
Par Rachid Lourdjane
Le MALG et ses «Malgaches», cette organisation ultrasecrète des hommes de Abdelhafid Boussouf, n’est plus le sujet tabou dont le nom était autrefois murmuré. Durant les premières années de l’Algérie libre, on entendait vaguement parler de cette structure née dans le combat moins de quatre années avant l’indépendance, de ses liens avec l’armée et la direction politique, son influence et son enracinement dans le cœur de nombreuses institutions traînant des rumeurs les plus fantasmatiques à défaut de transparence. Le MALG c’était la secte selon «l’image dévoyée et mise sous l’éteignoir». Mais rien de plus sur cette armée de l’ombre qui fut une pépinière de cadres à haut niveau de responsabilités. Dans la presse nationale, les premiers signes timides sur la question du MALG sont apparus par hasard dans les débuts des années quatre-vingt dans la page «Courrier des lecteurs» de notre journal, El Moudjahid. Je reçois alors une lettre de quelques lignes portant sur une mise au point concernant la fausse nouvelle de la mort au combat d’un certain Mansour, affecté aux transmissions de l’ALN, dont les parents habitaient rue de la Liberté, non loin du journal. «Notre fils est vivant», c’était le titre de la lettre.
Quelques jours après la diffusion de ce démenti, nous constatons un afflux phénoménal de lettres sur «L’arme des transmissions» en tant qu’ossature du ministère des Armements et des Liaisons générales. Cela m’obligea à en faire part à notre directeur Abdelaziz Morsli, homme de grande envergure professionnelle, qui plus est acteur au sein des services de Abdelhafid Boussouf. Morsli, qui connaissait très bien le sujet, pressentait déjà sa dimension médiatique. Il me donna le feu vert pour une «exploitation intelligente» de l’affaire. Si bien que régulièrement notre page diffusait des témoignages de premier plan sur ce sujet secret. Un des témoignages les plus denses qui nous soit parvenu émanait de Abdelkader Bouzid, en poste à notre ambassade à Washington. Ses interventions ont donné de la hauteur à la page et suscité beaucoup d’intérêt. C’est ainsi qu’un jour, une dame voilée de son haïk blanc traditionnel se présenta à El Moudjahid pour nous faire part des souvenirs de cette période. Elle était venue en bus de la cité des Rosiers, à Blida, et se présentait comme Mme Tellidji, veuve du Commandant Si Omar Tellidji, de la base Ben M’hidi, mort dans un accident de la circulation sur la route de Laghouat en juin 1965. Le commandant Si Omar avait occupé de hautes fonctions au sein de l’Arme des Transmissions. Madame Tellidji sortit de son sac un paquet de photos en noir et blanc. Dans l’une d’elles, on reconnaissait Frantz Fanon, allongé sur le sable. Je lui demandai si elle avait connu cet homme. «C’est Fanon», me dit-elle avec le sourire. Sur cette photo, «il était convalescent et prenait du repos sur une plage à Tunis. Il a séjourné chez nous». Cette rubrique, «Courrier», était devenue une source d’attraction pour de nombreux témoins directs. Notamment Abdelkrim Hassani, officier de l’ALN, beau-frère de Larbi Ben M’hidi. Il enrichit le débat de plusieurs articles, et peu de temps après, produit un ouvrage, aujourd’hui épuisé, sur «l’arme des transmissions». Dans son livre, Abdelkrim Hassani évoque de nombreux souvenirs, parfois tragiques dont un procès bouleversant. Le tribunal de guerre était présidé par Mohamed Boudiaf. Les accusés étaient deux jeunes djounoud déserteurs de la base de formation. C’étaient d’anciens soldats de l’armée française ralliés à l’ALN et affectés aux transmissions. Ils voulaient prendre de l’air quelques jours, sortir du confinement d’une salle de formation aux conditions rudes, fermée à la lumière du jour. Après lecture du réquisitoire, la peine capitale fut prononcée. Les deux condamnés, les mains attachés au dos n’avaient toujours pas compris le sens de ce procès et l’extrême gravité du verdict. A genoux, le premier supplicié est mis à mort par strangulation à l’aide d’une corde serrée autour du cou par tourniquet. Il n’a pas eu le temps de faire sa chahada pour quitter ce monde dans le rite musulman. Le second a tout juste eu le temps de balbutier la dernière prière de son destin. Pour le tribunal, le verdict, aussi impitoyable qu’il fût, était justifié par la gravité de l’indiscipline des deux jeunes hommes qui ont mis en danger un dispositif crucial dans la structure du système.
Le livre de Dahou Ould Kablia déborde de son intitulé. La première partie, qui traite du MALG depuis sa création le 19 septembre 1958 jusqu’à l’indépendance, est fidèle au projet «Boussouf et le MALG ; la face cachée de la Révolution». La seconde partie s’en détache pour s’articuler autour des évènements, souvent violents, qui ont marqué l’émergence de l’Etat hors de la mouvance du MALG, quand bien même cette institution demeura longtemps comme source d’encadrement politique et militaire. Le livre, qui est un témoignage et non une œuvre d’histoire, est écrit dans un style alerte et clair. C’est un évènement marquant pour l’histoire de la guerre de libération en raison de la nature du sujet et la stature de l’auteur qui fut témoin privilégié, acteur au sein du MALG et proche de Abdelhafid Boussouf, en chef d’orchestre de cette formidable machine de guerre aux ramifications internationales avec ses réseaux de liaisons. L’association des anciens du MALG que dirige l’auteur depuis 1991 sort de son cadre de convivialité des anciens et passe au statut de Centre de recherches et de réflexions. Mais Ould Kablia hésite à se soustraire à l’obéissance aux chefs tant l’emprise de Boussouf est redoutée. Aussi, nous n’en voudrons pas à l’auteur pour sa fidélité et sa réserve. L’objectivité historique prend de sacrés coups sous la plume de l’auteur, notamment quand il s’agit de Ahmed Ben Bella qui aurait «confisqué le pouvoir, créer des milices et étouffé la liberté d’expression». Les deux ans et demi de pouvoir de l’infortuné Ben Bella sont encore abordés sous le prisme déformant du vocabulaire du 19 juin 1965. La mort de Khemisti est considérée également comme un attentat non élucidé en dépit de l’arrestation de l’auteur, Djenadi, un enseignant délirant et le rapport d’expertise du Professeur de psychiatrie Khaled Benmiloud, dont nul ne saurait douter de sa rigueur et sa droiture. La quatrième partie du livre, qui traite des «problèmes internes du FLN», est édifiante sur les violences exercées contre des hommes de grande valeur; accusés, condamnés et exécutés sans état d’âme. Le livre est un condensé d’informations souvent inédites, soutenu par des faits et des évènements qui ont jalonné le parcours du MALG. Bien documenté, il constitue, sans doute, une bonne base de données et une matière première pour les historiens. Une source d’informations qui dérange parfois par ses omissions, mais ne laisse pas indifférent.
R. L.
«Dahou Ould Kablia :
Boussouf et le MALG
La face cachée de la Révolution»
Casbah Editions
Alger 2020