Contribution - La France coloniale a réalisé 17 essais nucléaires dans le Sud algérien : Une agression atomique monstrueuse aux conséquences persistantes

La France coloniale a procédé à 17 essais nucléaires au Sahara algérien :
- 4 essais nucléaires atmosphériques à Reggane (Adrar), dont le premier a eu lieu le 13 février 1960 et a permis à la France d’accéder au rang de puissance nucléaire.
- 13 autres essais souterrains ont été réalisés par la suite dans des galeries creusées dans la montagne de Tan Afella, sur le site d'In-Ekker, dans le massif du Hoggar (Tamanrasset), galeries censées contenir la radioactivité et ne pas entraîner une contamination de l’environnement. Deux accidents importants ont eu lieu, lors des essais «Béryl» et «Améthyste», ayant entraîné un très grand rejet de lave fortement radioactive qui s’est, par la suite, solidifiée. Il en a résulté une forte contamination radioactive présente encore sur une partie de la montagne.

Conséquences sanitaires et environnementales, et indemnisation des victimes

Plus de 20.000 civils et militaires ont successivement travaillé sur les deux sites de Reggane et d’In-Ekker, sans compter les dizaines de milliers de villageois et de nomades habitant ou transitant dans les zones à proximité. Nombre d’entre eux ont été exposés, à des degrés divers, au risque de contamination radioactive, pendant ou après la période des expérimentations.
La France a reconnu, avec la loi du 5 janvier 2010 relative à l’indemnisation des victimes, que ces essais n’avaient pas été «propres», tant ceux effectués en Algérie qu’ensuite en Polynésie. Il a ainsi été admis que des populations civiles, ouvriers, militaires, scientifiques…, présents dans le Sud algérien, avaient été atteints par des maladies radio-induites. Néanmoins, alors que des dispositions concrètes d’indemnisation effective des victimes ont été déjà prises par les gouvernements des autres puissances nucléaires qui ont effectué des expérimentations similaires (Etats-Unis et Grande-Bretagne ou des ressortissants de Nouvelle-Zélande et d’Australie ont été directement exposés), la loi française impose au demandeur de l’indemnisation de satisfaire à des critères très difficiles à remplir, pour faire reconnaître son statut de victime. Il doit notamment démontrer sa présence dans une zone géographique de retombées des essais, lors d’une période pendant laquelle elles ont eu lieu et souffrir d’une des 23 maladies listées par décret.
Il est nécessaire qu’un accord intergouvernemental soit signé par les deux pays pour la prise en charge par la France de l’indemnisation des citoyens algériens.

Traitement sur un pied d’égalité des essais au Sahara et des essais en Polynésie

Il est pour le moins anormal que la France traite différemment la question de ses essais nucléaires réalisés en Algérie et en Polynésie, laquelle a connu 193 essais nucléaires. Le 27 juillet 2021, le Président Emmanuel Macron a reconnu la dette de la France envers la Polynésie française pour les essais nucléaires réalisés de 1966 à 1996 dans le Pacifique et demandé à cette occasion que toutes les archives sur cette période soient ouvertes, à l’exception de celles qui pourraient contenir des informations dites proliférantes susceptibles de faciliter la fabrication d’une arme nucléaire. Six mois après, près de 35.000 documents relatifs aux essais nucléaires menés par la France dans le Pacifique viennent d’être déclassifiés et ouverts au public.
En dépit du fait que l’Algérie a été nommément citée dans ce discours de Macron, force est de constater que les conséquences environnementales et sanitaires des essais nucléaires effectués en Algérie ne suscitent pas le même intérêt de la part de la France officielle et demeurent aujourd’hui encore un sujet compliqué à traiter. Il y a un déséquilibre géographique flagrant entre la Polynésie française et l’Algérie. Il est temps pour les autorités françaises d’engager auprès des populations algériennes un véritable processus, au moins égal à celui réalisé ces dernières années en Polynésie, d’aide à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires dont les conséquences ne sont pourtant pas différentes de ceux réalisés en Polynésie. Il y a un déni en France sur l’affaire des expériences nucléaires dans le Sahara, et aucune raison, fût-elle d’Etat, ne justifie les blocages de la part des autorités françaises qui doivent assumer la responsabilité de la France dans la mise en danger de la vie d’autrui.
- Au plan national, et en matière de responsabilité et d’indemnisation, la loi algérienne relative aux activités nucléaires, promulguée le 17 juillet 2019 (loi n°19-05), pose comme «imprescriptibles» les dommages subis collectivement ou par une région, y compris les dommages causés antérieurement à la publication de cette loi (Article 124). Elle pose également comme principe de droit national la responsabilité de l’auteur de la contamination en stipulant que les dépenses liées aux opérations de réhabilitation des sites contaminés sont à la charge exclusive du responsable de cette contamination (Article 123).
- Au niveau international, notre pays dispose actuellement d’un instrument juridique international, en l’occurrence le Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN), pour faire pression sur la France afin de l’amener à rendre des comptes sur les effets néfastes causés à la population et à l’environnement. Ce Traité, adopté le 7 juillet 2017 par une écrasante majorité d’États (122) parmi lesquels l'Algérie qui assurait alors la présidence de la première Commission de l’Assemblée générale de l’ONU, est entré en vigueur le 22 janvier 2022. Actuellement 92 pays l’ont signé et 68 l’ont ratifié.
Il reste à notre pays, pour faire valoir en sa faveur les dispositions de ce processus multilatéral porté par l’ONU, d’entamer son processus de ratification, après avoir été parmi les premiers pays à l’avoir signé, comme l’ont souligné à plusieurs reprises les autorités de notre pays. Cette ratification offrirait à notre pays la possibilité de solliciter et de recevoir une assistance technique, matérielle et financière d’autres Etats Parties qui sont tenues de coopérer pour faciliter la mise en œuvre du Traité, notamment dans la prise en charge des victimes et la réhabilitation de l'environnement affectés par les essais, ce qui renforcera la demande de réhabilitation et de réparation envers la France. Cette assistance peut également être fournie par l’intermédiaire de l’ONU, d’organisations ou institutions internationales, régionales ou nationales.
Pour illustrer davantage ce manque d’intérêt accordé par la France à la question épineuse des sites d’essais nucléaires français au Sahara, il y a lieu de rappeler qu’en 2008, dans le sillage de la visite à Alger du président Nicolas Sarkozy, pour la conclusion d’un Accord intergouvernemental de coopération pour le développement et les utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire (signé le 21 juin 2008
- Décret présidentiel n°09-216 du 15 juin 2009), la proposition de la partie algérienne de faire figurer la question des sites d’essais nucléaires comme domaine de coopération au sein des dispositions de l’Accord a rencontré une grande résistance de la part des négociateurs français qui lui ont signifié un refus catégorique. L’insistance de la partie algérienne à ce que la question des sites soit coûte que coûte évoquée a payé puisque les deux parties ont finalement convenu de traiter la question dans le cadre d’un groupe de travail algéro-français créé en 2008 spécialement pour étudier la question de la réhabilitation des anciens sites au Sahara.

Réhabilitation des sites

D’une manière générale, lorsqu’une installation nucléaire cesse son exploitation, elle doit être démantelée en toute sûreté, ce qui implique la gestion et l’évacuation des substances et déchets radioactifs présents, ainsi que la décontamination, le démontage et l’élimination des composants et structures radioactifs. Or, lors de la restitution des sites d’essais nucléaires de Reggane et d’In Ekker, la France a volontairement enfoui sous les sables divers déchets contaminés composés de véhicules, d’engins de terrassement, d’outillage, de matériel mécanique, de vêtements.
Ces sont aujourd’hui des sites bien plus peuplés qu’ils ne l’étaient lors de la réalisation des essais et connaissent des activités d’exploitation minière, de recherche hydrogéologique, de recherche d’hydrocarbures et de tourisme.

Prise en charge de la question des sites d’essais nucléaires par notre pays

En dépit de l’intransigeance de l’ancienne puissance coloniale, peu encline à admettre et à assumer ses responsabilités, les autorités algériennes n’ont eu de cesse de réclamer une juste réparation des dommages causés sur les plans humain et environnemental, au titre de la «dette nucléaire».
Saisissant l’opportunité d’une résolution, la Conférence Générale de l’AIEA sur les essais nucléaires, notre pays a demandé et obtenu une assistance technique de l'AIEA pour quantifier la contamination radioactive causée par les explosions nucléaires, évaluer l'impact radiologique de ces essais sur la population locale et sur l'environnement et mettre en place un plan de surveillance de ces sites.
En réponse, l'AIEA a décidé d'envoyer en 1999 sur le terrain une mission d'experts internationaux indépendants accompagnés de 7 spécialistes nationaux, auxquels l’AIEA a inclus, en dernière minute, un spécialiste français censé fournir les informations nécessaires sur les données radiologiques historiques, et les estimations des conditions radiologiques prévalant en 1999 avant le début de la mission. Un rapport a été publié à la fin de cette mission intitulé «Conditions radiologiques aux anciens sites d'essais nucléaires français en Algérie : Evaluation préliminaire et recommandations». Le contenu du rapport de l’AIEA a été estimé en deçà des attentes de la partie algérienne, en ce sens que les taux de radioactivité sur les sites étaient beaucoup plus élevés que ceux relevés par l’AIEA.
Au contraire de la partie française qui le citait très souvent, ce rapport n’a jamais constitué pour nous une référence, connaissant les circonstances de la mission et de ce qui s’en est suivi.
1. S’agissant d’un crime contre l’humanité, les victimes ne seront en aucune manière sacrifiées. Il faut tout faire pour que cette question ne soit pas considérée uniquement comme un problème d’histoire et de mémoire au milieu de plein d’autres alors qu’il s’agit bel et bien d’une question toujours d’actualité tant sur le plan sanitaire qu’environnemental.
2. La poursuite du travail d’apaisement des mémoires passe inévitablement par des réponses françaises à l’héritage radiologique laissé par la France coloniale en Algérie.
3. Les autorités françaises sont tenues d’agir pour :
- assurer l’indemnisation des victimes algériennes ;
- assurer l’accès aux archives médicales détenues par le Service des archives médicales hospitalières des armées ;
- remettre aux autorités algériennes la liste complète des emplacements où ont été enfouis les déchets avec leur localisation précise (latitude et longitude) ainsi qu’un listing des matériels enterrés;
- publier les données relatives aux zones contaminées par les laves radioactives et étudier avec les autorités algériennes les modalités d’un nettoyage de ces zones et de la réhabilitation complète des sites ;
- élargir le processus de déclassification des archives sur les essais en Polynésie à la période algérienne pour permettre aux ONG et chercheurs une pleine connaissance de l’histoire de ces essais, sachant que l’arrêté portant ouverture d’archives relatives à la guerre d’Algérie en date du 22/12/2021 ne concerne pas les essais nucléaires.

REMKI Merzak
Ancien Commissaire à l'Energie Atomique

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