet envers son pays ou les institutions militaires, afin de préparer le terrain à des soulèvements populaires répondant à des calendriers étrangers.
El Moudjahid : L’Algérie subit une explosion de «fake-news» sur les réseaux sociaux. On ne fait plus face aux crimes «classiques», comme la diffamation, les injures et l’escroquerie en ligne, mais plutôt à des attaques cybernétiques contre les institutions et les personnes. Quelles en sont les causes ?
Karim Khelouiati : Oui, l’histoire se répète, mais maintenant le champ de bataille a seulement été délocalisé du café ou du hammam où les rumeurs naissaient et y circulaient. maintenant c’est sur internet que cela se passe, donc ouvert à l’international, ajoutant à cela la naissance des réseaux sociaux et la démocratisation à l’accès à l’information presque en instantané. Les informations fusent de partout, et face à cette info-obésité et ce matraquage médiatique quotidien, le simple internaute algérien, n’ayant aucune idée de ce qui se fabrique dans les laboratoires étrangers, ne peut que mal digérer ce flux. Il est dans l’incapacité totale de faire la part du vrai ou du faux qui demande une dextérité technique de haut niveau, puisque les techniques montant crescendo dans leur élaboration par des services de renseignements étrangers ayant tous les moyens financiers et technologiques à leur portée.
Le but de ces attaques est de générer une forme de dégout et de rejet envers son pays ou les institutions militaires, et surtout instaurer de nouvelles idées, à l’origine fausses, aux générations montantes pour préparer le terrain à des soulèvements populaires faits de toutes pièces et répondant à des calendriers étrangers.
Plusieurs affaires traitées par les services de sécurité sont liées à la déstabilisation de notre pays. Ces attaques se sont intensifiées récemment…
Effectivement, la déstabilisation de notre société connectée (surtout notre jeunesse), qui est le capital-ressource de notre pays, est une menace qui peut être considérée comme majeure. N’oublions pas qu’avec internet et un smartphone, nous avons un accès direct au cerveau de notre cible, et si ce dernier n’est pas préparé par des grandes campagnes de sensibilisation et de vulgarisation, il tombera certainement dans les pièges très sophistiqués qui existent sur internet.
Quelles sont les retombées de la cybercriminalité sur la stabilité et la sécurité du pays ?
Les retombés sont énormes. Il suffit de voir comment une ou deux personnes assises derrière leur PC, à des milliers de kilomètres de notre pays, peuvent faire sortir dans la rue des masses populaires, à coups de mensonges, et faire d’elles ce qu’il veulent (les faire manifester pour des causes qui n’existent même pas, dans un endroit bien précis, ou leur faire dire des slogans, qu’eux-mêmes sont loin de comprendre); une manipulation à grande échelle avec l’aide des nouvelles technologies, qui ont remplacé l’ancien tract ou journal subversif, qui circulait en cachette, sous le manteau.
Justement, quelles sont les nouvelles formes de cyber-menaces ?
maintenant nous sommes plus dans le domaine de l’espionnage, de la subversion et du sabotage, qui a un effet psychologique très important.
Mais heureusement que l'utilisation de ces cyber-armes ne donne toujours pas de garanties de succès. nous pouvons citer l'attaque «Crypton» sur les installations pétrolières de l’Arabie saoudite comme exemple. Cet environnement et ce type de conflictualité évoluent tout le temps, et même avec une veille technologique, il faut savoir anticiper et analyser. Tout porte à croire que d’ici 2030, c’est l’internet des objets qui sera le plus concerné par de nouvelles attaques, de plus en plus sophistiquées où même la réalité dépassera la fiction dans certains cas.
Faut-il consolider le système juridique ?
Oui tout à fait. il y a un manque flagrant dans ce domaine. le décalage entre l’apparition de nouvelles techniques et leur catégorisation comme «actes criminels» est énorme et a du mal à suivre. Entre autres, il faut signaler la culture spécifique des DSI (Directeurs de systèmes Informatiques) et RSSI (Responsable sécurité des systèmes d’informations) qui sont en partie résistants au changement et même au recyclage, puisque dans ce domaine, les informations se relaient d’une seconde à l’autre. Cette résistance au changement impacte dangereusement notre pays, et c’est dans cette optique que je viens de créer et de mettre en place «Un pôle d’excellence Cyber» ainsi qu’un «Campus Cyber», et j’essaie de faire fédérer le plus possible de professionnels de ce métier de niche pour une plus grande réactivité sur le terrain.
Vous plaidez pour la création d’une plateforme open-source algérienne. En quoi consiste-t-elle ?
Ça, c’était il y a bien des années. actuellement, notre plateforme est en cours de finition, elle donnera presque en temps réel les informations concernant des attaques sur l’Algérie, ainsi que les vulnérabilités (zéro day) et ce, directement sur les smartphones des responsables algériens qui seront abonnés à ce service.
Lutter contre la cybercriminalité, est-ce une urgence dans le contexte actuel ?
Non, ce n’est pas une urgence, mais un acte de force majeure. toute la population algérienne est passée de la vie physique au virtuel, mais les forces de l’ordre doivent aussi être présentes dans le virtuel... et en force. Moi, je le dis haut est fort, la cyberdéfense en Algérie est une PRIORITÉ ABSOLUE et doit être au-devant des préoccupations de nos décideurs; ne pas laisser le dossier dans le tiroir, mais le mettre tout en haut de la pile des dossiers en cours. C’est crucial, la stabilité de la nation est en jeu, je ne trouve pas de mots plus forts.
Vous étiez le premier à organiser un Salon de la cyber-sécurité en 2017. y a-t-il une suite ?
Effectivement, en 2017, nous avons fait l’objet d’un événement OVNI en Algérie avec notre Salon HIMAYATIC; pourtant, tous les signaux d’alerte étaient déjà là. Nous allons organiser une autre édition au mois de septembre 2021, du 14 au 16, mais cette fois-ci, en plus important, tout en essayant de faire fédérer le côté étatique et les institutions, les forces de l’ordre y compris, et celui du privé qui est déjà présent en force, tout en ajoutant une pointe de sensibilisation et de vulgarisation. Croisons les doigts, il n’est pas encore trop tard.
Entretien réalisé par
Neila Benrahal