Escale : Une bombe atomique dans une 2 CV

Par Rachid Lourdjane

Le 21 avril 1961, c’est le putsch d’Alger. Des généraux à cinq étoiles se rebellent contre Paris et tentent une prise de pouvoir en vue d’une Algérie française. Dans ce climat insurrectionnel très tendu, les services spéciaux s’emparent secrètement d’une bombe atomique localisée dans un entrepôt du port d’Alger. Une aventure ahurissante autour d’une arme de destruction massive qui pouvait tomber entre les mains des insurgés. L’engin le plus terrifiant que l’homme ait pu créer est embarqué à bord d’une 2 CV à destination de Reggane. Le 25 avril, la bombe, sous le nom de code «Gerboise verte», explose en atmosphère à Hamoudia à 50 km au sud de Reggane. Est-ce «seulement» de l’histoire ? Pas vraiment. Régulièrement, comme dans un effet de boomerang, la nature mécontente relance l’actualité sur les essais nucléaires français des années 1960 au Sahara. Ainsi, vendredi dernier, des poussières de sable aéroportées, chargées de Césium-137 retournent à l’envoyeur sur un large secteur dans le massif du Jura au nord-est de la France. Le premier témoin du phénomène atmosphérique, Pierre Barbey, est un lanceur d’alerte. Actif dans le domaine depuis l’accident de Tchernobyl, il est spécialiste de la radioprotection à l’université de Caen. Inquiet de voir une couleur ocre-jaune recouvrant le sol, il prélève un échantillon sur la taule de son véhicule et découvre, après analyse, la présence de radioéléments artificiels issus, précise-t-il, de la fission nucléaire mise en jeu lors d’une explosion nucléaire au Sahara. Le spécialiste, qui rassure, affirme que la quantité des 80 000 Bq de Césium-137 n’est pas dangereuse pour la santé. Je n’oserais pas un débat contradictoire face à un physicien expert en la matière. Sérieux ? Quand on sait ce que la nuisance d’un simple moteur diesel soulève comme réaction, la pseudo-innocence d’un élément radioactif ne pourrait convaincre le moins acharné des écologistes. Le sol français et tout le nord du Maghreb avec l’Espagne, la Corse, le sud de l’Italie, la Sardaigne, reçoivent annuellement des quantités de composants polluants à la radioactivité du Sahara. Le pic le plus important a été observé en février 2004 avec deux millions de tonnes déposés sur une portion de territoire allant de Nantes à Besançon. De notre point de vue, cette énième découverte est indicatrice, s’il en est besoin, du degré de contamination des sites géographiques habités qui furent un théâtre de champ de tirs du 13 février 1960 à 1966. Les témoins algériens de cette époque se font rares. En 1967 cependant, j’ai pu recueillir le témoignage d’un habitant de Reggane qui me racontait : «Les gendarmes français étaient habillés en combinaison blanche avec des lunettes de soudeurs. Ils nous ont donné comme consigne de laisser ouvertes portes et fenêtres la nuit pour laisser passer le souffle de l’explosion. Ils nous ont prévenus aussi qu’à l’alerte des coups de sifflets, on devait se protéger les yeux avec nos bras, la face contre le sol pour éviter l’éblouissement de la lumière. Or, la nuit de la bombe c’était aussi ma nuit de noces se souvenait-il. Pas question de laisser les portes et fenêtres ouvertes. Quand la déflagration eut lieu, tout a été emporté. Après le choc, on s’est réveillé, ma femme et moi, dans le noir. Nous avons souffert de vives brûlures aux yeux. On marchait à l’aveuglette et nous butions contre les murs. C’était affolant. Au bout de plusieurs mois de souffrance, j’ai retrouvé un peu la vue. Quant à ma femme, elle est pratiquement aveugle. L’explosion a eu lieu au champ de tir de Hamoudia un peu au sud de Reggane. En 1960, un rapport du Centre français de l’énergie atomique évalue la zone contaminée à 150 km de long. Ce qui a fait sourire les spécialistes des pays comme l’URSS et les USA. En 2013, le secret défense est levé suite à un procès intenté par un soldat français, atteint de cancer, qu’il attribue à des problèmes d’étanchéité de missiles d’une base de défense dans le climat de la guerre froide. Après plusieurs expertises du sol du site militaire situé dans le nord-est de la France, il s’est avéré que la victime a été contaminée par des dépôts de sable, déposé par le vent, en provenance du Sahara algérien. Rendu à la vie civile avec une pension misérable, le soldat meurt de sa maladie. La conclusion est terrifiante. On peut être gravement affecté dans sa santé par du sable de Reggane à 3.200 km de distance ! Mais alors, qu’en est-il des gens qui y vivent ? Grâce à ce procès qui a permis la levée du secret défense, une carte a été rendue publique sur le vrai désastre écologique qui affecte une surface géographique étendue jusqu’au-delà des pays du Sahel.
Tout au long de sa carrière, Georges Wolinski, le dessinateur de presse, a gardé le secret sur son vécu à Reggane en tant que sergent-chef attaché au service du colonel chargé de la sécurité du site. En ce mois d’avril de l’année 1961, la base est envahie par les Bérets verts du 11e commandos de choc, une unité d’élite relevant de l’autorité du Premier ministre, parachutée nuitamment. Des bruits sont parvenus à l’oreille de Michel Debré, Premier ministre, faisant état de mouvement de l’ALN au sud de la frontière algérienne en vue d’une possible attaque surprise. Paris craignait aussi l’extension du climat insurrectionnel de l’armée.
Un état des lieux reste à faire. À commencer par une étude épidémiologique pour actualiser les effets des résidus qui traînent sur le sol algérien.
R. L.

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