
Entretien réalisé par : Kamélia Hadjib
Diplomate sahraoui, El-Kenti Balla considère que la position des Brics par rapport au conflit colonial au Sahara occidental est une gifle pour le Maroc et se dit convaincu que lorsque l'Algérie aura intégré les BRICS, la voix du peuple sahraoui sera davantage entendue.
El Moudjahid : Parmi les principales résolutions issues du 15e sommet du groupe des Brics, figure la position des États membres par rapport à la question du Sahara occidentale. Quelle lecture faites-vous, à ce propos ?
El-Kenti Balla : Il n'y a aucun doute que l'on vit une période de fin de cycle d'un monde dominé jusque-là et depuis plusieurs siècles déjà par une hégémonie occidentale sur les affaires du monde. Une hégémonie qui n'a pas fait que du bien pour l'humanité : le colonialisme, l'esclavagisme, la guerre de l'opium contre la Chine, l'utilisation abusive des structures internationales post-Seconde guerre mondiale, en se servant souvent de la politique du deux poids, deux mesures. Le Conflit colonial au Sahara occidental est un exemple parfait de cette utilisation malsaine du droit international par certaines puissances occidentales qui passent leur temps à vouloir convaincre la planète qu'il n'est pas urgent, voire inutile de le résoudre, en agissant parallèlement pour bloquer les efforts de l'ONU portés sur la décolonisation du territoire. Un conflit gelé comme elles aiment à répéter à travers les propos de leurs différents porte-voix.
D'autres conflits pâtissent de cette vision hégémonique du monde, la Palestine en est un autre exemple. C'est ce monde gravement déséquilibré dont les pays des BRICS n'en veulent plus. Pour ne parler que du conflit du Sahara occidental, les ministres des Affaires étrangères des BRICS se sont déjà exprimés en juin dernier, pour confirmer le communiqué de leurs adjoints qui avait clôturé en avril leurs travaux par un communiqué incluant le conflit du Sahara occidental dont ils demandent la résolution en conformité avec le droit international et respectueux du droit du peuple sahraoui à l'autodétermination. Droit, au demeurant, inaliénable et imprescriptible et que certains pays influents au Conseil de sécurité ont activement agi pour le diluer dans des considérations de pseudo-réalisme politique en vue de normaliser, aux yeux de tout le monde, une situation si abjecte, si inhumaine qui est cette annexion illégale du Sahara occidental et qui s'apparente clairement au non moins abject colonialisme occidental classique des siècles derniers. La même position des ministres des Affaires étrangères des BRICS et de leurs adjoints vient d'être confirmée par leurs chefs d'État, en Afrique du Sud, mercredi dernier. Il n'est pas question pour eux de passer sous silence le conflit du Sahara occidental. Leur communiqué public revendique clairement une solution de ce vieux conflit, qui n'a que trop duré, disent-ils, et qui soit conforme au droit international et respectueux du droit du peuple sahraoui. Les chefs d'État des BRICS ont fait mieux, cette fois-ci : ils ont invité M. Brahim Ghali, président de la République sahraouie, pour assister à leur sommet et pour s'exprimer devant leur rassemblement. Une gifle pour le Maroc.
Qu’en est-il de la réaction du Maroc par rapport à cette résolution ?
Le Maroc, qui a commis le crime qu'aucun État moderne n'oserait commettre, c'est-à dire l'agrandissement illégal et par la force de son territoire national, voyait dans cette évolution des BRICS qui dépassait le champ strictement économique pour traiter des questions politiques, un danger mortel pour son entreprise coloniale. Il n'y a qu'avoir la position rendue publique par son ministère des Affaires étrangères, publié sur son site internet, peu avant le sommet des BRICS, pour s'en convaincre. Une position extrêmement critique à l'égard des BRICS et presque insultante vis-à-vis du pays hôte, l'Afrique du Sud. Le mot d'ordre a été alors donné à la presse du régime, pour présenter péjorativement le pays de Nelson Mandela, y compris en l'accusant d'ingratitude et de lâcheté. On est encore dans le registre méprisant d'Hassan II qui qualifiait les rencontres des chefs d'État africains de «conférence tam-tam». L'évolution des BRICS et leur positionnement de plus en plus clairement sur des questions politiques et géostratégiques pour équilibrer les relations internationales et placer le droit international au centre de leurs enjeux inquiètent au plus haut niveau le régime d'occupation marocain et ceux qui le soutiennent. Leur intérêt pour un traitement plus juste des conflits, le makhzen, et ses porte-voix, y voient une simple obsession de l'Afrique du Sud et des BRICS à son égard, ce qui explique son amertume révélatrice du poids de la défaite politique et diplomatique qu'il vient de subir.
L’Algérie a-t-elle appuyé la position des Brics par rapport à la question sahraouie ?
L'Algérie a toujours fortement plaidé pour une résolution de ce conflit sur la base du droit international et conformément à la Charte des Nations unies et à sa doctrine en matière de décolonisation. Je suis profondément convaincu que lorsque l'Algérie aura intégré les BRICS, durant la deuxième phase d'intégration prévue pour le prochain sommet en Russie, la voix du peuple sahraoui sera davantage entendue au sein de ce groupement et, par voie de conséquence, le droit international consolidé. C'est tout à l'honneur de l'Algérie et le sera tout autant pour les BRICS s'ils continuaient sur la même voie prônée par l'Algérie.
K. H.