Journée internationale pour l’élimination totale des armes nucléaires : «Une menace nucléaire contre un pays est une menace contre tous les pays»

Par : Remki Merzak, Ancien Commissaire à l’énergie Atomique

  • «Je ne sais pas comment sera la troisième guerre mondiale, mais je sais qu’il n’y aura plus beaucoup de monde pour voir la quatrième.»

Craignant l’holocauste nucléaire découlant d’une éventuelle guerre nucléaire régionale ou mondiale, dont la menace existait déjà en son temps, le célèbre physicien Albert Einstein a avancé cette funeste prophétie avec beaucoup de clairvoyance et de bon sens alertant la communauté internationale sur les conséquences catastrophiques et apocalyptiques pour l’ensemble de la planète d’un conflit utilisant les armes nucléaires.
 Comme chaque année, depuis 2013, et en dépit de l’hostilité affichée par les puissances nucléaires, la communauté internationale commémore le 26 septembre 2023, la Journée internationale pour l’élimination totale des armes nucléaires.
La question relative à l’élimination des armes nucléaires a constitué, dès 1946, l’un des objectifs les plus anciens de l’Assemblée générale de l’ONU qui l’a inscrite dans sa toute première résolution. Les préoccupations croissantes de la communauté internationale, liées aux conséquences humanitaires et environnementales catastrophiques que pourrait engendrer une véritable guerre nucléaire régionale ou mondiale, ont amené cette auguste institution onusienne à déployer des efforts intenses en vue de parvenir à sensibiliser l’opinion publique sur la menace que représentent ces armes pour l'humanité et sur la nécessité de leur élimination totale.
Cette série d’efforts menée par l’Assemblée générale dans sa quête vers l’atteinte d’un monde exempt d’armes nucléaires, comme gage contre l’utilisation et la menace d’utilisation des armes nucléaires, l’a amenée, en 2013, à déclarer le 26 septembre – Journée internationale pour l'élimination totale des armes nucléaires [Résolution 68/32 du 05 décembre 2013], après avoir proclamé auparavant en 2009, le 29 août – Journée internationale contre les essais nucléaires [Résolution 64/35 du 02 décembre 2009] offrant ainsi l’occasion pour la communauté internationale de réaffirmer son engagement en faveur du désarmement nucléaire mondial et de reconnaître l’urgence d’y parvenir.
Ces deux thématiques – l’interdiction complète des essais nucléaires et l’élimination totale des armes nucléaires – ont longtemps constitué le cheval de bataille de la majorité des Etats membres de l’ONU pour parvenir à adopter des instruments internationaux juridiquement contraignants relatifs aux armes nucléaires, complémentaires à ceux existant actuellement. L’objectif étant d’interdire la détention, la mise au point, la fabrication, l’acquisition, la mise à l’essai, l’accumulation, le transfert et l’emploi ou la menace d’emploi de ces armes.

Contexte actuel

C’est dans un contexte international particulier marqué par une escalade verbale d'une ampleur jamais égalée auparavant et ce, à la faveur de l'évolution de la guerre Russie-Ukraine, que se déroule cette année la célébration de la journée pour l’élimination totale des armes nucléaires, faisant craindre le pire, tant les conséquences d'une guerre nucléaire, puisque c'est de ça qu'il s'agit, seraient apocalyptiques pour l'ensemble de l'humanité.
Des déclarations aussi incendiaires les unes que les autres émanant d’acteurs de haut rang directement impliqués dans le conflit Russie-Ukraine font resurgir le spectre d'une 3e guerre mondiale avec l'emploi d'armes atomiques. Jugeons-en : "Les risques de guerre nucléaire sont désormais très importants, ce danger ne doit pas être sous-estimé", déclarait fin avril 2022, Sergueï Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères.
"La menace d'un 'Armageddon' nucléaire est de retour pour la première fois depuis la crise des missiles de Cuba d’octobre 1962", a annoncé de son côté le président américain, Joe Biden, le 7 octobre 2022. Sans omettre de citer également les menaces du président ukrainien Volodymyr Zelensky qui a appelé, le 6 octobre 2022, à frapper la Russie avec des armes nucléaires.
Le contexte est d’autant plus explosif que les pays européens et les Etats-Unis nous ressassent chaque jour que la Russie menace d'utiliser l'arme nucléaire dans le conflit Ukraine-Russie, oubliant au passage de nous expliquer à quoi servent les armes nucléaires déployées par les Etats-Unis sur les territoires de pays européens membres de l'alliance atlantique (OTAN), tels que l'Allemagne, l'Italie, la Belgique, la Turquie... pour ne citer que ceux-là. Notons que ce déploiement a eu lieu bien avant le début du conflit Russie-Ukraine et s’est fait malheureusement au mépris de la légalité internationale et en contradiction flagrante avec les dispositions du Traité de Non-Prolifération des armes nucléaires (TNP), ratifié par ces Etats non dotés d’armes nucléaires.
De plus, au mois de mai passé, les leaders du G7 (Allemagne, Canada, Etats-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni) et de l’Union européenne ont saisi l’opportunité de se réunir au Japon pour rendre hommage aux victimes de la ville japonaise Hiroshima, anéantie par une bombe atomique larguée par les américains le 6 août 1945, faisant semblant d'ignorer que, par leur comportement cynique actuel vis-à-vis de l’évolution de la guerre Russie-Ukraine – donnant la priorité à la guerre totale plutôt qu’au rétablissement de la paix – ils mettent la planète beaucoup plus proche d'un conflit nucléaire qu'à aucun moment depuis Hiroshima.

La menace nucléaire et son cheminement au cours de l’histoire

Le risque d'une guerre nucléaire a toujours constitué, depuis 1945, une menace permanente pour l'humanité tout entière et en tous les points du globe. À travers la crise des missiles de Cuba (1962), où la tension nucléaire a atteint son paroxysme, l'armement d'Israël qui était sous embargo militaire (années 50-60), l'explosion surprise d’une première bombe atomique indienne (1974) justifiée par des fins pacifiques, la réaction du Pakistan aux essais nucléaires indiens par la mise au point des premiers tests nucléaires souterrains sur le territoire pakistanais (1998), le démantèlement du programme d’armement nucléaire sud-africain consécutivement à la fin de l’apartheid (1989), la découverte du programme nucléaire clandestin de l'Irak (1991), ou encore la crise nord-coréenne suite au retrait unilatéral de la RPD de Corée du Traité de non-prolifération des armes nucléaires en janvier 2003, le déroulement de ces évènements montre à quel point, et à plusieurs reprises, que le monde était très proche dangereusement d’une conflagration nucléaire dont les conséquences auraient été apocalyptiques pour la planète.
La guerre en cours entre la Russie et l’Ukraine nous confirme, si besoin est, à quel point les conflits armés sont dangereux pour l’humanité entière. La guerre nucléaire est plus proche que jamais et les dommages qui en résulteront en termes de nombres de morts et de blessés aussi bien qu’en termes de retombées radioactives contaminant de larges zones d’habitation, dépassent de très loin les capacités des soins de santé, même des pays les plus avancés. Aucune infrastructure de soins de santé dans le monde n'est et ne peut être préparée à la catastrophe humanitaire qui résulterait de l'utilisation de ces armes et les capacités d’intervention médicale et d’urgence seraient immédiatement dépassées.
Tant que ces armes de destruction massive existent, leur potentielle utilisation n'étant pas écartée, la survie de l'humanité demeurera toujours menacée.
Il faut raisonnablement admettre qu’étant donné l’ampleur des conséquences de toute utilisation d’armes nucléaires, la Russie et de l’Ukraine ne seront pas les seuls Etats impactés, car une menace nucléaire contre un pays est une menace nucléaire contre tous les pays. Tout comme le changement climatique et les pandémies, les terribles risques posés par les armes nucléaires constituent un problème mondial et nécessitent une réponse internationale concertée.
Force est de le reconnaître, la position de notre pays vis-à-vis des armes nucléaires a toujours été constante, exemplaire et ne souffrant aucune équivoque.
L’Algérie qui a subi et continue de subir les effets catastrophiques, sur l’Homme et sur l’environnement, des armes nucléaires testées impunément par la France coloniale au Sahara a toujours plaidé pour leur interdiction totale. En effet, considérant les armes nucléaires comme la catégorie d’armes la plus destructrice et la plus aveugle jamais créée par l’homme, notre pays n’a cessé de réclamer leur élimination totale en estimant que la seule défense contre les conséquences humanitaires désastreuses de leur utilisation et l’unique garantie pour faire face aux dangers de ces armes de destruction massive sont leur élimination totale et irréversible.
En effet, la possession d’armes nucléaires par certains et le pouvoir politique qu’elle exerce, servent en fait à encourager la prolifération nucléaire et à accroître les risques de guerre nucléaire. Et il est malheureusement navrant de constater que consécutivement au conflit Russie-Ukraine, presque tous les garde-fous et tabous restants en matière de contrôle des armements nucléaires ont été démantelés, et même les simples communications entre les plus grandes puissances nucléaires du monde ont été réduites à des niveaux dangereusement négligeables.

Un monde sans armes nucléaires est possible

 Un monde sans armes nucléaires est non seulement possible, mais nécessaire, et l'approche globale du Traité sur l'interdiction des armes nucléaires (TIAN) constitue un moyen juridique pour atteindre cet objectif. Il s’agit d’un instrument relativement nouveau, entré en vigueur en janvier 2021, qui impose une interdiction générale d’acquérir, développer, tester, stocker, utiliser ou menacer d’utiliser des armes nucléaires ou d’aider d’autres pays à mener de telles activités.
Il n’est pas inutile de rappeler le contexte existant qui a amené une grande majorité d’Etat membres (dont l’Algérie qui a joué à l’occasion un rôle déterminant) à lancer des négociations pour l’adoption de cet instrument juridique contraignant.
Et c’est suite à d’âpres négociations que le 7 juillet 2017, le Traité d’interdiction des armes nucléaires a été adopté à l’ONU par 122 Etats, constituant ainsi le premier instrument de droit international humanitaire qui affirme explicitement que les armes nucléaires sont illégales et immorales, et qu’elles constituent une menace existentielle pour toute l’humanité.
Actuellement, 93 pays (près de la moitié de tous les Etats du monde) ont signé le Traité et 69 l’ont ratifié.

R. M.
 

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