Droit au but : Le royaume des trois obsessions

Par Mohamed Koursi

Certaines sociétés trouvent dans leur fond anthropologique des forces insoupçonnées pour résister et renaître. D’autres disparaissent complètement. Pour celles-ci, il arrive que même les historiens, des siècles plus tard, n’arrivent pas à démêler les faits historiques de la construction des légendes. Le souffle violent de l’histoire transforme, systématiquement, l’arrogance en naufrage, tel un Titanic, masse d’acier, stoppé net. Le makhzen, littéralement le grenier (accessoirement, l’arrière-boutique), était la main de fer qui permettait au souverain de tenir des tribus rétives au pouvoir central. L’argent, la nourriture, l’information étaient centralisés dans ce makhzen pour venir à bout de Bled Siba, c‘est-à-dire celui qui a choisi de vivre en dehors des territoires du souverain. Que reste-t-il aujourd’hui de cette construction qui a fait qu’une maison princière se transforme de représentant des croyants à un pays du «désordre moral», devenant, ainsi, par un incroyable retournement de situation, le clone de ce qu’elle combattait ?
«Nous voulons, autant que possible, rester à l'écart de la politique des blocs alignés les uns contre les autres, qui a provoqué dans le passé des guerres mondiales, et qui peut conduire à de nouveaux désastres sur une échelle encore plus grande.» En 1946, Nehru forge la notion du Non-alignement. Soixante-dix ans après, ce clone des anachronismes coloniaux, pourtant membre du mouvement des Non-Alignés, affiche clairement son soutien à un mouvement sécessionniste, terroriste, enterrant, par ces errements, les rêves d’une Afrique du Nord unie, apaisée et fraternelle pour le bien de ses habitants. Il ne s’agit pas d’un accident de l’histoire ou d’une erreur d’appréciation ; ce makhzen n’a-t-il pas, contre la philosophie même de ce mouvement, passé un pacte avec une entité qui occupe (tout comme lui) un territoire qui ne lui appartient pas ? N’a-t-il pas vendu son âme, avec une ambassade à El-Qods occupée, contre une reconnaissance quémandée sur le Sahara occidental ? N’a-t-il pas sous-traité avec cette entité pour espionner ses alliés ?
À chaque discours en direction d’une opinion dite internationale qu’il veut berner, il appelle à l’ouverture des frontières. Bien sûr ! Ce makhzen ne peut oublier comment ce geste fraternel de lever les barrières aux frontières a transformé villes et villages de l’Est marocain arrosés par les produits subventionnés algériens. Certes, on est un pays dont la structure des exportations est dominée par les énergies fossiles. Les rapports des institutions de Bretton Woods le relèvent régulièrement... comme d’autres institutions internationales mettent à la première place du podium, le royaume alaouite dans la production du kif.
Le makhzen est le royaume des trois obsessions. D’abord, territoriale. Une fixation qu’il ne cesse de porter comme une croix. Il voulait annexer une partie de l’Algérie pour laquelle les Algériens ont payé, avec le sacrifice suprême, le droit à l’indépendance et à l’unité spatiale. Il n’a pas pu. Ne pas pouvoir n’est pas synonyme de guérison. Il s’est retourné vers la Mauritanie, cherchant, dans une géographie aléatoire, les justificatifs d’un «grand Maroc», pour avaler son voisin. Mais les mouvements de décolonisation avaient déjà inscrit sur le sol des frontières physiques. Alors, dans ce cerveau, corrompu par les longues nuits enfumées, un nouveau territoire a émergé. Pourquoi pas le Sahara occidental que l’Espagne venait de quitter ?
L’obsession de reconnaissance, ensuite. On peut être tête couronnée, offrant derrière des milices, une main à embrasser, et ne jamais voir dans le regard de ses interlocuteurs étrangers autre chose que la convoitise mercantile, dans le regard de ses sujets, autre chose que la soumission par la peur. Un tel besoin de reconnaissance, que même le patrimoine historique a été cédé aux maîtres d’hier et d’aujourd’hui, et transformé en riad interdit aux indigènes juste pour espérer un remerciement qui tarde, qui tarde.
Enfin, l’obsession du temps qui, tel le sable dans un récipient insensible aux vœux des humains, s’écoule inexorablement.
Dans cette fuite éperdue, le Palais a introduit définitivement et au grand jour, le vizir qui va le détrôner. L’invité, celui qui à terme va tenir le trousseau de clés, lui a offert un mirage pour se faire accepter. Un territoire qui ne lui appartient pas, contre une reconnaissance. Mais l’obsession du temps est mortelle. Ce deal de la honte, cet accord de la félonie vont exacerber les tensions internes, radicaliser les oppositions et déborder des frontières du royaume pour chercher appui et assistance au Sahel, là où se trouvent concentrées au kilomètre carré toutes les frustrations, rancœurs et convoitises. On ne peut défier la logique de l’histoire impunément. Son vis-à-vis et employeur devrait réfléchir sur sa quiétude. Le poisson de l’Atlantique, le phosphate du Sahara, la porte du Maroc vers l’Afrique (au pêne branlant) sont peu par rapport aux coûts à venir. M. K.

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