Forcing américain inédit sur le dossier sahraoui en faveur du Maroc : les dessous d’une victoire à la Pyrrhus

Loin d’apaiser les tensions entre Alger et Rabat, la proposition de l’administration Trump risque, au contraire, de les exacerber. En voulant soigner la cataracte, l’Oncle Sam a «dégainé» le marteau-piqueur.

C’est aujourd’hui que le Conseil de sécurité va statuer sur le renouvellement du mandat de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso). Il tranchera un projet de résolution destiné à clarifier le statut des territoires sahraouis occupés. Le texte, ficelé par les Américains, concentre toutes les contradictions sur un dossier qui empoisonne la région. L’examen de cette résolution intervient dans un contexte marqué par trois grands développements.

D’abord, pour la première fois, les États-Unis s’impliquent directement dans ce dossier, qu’ils regardaient de loin pendant 50 ans. C’est donc un grand changement stratégique. Le second développement est que les Américains ont toujours exprimé une sympathie pour la thèse marocaine, leur allié historique, et, cette fois-ci, ils se sont carrément appropriés le dossier. Enfin, il y a les accords d’Abraham. Ce qui se passe actuellement au Conseil de sécurité n’est autre que le deuxième versant du contrat conclu entre l’administration américaine et le Makhzen. Durant le premier mandat de Trump, le Maroc a rempli sa première mission, celle d’avoir normalisé ses relations avec l’entité sioniste.

Le Maroc a non seulement choisi de normaliser, mais, plus grave encore, de vendre, sans coup férir, la cause palestinienne. On s’étonnait de voir le silence complice de Bourita, ministre marocain des Affaires étrangères, durant les sommets arabes ayant coïncidé avec les massacres sionistes à Ghaza. Le MAE marocain n’a pas pris une seule fois la parole, pour oser le moindre mot, la moindre compassion aux populations palestiniennes, de peur de froisser ses alliés israéliens. On en est arrivé là, hélas ! Dakhla, mais à quel prix ? En réalité, les Américains sont dans une logique de rétribution.

Comment cela s’est-il traduit ?

Les États-Unis ont soumis une résolution aux 15 membres du Conseil de sécurité. Théoriquement, en tant que porte-plume du dossier sahraoui depuis 2003, la résolution est censée reproduire le sentiment général sur le dossier, et non la vision politique des USA sur cette question.

Or, dans les faits, on a eu droit à un remake total et fidèle de la propagande marocaine contenue dans cette fameuse résolution confectionnée par l’administration Trump. Cette démarche unilatérale foule au pied toute la déontologie qui guide le travail d’un porte-plume, mais, plus grave encore, elle engendre une rupture brutale avec la doctrine de décolonisation adoptée par les Nations unies depuis 50 ans. En d’autres termes, elle exclut de facto l’ONU et son approche multilatérale du dossier. Grave entorse au droit international et dangereuse bombe à retardement dans la région.

Que comprend cette résolution ?

Elle comporte trois éléments de rupture sur lesquels de nombreux pays, y compris des alliés des États-Unis, ont mis l’accent, et qui ont fait l’objet d’âpres négociations. Il s’en est suivi un tsunami d’amendements de la part de ces pays, outrés par le caractère impartial de la proposition américaine. Le premier fait directement référence au plan d’autonomie marocain, proposé en 2007, comme seul et unique cadre de discussion. Le second fait référence au droit à l’autodétermination, mais bizarrement dans le cadre du plan d’autonomie. Et, enfin, pour la première fois, il est fait référence à la souveraineté marocaine sur les territoires sahraouis. Et pour bien ficeler le dossier, la résolution salue «les efforts du Président Donald Trump», pour promouvoir la normalisation régionale, et octroie un rôle de médiateur direct aux États-Unis. Les Sahraouis soutiennent mordicus qu’ils ne vont pas aller négocier sur la base d’un document qui n’est autre qu’une dictée ne laissant aucune marge à la négociation. Ils n’iront pas valider un projet préétabli.

Dans une lettre officielle adressée le 23 octobre dernier à l’ambassadeur russe Vassili Nebenzia, président en exercice du Conseil de sécurité, le représentant du Front Polisario auprès des Nations unies, le Dr Sidi Mohamed Omara, a franchement rejeté la proposition américaine, qui «constitue une dérive grave et sans précédent par rapport aux principes du droit international fondant le Sahara occidental comme question de décolonisation». Dans sa missive, il a ajouté que «la souveraineté sur le territoire appartient exclusivement au peuple sahraoui, titulaire d’un droit inaliénable, imprescriptible et non négociable à l’autodétermination». Pour sa part, l’Algérie a clairement indiqué qu’elle votera contre le projet de résolution américain, qui contrevient au droit international et aux résolutions pertinentes des Nations unies. L’Algérie a tenté, jusqu’à la dernière minute, de faire bouger les lignes, pour mettre des garde-fous sur ces trois points controversés de la résolution.

Elle a estimé qu’il y a d’autres voies : le plan ne peut être que l’aboutissement d’une démarche, et non un cadre figé et indiscutable. Ensuite, le droit à l’autodétermination ne doit en aucun cas être restrictif. Les Américains étaient intransigeants et refusaient d’évoluer sur cette solution taillée à la juste mesure du Maroc. Les Américains se sont appropriés le dossier sahraoui, comme ce postier qui ne livre que les courriers qui lui plaisent. Au fait, ils sont dans une logique de rétribution pour le Maroc. S’agissant du veto, la surprise serait qu’il ait lieu, puisque jamais la Chine ou la Russie n’ont usé du droit de veto dans ce dossier.

Quel impact sur la relation algéro-marocaine ?

Sur les réseaux sociaux, les supputations, les raccourcis journalistiques et les fake news font rage. À les suivre, l’affaire est déjà pliée et Alger n’a qu’à exécuter, sans sourciller, un plan que lui tend Washington. Or, la réalité diplomatique est tout autre. Il n’y a aucune pression de la part des Américains sur l’Algérie. La vérité est que les Américains ne veulent pas se contenter de merles là où il y a des grives. Annoncer le règlement du conflit entre le Front Polisario et le Maroc apparaît comme une prise chétive à leurs yeux. Le gros morceau est en effet d’annoncer au monde entier le règlement du conflit entre les deux pays les plus importants de l’Afrique du Nord, qui sont l’Algérie et le Maroc. On l’a compris, l’administration Trump est friande de la logique du palmarès. La discussion entre responsables algériens et américains a bien eu lieu sur cette question. La réponse de la partie algérienne a été sans équivoque : La résolution présentée par les Américains n’est pas une solution, elle est le problème ! La proposition de l’administration Trump est en effet loin d’apaiser les tensions entre Alger et Rabat ; elle risque, au contraire, de les exacerber. En voulant soigner la cataracte, l’Oncle Sam a «dégainé» le marteau-piqueur.

Que se passera-t-il réellement sur le terrain ?

Une fois la résolution votée, les Marocains vont évidemment crier victoire. Mais qu’est-ce qui changera réellement sur le terrain ? Cette résolution ne donne aucune consécration juridique internationale. Le Maroc n’aura jamais de souveraineté juridique. C’est le prototype d’une victoire à la Pyrrhus. On reviendra donc à l’option politique comme a toujours préconisé l’Algérie. Il existe actuellement, à travers le monde, 17 territoires non autonomes reconnus en tant que tels par l’ONU, et le Sahara occidental en fait partie. Pourquoi alors cette exception promue par Washington qui dénie le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui ? À qui profitera le pourrissement dans la région ? L’Algérie ne s’inscrit jamais dans une perspective d’un règlement militaire. Elle considère que le règlement ne peut être que politique. On sait que cette résolution ne fonctionnera pas, comme n’a pas fonctionné le plan de règlement proposé par l’ONU en 1991. On va donc chercher une autre solution politique.

Qu’avons-nous gagné, qu’avons-nous perdu ?

La diplomatie ne fonctionne pas avec un logiciel binaire. Elle n’est pas manichéenne. On aurait parlé de gain ou de perte si l’Algérie avait, par exemple, une forte communauté établie sur les territoires sahraouis. On aurait parlé de gain ou de perte s’il y avait des enjeux, si on avait une quelconque revendication territoriale. Or, nous ne sommes pas dans ce schéma. Dans ce dossier, l’Algérie a défendu un principe fondateur de son histoire, à savoir le droit des peuples à l’autodétermination, exactement comme ce fut le cas pour l’apartheid en Afrique du Sud et dans d’autres colonies en Afrique et en Amérique latine.

Cependant, il est vrai qu’il y a des enjeux stratégiques, puisque la doctrine expansionniste du Maroc constitue un motif d’instabilité à nos frontières depuis déjà les années 1960. Mais il faut bien préciser, à ce sujet, que le dossier des frontières algériennes est définitivement clos et déposé au niveau des instances de l’ONU, et ce au centimètre près.

B. T.

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